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Projet de loi pas encore publié, mais on sait presque tout !

dimanche 29 septembre 2013

Tout est présenté comme équitable, et quasi indolore, dans cette réforme : 0,3 % de cotisation en plus pour les patrons comme pour les salariés (avec mise en place progressive jusqu’en 2017).

Côté salariés, c’est une réduction du salaire net, déjà amputé par 0,15 % de cotisations en 2012 (à l’occasion de la mise en place du dispositif de départ à 60 ans au titre des « carrières longues ») et encore 0,1 % pour les caisses complémentaires en mars dernier. Peu plus peu, ça finit par faire trop. Les salaires ont besoin d’être augmentés, et pas diminués.

Côté patrons, en même temps qu’il leur annonçait les 0,3 %, le gouvernement leur promettait de récupérer largement la perte par des cadeaux fiscaux et autres. Et Marisol Touraine, pour justifier de faire la poche des vieux, d’expliquer que ça n’enlevait rien à l’équité de sa réforme, les cadeaux fiscaux relevant du ministère de l’Économie ! La preuve : c’est Moscovici qui a été applaudi par le Medef !

Les retraites étaient jusque-là revalorisées chaque 1er avril, d’un pourcentage fonction de la hausse des prix. À partir de 2014, cette revalorisation aurait lieu six mois plus tard, le 1er octobre. L’État grippe-sous va ainsi récupérer les six mois de revalorisation cumulée, à raison de quelques euros mensuels par retraité, une centaine d’euros pour chaque sur les six mois. Bref selon les calculs officiels eux-mêmes, 600 millions d’euros en 2014 quand même, et un montant estimé de 1,4 milliard d’euros volés aux retraités en 2020.

Sans oublier une autre attaque, visant les retraités ayant élevé trois enfants ou plus. Ils bénéficient d’une majoration de pension de 10 %. Une majoration qui n’était pas imposable : elle le sera désormais. Autrement dit, ces retraités, lorsqu’ils étaient déjà imposables, auront à payer plus d’impôts. D’autres, aujourd’hui non imposables, le deviendront.

Au sein de la gauche bien pensante comme dans les cercles dirigeants syndicaux, c’en est fini de contester les 62 ans d’âge légal de départ. La page est tournée, des 60 ans de grand-papa Mitterrand. Pourtant, lorsque Sarkozy les a enterrés en 2010 pour grimper à 62, des personnalités du PS avaient promis de revenir à la « retraite à 60 ans ». Il est vrai que la mesure avait déjà disparu du programme présidentiel de Hollande.

Comme pour se racheter cependant, le gouvernement a mis en place en 2012 un dispositif permettant à un certain nombre de travailleurs de partir à 60 ans : sous conditions, celle d’avoir cotisé plus de cinq trimestres avant l’âge de 20 ans notamment ! Voilà qui limite les frais, d’autant que la réforme en cours rendra quasiment impossible d’aligner les annuités nécessaires pour bénéficier de cette disposition !

La réforme actuelle ne touche pas aux deux âges de référence pour la retraite : 62 ans et 67 ans. Ces âges limites augmentent, respectivement jusqu’à 62 et 67 ans, en vertu du calendrier tracé par la réforme de 2010 (la transition était étalée). Tout salarié peut demander de partir à la retraite dès 62 ans. C’est un droit ! Mais ce sont les modalités de calcul du montant de la pension qui posent problème : OK on peut partir à cet âge-là, mais en y perdant très lourd ! Car la retraite dépend d’abord du nombre de trimestres cotisés. Et gare à la « double peine », la décote (voir plus bas), si l’on demande sa retraite avant le deuxième âge butoir, ces 67 ans dits de droit à la « pleine retraite ». Car âge légal et âge réel de départ font deux ! Et que, sans presque toucher à l’âge légal, gouvernement et patronat peuvent imposer aux travailleurs de ne prendre effectivement leur retraite que bien plus tard – au risque sinon d’être réduits à la mendicité !

Au moment de calculer la pension, la caisse de retraite fait le décompte du nombre de trimestres cotisés. Si cette « durée d’assurance » correspond à la durée dite « maximale », la retraite est dite complète.

Mais primo ce n’est pas complet du tout ! Car, pour les salariés du privé affiliés au régime général, c’est 50 % d’une moyenne des salaires perçus sur les 25 meilleures années. En rajoutant les retraites complémentaires, un travailleur peut espérer obtenir environ 75 % de son salaire comme pension (ce qui est aussi le montant légal pour une pension complète de fonctionnaire).

Et deuxio, la « durée d’assurance » (on pourrait plutôt dire d’insécurité !) grandit avec le temps et les réformes scélérates. Sous prétexte qu’on vit plus vieux, ladite durée est passée de 37,5 ans avant 1993, à 40 ans, puis 41 ans, puis bientôt 41,5 pour arriver à 43 ans pour les plus jeunes nés après 1973… Merci Hollande !

Autre scélératesse : si la durée d’assurance est inférieure, c’est la double peine ! On tombe en dessous de cette retraite « complète ». Deux règles s’appliquent et leurs effets se cumulent : d’une part la retraite étant calculée au prorata du nombre d’annuités, chaque année manquante entraîne environ 2,4 % [1] de perte sur la retraite. D’autre part une décote s’applique, un genre de malus, qui amplifie considérablement l’effet d’un manque d’annuités. Un seul trimestre manque, c’est 1,25 % de décote ! Un an, c’est 5 % de décote, c’est-à-dire 7 % de moins. Deux ans, 10 % de décote, en tout 14 % de moins. Quatre ans, 20 % de décote, 27 % de moins. Avec une limite toutefois : au-delà de cinq années manquantes quand on prend sa retraite à 62 ans, c’est 25 % de décote quel que soit le nombre d’annuités manquantes. Dix années manquantes, et c’est 25 % de décote et 24 % de perte au titre du prorata... soit 43 % de moins !

Et, limite vers le haut, la règle de décote ne s’applique plus lorsque l’on prend sa retraite à 67 ans ou plus : c’est la retraite « à taux plein ». Mais la retraite reste quand même calculée au prorata du nombre d’années cotisées et n’est pas si pleine que ça lorsque la durée d’assurance n’est pas atteinte !

Ce système de décote rogne tant les retraites qu’il incite des salariés à repousser le moment où ils demandent de partir. Et de chercher à tenir au maximum avec des indemnités chômage, le RSA ou les seuls revenus du conjoint... Les effets délétères de la décote incitent également ceux qui sont encore au travail à y rester le plus longtemps, parfois au-delà de l’âge légal de départ à la retraite.

Conclusion : en augmentant le nombre d’annuités à 43 ans, le « départ à la retraite » à 62 ans ne sera de fait accessible qu’à des salariés ayant commencé à travailler avant 19 ans... s’ils n’ont pas de trous dans leur carrière.

Le projet de loi prévoit un système de points... Une véritable usine à gaz... Chaque trimestre travaillé dans des conditions pénibles ramènerait un point, voire deux, si les conditions sont considérées comme doublement pénibles. Les points accumulés pourraient être ensuite « dépensés » en temps de formation professionnelle, travail à temps partiel ou bien pour augmenter le nombre de trimestres validés pour la retraite. Un trimestre coûterait 10 points. Les 20 premiers points seraient obligatoirement affectés à la formation. Autrement dit, pour bénéficier ne serait-ce que d’un trimestre de départ à la retraite, il faudra avoir accumulé un minimum de 30 points – soit 7 ans de travail en conditions difficiles ou 3,5 en conditions « doublement » difficiles. Les technocrates de gauche qui ont conçu cette farce, avec l’assentiment de la CFDT, ont poussé le vice jusqu’à limiter à 8 le nombre de trimestres supplémentaires pour la retraite, soit 2 ans. Grâce à 14 ans de travaux forcés ! Et, plus salé encore, à décider que l’acquisition de points ne serait pas rétroactive : impossible de faire valoir au titre de la pénibilité des périodes de travail antérieures à la mise en place de la réforme. Autrement dit, tous les salariés proches de la retraite aujourd’hui, qui ont trimé dur toute une vie, ne verront rien changer.

Car qui décidera de l’usage des points ? Théoriquement le salarié, mais dans les faits un patron pourrait avoir avantage à mettre en temps partiel un salarié, avec prise en charge par une caisse publique, et à lui faire suivre telle ou telle formation, financée aussi par cette caisse. Les patrons pourront continuer à imposer des travaux pénibles en prétextant qu’en contrepartie le salarié alimente de points son compte pénibilité... Il aura juste à verser à la caisse « pénibilité » une cotisation qui ne devrait pas être bien chère puisque, dans les estimations fournies par le gouvernement, elle ne couvre même pas le coût de ce dispositif...

Triste situation que celle où des syndicalistes se félicitent de la prise en compte de la « pénibilité », alors qu’il faudrait plutôt éradiquer les conditions de travail indignes, qui réduisent l’espérance de vie des travailleurs et les fait vivre en mauvaise santé ! Il est scandaleux que l’on fasse travailler encore plus longtemps des travailleurs qui ont trimé pendant des années dans des conditions qui ont ruiné leur santé… voilà qui ne devrait pas se négocier ! Sans compter que la « prise en compte de la pénibilité » ne compensera même pas, sauf exception, l’effet des allongements des annuités de la même réforme.

Le gouvernement annonce faire un geste pour les étudiants. Il s’agirait d’une aide accordée pour « racheter » des trimestres de cotisation correspondant à des périodes d’études. Cette possibilité de racheter des trimestres existe déjà... pour les gosses de riches ! Ce rachat coûte plusieurs milliers d’euros le trimestre, tandis que l’aide annoncée serait de 1 000 € par trimestre, et limitée à quatre trimestres maximum. Une pompe à fric pour pas grande contrepartie !

Pour les salariés du privé, la retraite est divisée en deux tronçons. La retraite de base, servie par la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) et une ou deux retraites complémentaires (régimes ARRCO-AGIRC). La part complémentaire est importante : c’est fréquemment un tiers de la retraite, davantage pour les cadres.

La réforme 2013 des retraites complémentaires ? Elle a déjà eu lieu, en mars dernier, discrètement ! Un accord a programmé une baisse du pouvoir d’achat de ces pensions de 2013 à 2015 (la revalorisation sera à chaque fois en dessous de celle de l’inflation), ainsi qu’une hausse de cotisation de 0,1 % (de la part salariale comme patronale). Un accord conclu avec la signature de la CFDT, de la CFTC et de FO, mais contesté par la CGT et la CGC.

Pas de réforme des régimes spéciaux (SNCF, RATP, EDF, etc.) ni de celui des fonctionnaires, répète le gouvernement. Mais l’ambiguïté est cultivée. Certes le gouvernement ne compte pas modifier certaines règles spécifiques à ces régimes. Mais la réforme les touchera néanmoins. Pour les fonctionnaires, le nombre d’annuités évoluera comme pour le régime général. Les cotisations augmenteront aussi de 0,3 %, avec une hausse étalée jusqu’en 2020. Pour les régimes spéciaux, les intentions du pouvoir restent plus discrètes, mais ne laissent pourtant guère de doutes : pour les 43 ans, tous sont visés ! Pourtant la direction de la SNCF répète sur tous les tons que la réforme ne concernera pas les cheminots. La grève de 1995 a laissé quelques souvenirs amers qui rendent prudent, ou faux-cul ! Et les salariés sous régimes spéciaux ont quelques bonnes raisons de ne pas se sentir protégés contre un passage aux 43 ans... et d’avoir fait grève et manifesté le 10 septembre dernier, pas moins que les autres !

M.C.


[1Pour lever le trouble des lecteurs attentifs, précisons que les pourcentages donnés dans ce paragraphe sont, pour la plupart, arrondis. Une année relativement à 41 ans, c’est 2,43 %, relativement à 43 ans, c’est 2,33 %.

Mots-clés Politique , Retraites