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La décolonisation : partir pour mieux rester

dimanche 1er avril 2001

Les indépendances portaient bien des espoirs, de liberté et de développement. Le bilan est aujourd’hui catastrophique, et pour comprendre cette situation actuelle des anciennes colonies africaines de la France, il est indispensable de se rappeler qu’elles n’héritèrent pas seulement du sous-développement. Elles restèrent en fait sous la botte de l’impérialisme français.

Des guerres coloniales...

La puissance coloniale, écrasée par l’Allemagne en 1940, fut discréditée et affaiblie. En 1945, la France avait beau se retrouver dans le camp des vainqueurs, elle n’avait plus guère les moyens de tenir son empire.

Et pourtant elle s’accrocha ! Le 8 mai 1945, en pleine célébration de la « victoire contre le fascisme », les Algériens de Sétif réclament leur part de liberté et s’insurgent. L’armée et des milices de colons massacreront plus de 40 000 personnes. En Indochine, la guerre commence dès 1946. A Madagascar, le gouvernement français à dominante socialiste se charge de mater une insurrection et fait plus de 100 000 morts.

De 1945 à 1962, il n’est pas d’année où l’Etat français ne mène une guerre coloniale. C’est la guerre d’Algérie qui va accélérer le processus de la décolonisation.

Tout en ayant conscience, très tôt, du caractère inéluctable de l’indépendance de l’Algérie, les responsables français firent périr plus d’un demi million d’Algériens pour imposer les conditions de paix les plus favorables aux intérêts des trusts français. Les accords d’Evian de 1962 préservaient les entreprises françaises de toute expropriation mais les nationalistes du FLN continueront à donner du fil à retordre à l’Etat français et nationalisera les richesses du sous-sol et leur exploitation, principalement les hydrocarbures, tout en faisant jouer la concurrence entre les firmes françaises et américaines.

... à la décolonisation de toute l’Afrique

L’impérialisme français, à la fin des années 50, voulait justement éviter la généralisation du scénario algérien, d’avoir à lutter et négocier, dans le reste de l’Afrique, avec des futurs appareils d’Etat nationalistes indociles voire hostiles.

De Gaulle résuma très bien, en 1958, la nouvelle politique : « partir pour mieux rester ». Avec l’indépendance, on offrirait aux nouveaux Etats toute la quincaillerie nécessaire, hymnes, drapeaux, et places à l’ONU, pour préserver l’essentiel : un pré carré africain où les intérêts français seraient protégés à la fois contre les peuples et contre les impérialismes rivaux. Il faudrait pour cela laisser les clefs du « pouvoir » à des « amis de la France ».

Il y en eut pour tous les goûts ! Dans le Maghreb l’impérialisme français donna le pouvoir à un sultan féodal au Maroc, Mohammed V, et à un républicain laïc en Tunisie, Habib Bourguiba.

L’Etat français laissa la Côte d’Ivoire à un serviteur éprouvé, Félix Houphouët-Boigny. Chef traditionnel et grand propriétaire, il se donna une réputation radicale en affiliant à l’Assemblée nationale de 1945 à 1950 le Rassemblement Démocratique Africain (RDA) au PCF. Il fit partie, en 1946, des 29 députés africains élus à l’Assemblé constituante. Le gouvernement français expérimentait déjà un assouplissement de la colonisation, en laissant un peu de place aux « élites » et aux « africains évolués ». En 1950, l’année même où les troupes françaises eurent à réprimer brutalement une agitation nationaliste en Côte d’Ivoire, Houphouët lâcha le PCF et se rallia, à l’Assemblée, au parti de François Mitterrand, alors ministre… de l’Outre-Mer, c’est-à-dire des colonies ! Et le respectable « ministre de la République » de 1956 à 1959 devint dictateur de son pays en 1960.

Le Sénégal eut droit au poète et néanmoins dictateur Léopold Sedar Senghor. D’autres Etats se virent imposer des cadres « indigènes » de l’armée coloniale. Anciens sous-offs de « l’Indo », Lamizana et Soglo devinrent les dictateurs de la Haute-Volta (le Burkina Faso) et du Dahomey, Bokassa président puis empereur de la Centrafrique. Le futur général dictateur du Togo, Eyadema, était pour sa part sergent-chef en Algérie à la veille de l’indépendance.

A l’inverse, d’autres prétendants au pouvoir furent impitoyablement écartés. Au Cameroun, le nationaliste Ruben Um Nyobé fut assassiné par des barbouzes des services secrets français en 1958, tout comme, deux ans plus tard, son successeur à la tête du parti nationaliste. Il avait tenté de s’appuyer sur un soulèvement en pays bamiléké, en 1957, où l’armée française extermina des centaines de milliers de paysans.

Le pré carré africain

Une fois faite la sélection des hommes de paille et de main, entre juin et août 1960, l’essentiel des colonies d’Afrique noire devinrent des Etats indépendants. Leurs appareils d’Etat étaient en fait de simples prolongements de l’Etat français. Leur armée et leur police, constituées des anciennes troupes coloniales, restaient encadrées par des officiers français. Le tout ficelé dans un étroit maillage d’accords militaires, qui garantissaient des bases françaises sur tout le continent et d’accords « de coopération » économique et technique, termes plus élégants que pillage et exploitation. Les organisateurs des indépendances ne firent pas tant d’efforts de maquillage pour la monnaie : la plupart des anciennes colonies restèrent dans une zone Franc, ce qui offrait de considérables avantages aux entreprises françaises, par rapport à leurs rivales européennes, américaines ou japonaises. Le franc CFA des « Colonies Françaises d’Afrique » devint… celui de la « Communauté Financière Africaine ».

De simples subdivisions administratives du colonialisme devinrent les frontières, complètement artificielles, des nouveaux Etats. Des frontières qui coupaient des peuples en 2 ou 3 tronçons et ainsi les divisaient et affaiblissaient.

En 1962, quand l’Algérie accède à l’indépendance, il n’existe presque plus rien de l’empire colonial français. Mais le pré carré africain subsistait lui, tendu de barbelés et sous la garde de dictateurs dévoués à l’ancienne puissance coloniale. Aujourd’hui encore, ces peuples sont sous le joug de cette alliance : les dictateurs oppriment leurs peuples pour le profit des trusts, tout en s’enrichissant au passage, et ont d’autant plus besoin du soutien politique voire militaire de l’Etat français, pour garantir leur pouvoir.

Bernard RUDELLI

Mots-clés Afrique , Histoire , Impérialisme , Monde