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Intervention de Philippe Evrad, du comité de grève de PSA Aulnay, au forum de la Fraction l’Étincelle à la fête de Lutte ouvrière (19 mai 2013)

lundi 17 juin 2013

En Juin 2011, la CGT révèle un document « secret » de la direction lors d’un rassemblement sur le parking de l’usine. Juillet 2011, première assemblée réunissant 1 200 ouvriers. Le SIA est d’accord avec la CGT ; les autres syndicats (y compris SUD) restent attentifs ou nient l’existence du document « secret ».

Pendant un an, les militants de la CGT organisent seuls des petites réunions dans les Unités élémentaires de production (UEP) de chaque secteur, réunissant au total 500 salariés. La direction s’oppose à la dénonciation du plan « secret ». Elle continue de mentir jusqu’en juillet 2012, lorsqu’elle officialise la suppression de 8 000 emplois chez PSA et la fermeture de l’usine d’Aulnay (3 400 salariés). 8 000 suppressions qui deviendront 11 000 par la suite, avec bien sûr des conséquences sur les sous-traitants : au bas mot, cela fera 30 000 emplois supprimés.

De juillet 2012 au 16 janvier 2013, jour du déclenchement de la grève, il y a eu des mobilisations diverses, ne serait-ce qu’au moment des négociations du « Plan de sauvegarde de l’emploi » (PSE) engagées par la direction de PSA : des réunions qui n’ont abouti pratiquement à rien.

Il faut ajouter que le « Front syndical » avait éclaté en novembre 2012, le SIA, FO et la CFTC ayant notamment refusé de défendre les revendications des salariés à la préfecture de Bobigny. [1] Ces revendications allaient recueillir 1 600 signatures sur une pétition, un mois plus tard.

Après 18 mois de préparation, après la rentrée des vacances de Noël 2012, les travailleurs les plus conscients (autour de 250) décident de lancer la grève le plus tôt possible dans le mois de janvier, avant que l’équipe de nuit de Poissy soit lancée début février et que la production d’Aulnay baisse en C3 (la C3, comme chacun sait, c’est le modèle bas de gamme du groupe).

À titre d’indication, ce sont les ouvriers du Ferrage qui lancent la grève, le 16 janvier au matin, 24 heures avant la CGT.

Le mercredi 16 janvier, à 6 heures 46, le Ferrage s’arrête. Les ouvriers montent à l’atelier du Montage et la grève regroupe tout de suite 300 salariés qui passent en cortège dans les ateliers. Même scénario les deux jours suivants, avec une rumeur de renforcement pour le lundi. D’autres ouvriers pensent à nous rejoindre.

À cette rumeur, la direction met l’usine en chômage partiel (APLD [2]) toute la semaine qui suit le démarrage de la grève, afin de la casser. Chose inutile puisque les grévistes s’organisent à l’Union locale (dans les locaux de la Bourse du travail d’Aulnay) où, en effet, 150 ouvriers viennent renforcer le mouvement.

Pendant cette semaine à l’UL, nous mettons en place un Comité de grève, facilité par l’expérience de la grève de 2007. Celui de 2013 compte une cinquantaine de membres et est ouvert à tous ceux qui veulent y assister. Je peux vous dire que les discussions y sont chaudes ! Différentes commissions sont aussi mises en place.

Le 28 janvier, jour de rentrée à l’usine, la production ne reprend pas. Nous constatons qu’il y a 200 cadres venus d’autres usines de PSA, ceux qu’on baptise « pots de fleurs », ainsi que 50 vigiles en plus des 40 Russes (anciens de la guerre de Tchétchénie !) que la direction, toujours prévoyante, avait embauchés en mai 2012, et qui sont installés dans leur bunker. C’est cela, le recyclage Peugeot !

À partir du 28 janvier, les ouvriers non‑grévistes nous soutiennent en pratiquant la grève du zèle et, dans la semaine, des intérimaires se mettent en grève pour se faire payer l’APLD rapidement. De notre côté, nous allons enchaîner les manifestations, les opérations péage gratuit et le collectage de fonds dans les gares, les actions coups de poing contre les institutions étatiques soutenant PSA mais aussi des visites dans les autres entreprises du groupe à Saint-Ouen, Poissy, etc. Et nous ressentons partout la popularité de notre grève.

Nous allons aussi voir d’autres entreprises en lutte : Lear, Renault Flins, Renault Cléon, le Fret à l’aéroport de Roissy, où d’autres entreprises nous rejoignent avec des délégations : c’est le cas, par exemple, d’une délégation des camarades en grève de DMI, une fonderie dans l’Allier, en redressement judiciaire.

Voilà pour les aspects moralement réconfortants de notre grève : son organisation efficace et démocratique, ses initiatives. Et c’est important. Mais il me faut aussi parler de ses limites. Car dans le contexte actuel de vagues de licenciements et de fermetures d’entreprises, il faut constater que nous n’avons pas réussi à faire converger les mobilisations existantes pour en faire un fer de lance donnant une perspective à bien d’autres travailleurs en butte aux mêmes problèmes que nous.

Bien sûr, les luttes contre les licenciements sont difficiles et défensives. Le plus gros handicap de ces luttes, c’est leur isolement, même quand elles se déroulent parfois au même moment, et, du même coup, leur épuisement inévitable face à un patronat et un gouvernement qui, eux, ont mille moyens de centraliser les coups. Or, pour sortir de cette atomisation des luttes, rien ne se fait spontanément. Ce n’est même pas une lutte dite exemplaire qui peut suffire. C’est aux travailleurs les plus conscients, déjà engagés dans une lutte importante, de faire preuve d’une démarche volontariste et d’en convaincre concrètement leurs camarades de combat.

C’est là où il a manqué une politique à notre grève pour dépasser le seul cadre de PSA, au moment où elle bénéficiait d’un très large écho dans tout le pays.

Nos déplacements auprès d’autres entreprises, et certains rassemblements en sont restés au stade de gestes de solidarité ou, comme nous l’a dit un ouvrier ces jours-ci, au stade de visites de courtoisie. C’était une amorce, c’était nécessaire, un petit début, mais pas suffisant. Pour dépasser ce stade, il aurait fallu, quel que soit le nom qu’on lui donne, essayer de construire… disons quelque chose comme un comité des luttes et des mobilisations (quel que soit leur niveau du moment) pour les fédérer, élargir le cadre au fur et à mesure et, ensuite, s’adresser ensemble aux autres travailleurs, eux aussi touchés par les licenciements, les suppressions de postes, les conditions de travail dégradées suite aux accords dits de compétitivité. Dans le contexte politique et social actuel, cette stratégie de construction d’un mouvement invitant les salariés des différents secteurs à faire cause commune était, j’en suis convaincu, à la portée des 200 ou 300 ouvriers engagés dans notre grève longue, dure, déterminée ; donc à la portée d’autant de combattants disponibles et vers qui étaient tournés les yeux de dizaines de milliers de salariés, le dos au mur dans leur petite ou moyenne entreprise, un peu partout dans le pays.

Juste un détail : il y a deux semaines, jeudi 2 mai, le journal Le Monde invitait Montebourg à débattre avec trois leaders ouvriers : Édouard Martin d’Arcelor-Mittal Florange, notre camarade Jean-Pierre Mercier de PSA Aulnay et Nathalie Durand des chantiers navals de Saint-Nazaire que l’actionnaire majoritaire coréen a annoncé vouloir vendre. À la réflexion, cela a quelque chose d’un peu rageant : il a fallu que ce soit un journal bourgeois soutenant le gouvernement qui rassemble des syndicalistes de trois boîtes sur la sellette, pour écouter le baratin d’un ministre. Certes, les trois leaders ouvriers lui ont répondu vertement, mais chacun sur sa seule entreprise.

Alors, franchement, imaginons que, depuis des mois, ce ne soit pas Montebourg qui les ait réunis mais nous, les grévistes d’Aulnay, qui ayons invité publiquement à faire cause commune les leaders ouvriers d’Arcelor, de Doux, de Fralib, de Sanofi, de Virgin, de la fonderie DMI, des laiteries Candia, de la serrurerie industrielle JPM, des chantiers de Saint-Nazaire, de Goodyear et quelques autres. Pour se concerter, pour envisager la suite et pour s’adresser ensemble, non pas à Montebourg (ou très accessoirement), mais à tous les autres travailleurs cherchant à sortir de leur isolement.

Soyons réalistes, nous n’aurions sans doute pas pour autant déclenché la grève générale. Nous n’en sommes pas là ; chaque chose en son temps. Par contre, nous aurions posé des jalons essentiels pour les luttes à venir. Un premier tremplin pour leur extension et leur généralisation.

Alors, camarades, si les communistes révolutionnaires, là où ils sont dans les entreprises, qui plus est dans celles qui ferment, là où précisément ils ont réussi à engager une grève longue, dure, déterminée, emblématique et populaire, ne proposent pas et ne tentent pas de remplacer les fédérations et les confédérations syndicales (qui, en passant, ont abandonné les ouvriers confrontés à ces fermetures d’entreprises), qui d’autre va donner les moyens à notre classe sociale de riposter efficacement aux attaques du patronat et du gouvernement ?

Bien sûr, rien n’est gagné d’avance. Mais en tant que révolutionnaires, il s’agit de ne pas passer à côté d’une possibilité d’ouvrir une perspective à la classe ouvrière, de la convaincre concrètement qu’il est possible de créer ses propres cadres d’unification des luttes et de viser ainsi à inverser effectivement le rapport des forces dans la crise actuelle.

Après tout, rien n’est encore perdu. Cette grève de quatre mois à Aulnay se termine… pour l’instant. Bien des travailleurs à Aulnay, ne serait-ce que parmi les non-grévistes, y compris parmi ceux qui ont cru pendant tant d’années aux promesses de Peugeot, se sentent aujourd’hui trahis par la direction.

PSA n’est pas à l’abri de nouveaux coups de colères et nous, camarades, nous pouvons connaître de nouveaux rebondissements. La boîte ne fermera qu’en janvier 2014. Nous avons encore l’année en cours pour mettre en place la politique que je viens d’évoquer. Mieux vaut tard que jamais.

Malheureusement, les licenciements et les fermetures de boîtes risquent bien de se multiplier dans la période qui vient. Alors, ce que nous n’avons pas réussi à Citroën, si nous ne le réussissons pas dans les mois qui viennent, une ou d’autres boîtes peuvent le faire. En tout cas le tenter. C’est dans cette orientation que nous, à la Fraction l’Étincelle, continuerons à militer partout où nous sommes.


[1Retrait du PSE ; maintien de la production de la C3 jusqu’en 2016 ; un CDI pour tous ; préretraites à 55 ans ; 130 000 euros d’indemnité de départ plus 2 500 euros par année d’ancienneté, net d’impôt et de cotisation ; reclassement pour les CDD, intérimaires et salariés de la sous-traitance ; etc.

[2Activité partielle de longue durée, payée par l’État.

Mots-clés Entreprises , PSA