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Algérie : calme avant la tempête ?

lundi 28 janvier 2013

La prise d’otages sur le site de BP, conséquence du choix du président Bouteflika de s’engager derrière « la France » dans l’aventure guerrière malienne, et la tuerie organisée par l’armée algérienne en retour, pourraient bien bousculer le compromis social que le gouvernement algérien, grâce à la manne pétrolière, parvenait jusque-là à maintenir face aux tempêtes du monde arabe. C’est cet engagement algérien, à reculons mais sans réserves, que François Hollande est allé décrocher à Alger en décembre dernier, plus que le contrat pour une usine Renault à Oran, en échange de quelques piètres excuses pour les crimes coloniaux du passé. C’est avec les crimes d’aujourd’hui qu’il embarque l’Algérie dans la tourmente.

Durant ces deux dernières années de bouleversements du monde arabe, il était de bon ton en Algérie de se féliciter que ce ne soit « pas pareil chez nous ». Bouteflika et son armée n’avaient-ils pas « sauvé le pays du terrorisme » par la guerre contre les groupes islamistes, de 1992 à 2002, au prix certes de quelque 100 000 victimes, aux premiers rangs desquelles des militants syndicaux, associatifs, féministes ? C’est en surfant sur ce sentiment de « plus jamais ça », sur l’idée que la révolte amènerait à un nouveau chaos, que le gouvernement et le patronat algériens ont maintenu leur esquif à flot malgré la tempête. L’exemple du sort de la Libye, ou aujourd’hui de la Syrie, a pesé dans le même sens.

Une actualité sociale débordante

Pourtant, c’est loin d’être le calme social. Les révolutions tunisienne et égyptienne ont fait monter d’un cran la combativité dans les entreprises pour les salaires ou les conditions de travail, dans les quartiers pour les logements ou les transports, dans la jeunesse contre le chômage ou pour l’accès à des établissements scolaires plus dignes. Une riche rubrique sociale alimente les quotidiens algériens, de grèves parfois longues et dures, avec licenciements ou heurts avec la police, ou de quasi-émeutes populaires, certes toujours localisées, avec rassemblements et barrages de routes.

Le 3 janvier dernier, la ville de Biskra (au sud de Constantine) était « en ébullition » après l’affichage d’une liste de 522 bénéficiaires de logements sociaux attendus depuis des années par plus de 14 000 postulants. Rassemblements dans la ville, prise d’assaut de la Daïra (équivalent de la sous-préfecture), intervention des brigades anti-émeutes… interpellations et blessés.

Le même 3 janvier, le centre-ville de Ouargla (dans le Sud) était secoué par de sérieux affrontements entre les forces de l’ordre et des manifestants venus réclamer du travail. Le quotidien El Watan rapportait le témoignage d’un riverain : « Au fil des heures, la tension était palpable. Et le ton est monté entre certains protestataires et des policiers, tout s’est embrasé. » Les affrontements ont gagné d’autres quartiers. Ils ne sont pas les premiers dans cette ville de 200 000 habitants. Les jeunes y sont dans leur grande majorité sans emploi, alors que la wilaya (l’équivalent du département) est riche de pétrole.

Au tout début janvier, la grève de la Poste a été largement suivie pour des revendications salariales. Celle qui a démarré à la fin novembre sur le chantier du métro d’Alger n’est pas terminée. L’entreprise portugaise donneuse d’ordre fait travailler 12 heures par jour avec des contrats précaires de 6 mois, ramenés arbitrairement à 3 mois. L’entreprise a licencié des dizaines de grévistes (presque le tiers de l’effectif de 300), l’affaire est en justice. Grèves, en décembre aussi, du personnels hospitalier paramédical (autres que médecins). Grèves d’enseignants. Grève sur un chantier naval de Béjaïa, en Kabylie. Grève dans une entreprise de céramique d’Oranie pour 25 % d’augmentation de salaires. Dans une laiterie de Draâ Ben Khedda (entre Alger et Tizi-Ouzou), pour les salaires et contre les heures supplémentaires, un travailleur confiant à un journaliste : « J’ai peur que le patron mette un Chinois à ma place. » (beaucoup de travailleurs chinois travaillent en Algérie, particulièrement dans le bâtiment). Grève au début décembre des bus « bleus » d’Alger, ETUSA, entreprise publique de 1 500 personnes.

Et jusqu’à cette plate-forme gazière d’In Amenas (wilaya d’Illizi), lieu devenu célèbre par la toute récente prise d’otages et sa sanglante répression, où les travailleurs ont fait grève de juin à août 2012, parce que près de 500 sous-traitants de l’entreprise BAAT agissant sur le site demandaient leur intégration à la Sonatrach (entreprise publique algérienne du secteur des hydrocarbures)..

On accuse les travailleurs de gourmandise, on arrose les patrons

Ces conflits s’accompagnent souvent d’âpres luttes inter-syndicales, impossibles à démêler, entre bureaucratie de l’UGTA (syndicat officiel) et militants locaux, comme au complexe sidérurgique d’El Hadjar – la presse accusant les syndicalistes locaux d’être responsables de « grèves à répétitions » qui « cassent la production ». C’est pourtant Arcelor-Mittal, au profit duquel le trust a été privatisé il y a quelques années, qui a laissé les installations dépérir au point de faire craindre la fermeture. Cela ne vous rappelle rien ? Des querelles aussi opposent l’UGTA officielle, très conciliante avec les autorités, et des syndicats « autonomes » cantonnés à des catégories particulières (paramédicaux, postiers, enseignants), mais qui permettent au mécontentement de s’exprimer, aident à engager des luttes, tout en étant très préoccupés de se placer face à l’UGTA.

Bien des luttes ont lieu contre l’État, pas seulement parce qu’il est patron d’un secteur public important ou contrôle des entreprises mixtes dans lesquelles il détient 51 % des parts (ce qui est projeté aussi pour l’usine Renault). Mais aussi parce que l’État a pour politique d’aider les patrons pour prévenir ou mettre un terme aux conflits en concédant quelques augmentations de salaires, vite reprises par la hausse des prix.

Ainsi, fin décembre, le président Bouteflika paraphait la loi de finances 2013, axée sur le « soutien à l’investissement » avec le énième programme de « rééchelonnement des dettes fiscales d’entreprises en difficulté », défini lors d’une « tripartite gouvernement-UGTA-patronat » de septembre 2011. 15 500 entreprises bénéficiaires ! La manne étatique et pétrolière arrose donc… à la folie les fonctionnaires de haut rang et circuits mafieux, passionnément les patrons, beaucoup une certaine bourgeoisie et petite bourgeoisie qui vit plutôt mieux qu’avant, mais bien peu ou pas du tout les classes populaires. Les conditions d’exploitation sont très dures (50 000 travailleurs du BTP n’ont aucune couverture sociale). Le chômage reste endémique. Le logement désastreux. Vivement discutées sont actuellement les hausses de prix de produits de base : œufs, poulet, lait, pain, semoule, légumes… En fait les écarts se creusent.

Bouteflika croise les doigts : Inch’Allah !

Bouteflika et les siens ont probablement le nez fin de faire construire cette grande mosquée d’Alger (une entreprise chinoise a gagné le marché) de 120 000 places, minaret de 300 mètres, troisième plus grand édifice musulman du monde et plus d’un milliard d’euros ! Si par leur politique de soutien à l’intervention française au Mali ils compromettent le précaire équilibre social assis sur la manne pétrolière, il ne leur restera plus qu’à prier !

18 janvier 2013, Michelle VERDIER


Un plus un font un

« Y’en n’a qu’une, c’est la Une ! ». Cette vieille blague algérienne sur la télévision nationale est aujourd’hui valable pour le métro d’Alger qui porte fièrement l’enseigne « ligne 1 »… sans ligne 2 ni 3. Et même sans terminus, la compagnie portugaise de construction ayant licencié, pour fait de grève, les ouvriers chargés du dernier tronçon. Mais dénigrer ainsi, c’est ignorer la grammaire arabe dont les verbes ne comportent que deux modes : l’accompli et l’inaccompli. Le présent, comme le futur, faisant partie du second.

Mots-clés Algérie , Monde