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Syndicalisme à Saint-Pétersbourg

dimanche 22 janvier 2012

Le survol qui suit, d’une dizaine d’années d’activité syndicale à l’usine Ford de Saint-Pétersbourg, avec ses prolongements politiques, s’appuie sur des informations de la presse syndicale elle-même – en particulier du journal Le travailleur de l’automobile , publié par le MPRA (Organisation syndicale interrégionale des travailleurs de l’automobile), syndicat constitué il y a quelques années à la suite d’une grève marquante chez Ford Vsevolojsk (région de Saint-Pétersbourg) – en rupture avec les pratiques ronronnantes de la vieille Fédération syndicale. Informations qui montrent, si besoin était, qu’il existe une vie syndicale « ordinaire » dans bien des entreprises russes, avec son cortège d’efforts et de succès, de problèmes épineux... Ce n’est peut-être pas un hasard si un renouveau syndical se manifeste dans quelques-unes de ces entreprises étrangères, en particulier de l’automobile (General Motors, Ford, Nissan, Hyundai, Volkswagen, Renault, etc.), considérées comme géantes dans la Russie actuelle parce qu’elles comptent 2 000 à 3 000 personnes, et des ouvriers plutôt jeunes. Des militants s’efforcent de renouer avec des traditions d’organisation ouvrière combative, malgré la répression patronale ou gouvernementale, brutale ou chicanière.

Un « Syndicat Ford » voit le jour en 2002 [1]

Chez Ford Vsevolojsk, dans la région de Saint-Pétersbourg qui a vu fleurir au début des années 2000 de nouvelles implantations de constructeurs automobiles étrangers. Il est rattaché au Syndicat de l’automobile de Russie, lui-même rattaché à la vieille centrale citée plus haut. Mais il s’est créé sur une base contestataire, pour contrer la direction qui violait le Code du travail en ne voulant pas payer les heures supplémentaires et en cherchant à les imposer comme une contribution nécessaire au bien de l’entreprise. Peu après, une nouvelle action collective, pétitionnaire, auprès de l’inspection du travail aboutit à la démission d’un DRH. Comme parade, de 2003 à 2005, la direction concentre ses efforts sur la création d’un syndicat maison, recruté en bonne partie parmi des employés et des cadres.

À l’été 2005, le Syndicat Ford se structure

Il réunit dans la cantine de l’usine près de 60 de ses membres, qui élisent un représentant syndical et une petite direction ; dans les semaines suivantes des réunions d’atelier et une campagne de syndicalisation multiplient par 10 les effectifs, de telle sorte qu’à la fin 2005, le syndicat compte près de 1 200 membres et fait valoir ses revendications auprès de la direction (notamment une hausse de salaires de 30 %, la mise en place d’un treizième mois, la création d’une commission pour gérer les fonds destinés à la Sécurité sociale).

Une bouffée d’air en dehors des frontières

Des contacts avec le syndicalisme international se nouent. Le syndicat vit de cotisations des salariés mais aussi de financements extérieurs – de structures syndicales anglo-saxonnes. À l’été 2005, quelques membres du Syndicat Ford participent à un séminaire au Brésil organisé par Transnational Information Exchange dont le but est l’échange d’informations, et la consolidation de syndicats Ford à travers le monde. Ces rencontres ouvrent des horizons et d’autres perspectives, encourageantes pour des militants confrontés à une situation difficile en Russie.

2005 et l’expérience de la collusion patrons-syndicats

À Saint-Pétersbourg, la fin de l’année 2005 connaît une bataille serrée entre le Syndicat Ford et le syndicat maison. Le premier trouve l’appui de près de 1 000 salariés, y compris par une grève pour les salaires, en mars 2006, que le patron tente d’empêcher par une action en justice [2]. Face à un patron qui a recouru à l’embauche de quelque 200 ouvriers extérieurs pour faire les « jaunes », le Syndicat Ford n’a pas trouvé d’appui du côté de la FNPR (mastodonte traditionnel) qui a négocié avec la direction sans que le syndicat de l’entreprise ne soit invité, et a expliqué aux travailleurs qu’il fallait être réalistes, tenir compte des salaires moyens de l’automobile en Russie, largement inférieurs à ceux de Ford (chez Ford 17 000 roubles, soit près de 500 euros mensuels à l’époque).

2006-2007, cette fois la grève

Les déboires du Syndicat Ford avec la bureaucratie syndicale l’ont amené à quitter la centrale traditionnelle, à nouer d’autres contacts et, à la mi-2006, à créer une Organisation syndicale interrégionale des travailleurs de l’automobile (MPRA, qui n’arracha son enregistrement qu’après un an de zizanies juridiques). Le Syndicat Ford a mené bataille en 2007 pour que le patron élabore des conventions collectives, l’usine Ford Russie étant quasiment la seule à en être privée. Et l’activité militante a abouti à ce que du 25 novembre au 14 décembre 2007, le mécontentement s’exprime par la plus grande grève menée jusque-là, avec quelque retentissement au-delà des frontières de Russie. [3] Les salaires ont été augmentés de 16 % à 21 %, les heures supplémentaires limitées et payées double. Le syndicat obtenait que leur introduction soit désormais soumise à son approbation – un genre de reconnaissance. La grève chez Ford a été suivie d’autres grèves dans le secteur de l’automobile.

En 2007, le MPRA s’affirme

À l’Organisation syndicale interrégionale des travailleurs de l’automobile (MPRA) fondée peu auparavant, se sont joints le syndicat Edintsvo (Unité) de l’usine Togliatti (trust Avtovaz, ex entreprise d’État qui produit des Lada), celui de l’usine Renault-Autoframos à Moscou, ainsi que d’autres syndicats de l’automobile de Kalouga, Taganrog, Tver. Les statuts ont été modifiés pour permettre l’adhésion de syndicats de sous-traitants de l’automobile.

Dans les années suivantes, le MPRA (qui compte au total quelque 40 000 membres dans tout le pays, là où le mastodonte officiel en regroupe formellement des millions) a continué ses campagnes pour l’augmentation des salaires dans l’automobile (l’inflation est importante), puis une campagne plus générale sur le thème « les travailleurs ne doivent pas payer la crise ». Une campagne en 2010 a riposté à la proposition du milliardaire Mikhaïl Prokhorov (candidat à la présidentielle de mars 2012) d’instituer une semaine de 60 heures et la liberté pour l’employeur de licencier à sa guise en invoquant une quelconque « raison économique ».

Des syndicalistes à la Douma poutinienne ?

Avec les succès syndicaux, non seulement chez Ford Vsevolojsk mais plus largement dans l’automobile, le syndicat change quelque peu de statut. En avril 2011, il obtient d’avoir un permanent. Son principal leader, Alexeï Etmanov, laisse cette place à un collègue. Les élections législatives étant en vue, lui annonce sa volonté d’être candidat au niveau régional (Saint-Pétersbourg) et fédéral. Lors d’une interview réalisée par un militant d’extrême gauche du « Mouvement socialiste russe » [4], il ne cache pas des visées légitimes mais légalistes : « Nous avons le projet d’introduire des changements dans le Code du travail afin d’apporter une solution aux problèmes rencontrés par les syndicats et les travailleurs. Nous pensons que notre participation aux élections contribuera à défendre les intérêts des travailleurs et à renforcer les syndicats, et notamment le MPRA. » Alexeï Etmanov expose aussi les raisons qui l’ont conduit à s’allier au parti Russie Juste : ce parti a une image de parti d’opposition [5], il prête l’oreille aux syndicats indépendants, il a fait des propositions de loi à la Douma fédérale à partir de celles des syndicats et la majorité des propositions du MPRA ont été intégrées dans son programme… Alexeï Etmanov précise qu’il se présente sur les listes de Russie Juste sans en être membre. Il garde ses attaches avec un Front uni des travailleurs, une organisation non enregistrée (c’est-à-dire que le pouvoir ne veut pas reconnaître) rassemblant des groupes radicaux de gauche, des syndicalistes indépendants, des militants en butte souvent à la répression. Dans la mesure où l’on refuse de nous enregistrer, dit Alexeï Etmanov, nous avons décidé de favoriser la présence d’ouvriers et de militants sur les listes électorales du Parti communiste de la Fédération de Russie (KPRF) et de Russie Juste. « Le KPRF a refusé d’inscrire sur ses listes des leaders ouvriers tandis que Russie Juste a accepté ». Outre Etmanov, se sont ainsi trouvés sur les listes de Russie Juste les vice-présidents du MPRA et du syndicat Edinstvo de Avtovaz.

Une histoire à suivre.

M.V.


[1Les informations de cet article proviennent essentiellement du syndicat interrégional de l’automobile MPRA et de sa presse (www.mpra.info).

[2Le Code du travail russe veut grosso modo que 99 % des cas de grèves puissent être considérés comme illégaux. Pour organiser une grève, il faut annoncer combien de personnes sont censées y participer, combien de temps elle doit durer… un « droit » de grève bridé davantage encore qu’en Allemagne.

[3Infos dans les médias, grâce entre autres à un Collectif de chercheurs autour de Carine Clément, à Moscou.

[4Le MSR est né il y a près d’un an de la fusion de « Vpériod » (section de la IVe) et de quelques autres groupes.

[5Russie Juste est de ces quelques partis admis par le pouvoir à participer aux élections et plus généralement à la vie politique officielle.

Mots-clés Automobile , Monde , Russie , Syndicats
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