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Tout dans la Com

jeudi 24 novembre 2011

La perception de la sécurité de l’industrie chimique par le grand public oscille entre méconnaissance et méfiance. Les patrons de la Chimie, quant à eux, font de la sécurité un des axes de leur communication, aussi bien vis-à-vis de ce grand public (et, en premier lieu, des riverains voisins des usines) qu’en interne, vis-à-vis des salariés.

L’art de se défausser sur la protection individuelle

Depuis une période relativement récente (une décennie environ), les directions en interne mettent l’accent sur le port des Équipements de Protection Individuelle. Ces « EPI » sont un ensemble d’accessoires fournis par les entreprises. On y dénombre le casque, les lunettes de protection, les chaussures de sécurité, le bleu et les gants. Si la généralisation de l’accès aux EPI et de leur port obligatoire représente incontestablement un progrès des conditions de travail par rapport aux débuts de l’industrie chimique, cette médaille comporte un revers.

Premièrement, la fourniture d’équipements de protection individuelle représente de toute évidence la solution la moins chère et la plus facile à mettre en place, surtout si on la compare avec les aménagements structurels qui permettraient d’améliorer réellement les conditions de sécurité des ouvriers. Il est bien plus rapide et moins onéreux de rendre le port du casque obligatoire dans des zones de l’atelier incriminés par des accidents plutôt que de faire les travaux de sécurisation.

Ensuite, cela permet aux directions de se réfugier derrière le non-port de ces protections en cas d’accident. En effet, même quand cela n’aurait pas évité la blessure ni sa gravité, l’ouvrier se fera reprocher de ne pas les avoir portées dans les différents rapports sur l’accident. Le « non-port » du casque sera systématiquement signalé même s’il s’agit d’une coupure au bras. Car l’axe de défense et de communication principale du patronat de l’industrie chimique, c’est la responsabilisation individuelle qui conduit à une culpabilisation de l’ouvrier.

La culpabilisation de l’ouvrier

Dans l’abondante communication interne qui suit et analyse un accident et ses causes, on trouve partout la notion « d’écart à la norme ». Ces « écarts » peuvent aller d’un matériel non conforme à une rampe d’escalier non tenue, voire même à une trace de précipitation dans le comportement de l’accidenté. L’objectif est de toujours avoir sous la main une norme, un règlement ou une consigne qui permettra à l’entreprise de se dédouaner de ses responsabilités. En guise de saine réaction, elle pourra même en inventer de nouvelles pour un éventuel prochain incident similaire.

Les non-déclarations de l’arrêt de travail

Une fois l’entreprise dédouanée, la culpabilité de l’accident se reportera directement ou incidemment sur la victime elle-même. Cette culpabilisation sert une volonté réelle des entreprises de camoufler les accidents du travail avec arrêts car ces derniers provoquent des augmentations de cotisations sociales. Cette pratique ne représente rien de moins qu’une fraude caractérisée à la Sécurité sociale. En position de faiblesse, l’accidenté sera plus disposé à accepter les arrangements proposés par son encadrement, lequel ne manque pas de lui imposer sa présence bienveillante lors des premières démarches qui suivent l’accident. Et ces arrangements n’ont qu’un but : ne pas déclarer d’arrêt de travail. Ainsi, il n’est pas rare qu’un ouvrier blessé se voie confier un poste aménagé pendant la durée de sa convalescence, sorte de placard temporaire dans lequel il ne sera exposé à aucune source de nouvel accident. Si l’ouvrier ne peut pas conduire pour se rendre au travail, qu’à cela ne tienne, un chef peut venir le chercher chez lui. Quand la situation l’exige le travailleur blessé peut même tout simplement être payé pour rester chez lui. Bien sûr, une telle mansuétude est conditionnée par la non-déclaration de l’arrêt de travail.

En bonne communicante, la direction de Rhodia a récemment mis en place sa propre échelle de gravité pour caractériser les accidents du travail, ce qui lui permet de présenter en toute transparence des statistiques où la notion d’accident « avec arrêt » a mystérieusement disparu…

Le cinéma

Il serait donc parfaitement injuste de dire que les patrons de la Chimie se désintéressent de la question de la sécurité car, en termes de communication et de camouflage, les efforts sont bien là. À titre d’exemple, le groupe Arkéma organise des « temps forts sécurité » : les ouvriers sont invités à inventer des scénarios puis à tourner des clips de sécurité sur leur site, au lauréat (du meilleur scénario), un GPS décerné par un jury du service communication ! Dans le même ordre d’idée les journées HSEI organisées par Rhodia (voir encadré). Bref, une approche « divertissante », au sens propre du terme, de la sécurité industrielle : cachez ces failles de la sécurité que notre bonne volonté communicante ne saurait voir. Quitte, en attendant mieux, à faire exploser la poudre aux yeux !

Philippe CAVEGLIA


Rhodia met les petits plats dans les grands

Début septembre, profitant d’un arrêt technique de deux jours, Rhodia SFC a organisé un genre de grand raout sur la sécurité, les journées Hygiène Sécurité Environnement Industriel (HSEI ). Au programme des festivités : des jeux de rôle avec comédiens mettant en scène des incidents, des stands de jeux pédagogiques, et même une attraction digne d’un parc à thème : une voiture simulant des tonneaux, pour bien sûr insister sur le port de la ceinture de sécurité.

Sur le plan du contenu, rien évidement sur la dernière série d’incidents dans l’usine ou sur des projets d’amélioration des conditions de travail, mais toujours le même bourrage de crâne sur la responsabilité individuelle, et toujours le même déploiement de gadgets (on pouvait partir avec des objets siglés « journées HSEI Rhodia ») au service de la seule communication.

P.C.

Mots-clés Chimie , Conditions de travail , Entreprises
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