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Sous-traitance, sous-sécurité !

jeudi 24 novembre 2011

L’implication de la sous-traitance dans l’explosion de l’usine AZF a mis en lumière le danger qu’elle représente dans l’industrie chimique [1]. Ce sont bien l’état d’abandon d’un hangar de stockage et la désorganisation induite par la sous-traitance qui sont à l’origine de l’explosion. Une désorganisation que ne connaissent que trop bien les travailleurs du secteur.

Les Trente Glorieuses de la sous-traitance

Le milieu des années 1970 a vu l’essor de la sous-traitance dans la Chimie, à l’image du reste de l’industrie. Auparavant, la plupart des tâches, y compris la maintenance, étaient réalisées par des travailleurs de l’entreprise. Cela pouvait se matérialiser par l’existence d’un atelier central pouvant compter des centaines d’ouvriers. Leur travail consistait à intervenir sur les installations des ateliers de fabrication, et à tourner dans l’usine, à l’affût d’éventuels dysfonctionnements.

Cette époque semble aujourd’hui lointaine. Les grandes entreprises du secteur ont pris le parti de la « chimie pour la chimie » et veulent sous-traiter tout ce qui n’est pas à proprement parler de la fabrication : nettoyage, gardiennage, analyses, conditionnement, formation, sécurité, maintenance, etc. La sous-traitance représente aujourd’hui une part importante du secteur [2].

Une vraie poule aux œufs d’or. Au lieu d’affronter directement les travailleurs, le donneur d’ordres fait pression sur les salaires et les conditions de travail à travers un simple contrat commercial entre deux entreprises. Il suffit alors de mettre les sous-traitants en concurrence et de choisir le meilleur exploiteur sur le marché. On trouve ainsi dans les usines de l’industrie chimique des travailleurs d’entreprises différentes aux statuts et conditions de travail les plus divers. Par exemple, sur les usines de Rhodia Saint-Fons Chimie et d’Arkema Pierre-Bénite dans le Rhône, les sous-traitants représentent un quart de l’effectif. De ce point de vue, de véritables chantiers du BTP !

En ce qui concerne la sécurité, cette situation permet la déresponsabilisation du donneur d’ordres. Premièrement, cela lui permet de faire baisser ses statistiques d’accidents du travail avec arrêt, et d’éviter ainsi les amendes de la sécu. Deuxièmement, une partie des tâches les plus dangereuses, comme la maintenance, est sous-traitée. Par exemple, les « ouvertures de ligne », c’est-à-dire la rupture du confinement du procédé, entre autres en ouvrant des conduites, sont réalisées par des sous-traitants ; or cela comporte des risques de projections de produits. De même, ce sont, la plupart du temps, les sous-traitants qui sont amenés à faire du feu (disqueuse, fer à souder) dans les ateliers, avec les risques d’incendie ou d’explosion que cela comporte.

Les poupées russes de la maintenance

Prenons l’exemple de la maintenance des installations. Plusieurs types de contrats lient les donneurs d’ordres aux sous-traitants de la maintenance. Cela peut aller des interventions ponctuelles payées à l’unité, au « contrat de maintenance » par lequel le sous-traitant s’engage à réaliser l’ensemble des travaux de maintenance du donneur d’ordres. Tous les moyens sont alors bons pour honorer le contrat, comme l’embauche d’autres sous-traitants [3] ou d’intérimaires.

Ces entreprises fonctionnent avec un effectif minimal, quitte à le faire tourner sur plusieurs sites pour combler les trous, ou à acheter de la main-d’œuvre ailleurs en cas de besoin.

Dans la Chimie, les installations sont inspectées et réparées lors d’arrêts périodiques (triennaux, décennaux). Il peut y avoir alors près d’un millier de travailleurs des entreprises extérieures sur une usine qui compte quelques centaines de salariés comme Arkema à Pierre-Bénite. Ces arrêts représentent pour les patrons un gros besoin de main-d’œuvre… qu’ils veulent ponctuel. D’où la sous-traitance en cascade de ces travailleurs, l’intérim, avec nomadisme imposé à certains [4]. Par exemple, à la rentrée 2011 trois arrêts se sont succédé dans le couloir de la Chimie en banlieue lyonnaise (Total, Rhodia Saint-Fons, Arkema Pierre-Bénite). Les ouvriers formés à ce travail ne courant pas les rues, certains d’entre eux viennent d’autres régions, et logent au camping le temps des travaux. Ils découvrent les installations sur lesquelles ils interviennent et ignorent des détails concernant le danger qu’ils courent qui peuvent leur mettre la puce à l’oreille.

Ces arrêts exigent aussi un travail d’organisation des travaux. Des techniciens du donneur d’ordres, les coordinateurs de chantier, sont censés superviser les travaux. Là aussi, c’est la flexibilité qui prime. Les coordinateurs en question étant surtout nécessaires au moment des arrêts, les entreprises n’en embauchent qu’un minimum. Quand elles en ont besoin, elles vont les chercher sur d’autres sites, ou chez des sous-traitants, tout en les surchargeant de travail. Par exemple, lors du dernier arrêt à Pierre-Bénite, Arkema est allé chercher des coordinateurs de chantier à l’autre bout de la France. Dans ces conditions, ces derniers ne peuvent pas suivre l’ensemble des travaux et, parfois, ne connaissent pas les spécificités des installations dont ils doivent coordonner la maintenance. Cela peut engendrer des problèmes, comme la réalisation d’interventions dans le mauvais ordre. Et des travaux réalisés au mauvais moment peuvent se solder par l’exposition à des produits hautement cancérigènes, sans parler du risque d’explosion. Par exemple si une cuve est ouverte avant d’avoir été totalement vidangée.

En soi, pour certains métiers très spécialisés (et pas pour l’ensemble de la maintenance), il n’est pas absurde que des travailleurs tournent sur plusieurs sites. Mais rien ne justifie les conditions dans lesquelles cela se fait actuellement : précarité, bas salaires, etc. Rien ne justifie non plus que ces travailleurs ne soient pas embauchés par les donneurs d’ordres, qui peuvent très bien organiser cette répartition des travailleurs sur différents sites.

Cela est d’autant plus vrai pour le reste de la sous-traitance. Si l’on prend l’exemple du nettoyage, la sous-traitance a exclusivement pour but de mieux exploiter ces travailleurs.

La sous-traitance des licenciements

L’utilisation de la sous-traitance conduit à une revendication naturelle (et juste en soi) des travailleurs, à savoir la reprise de l’activité sous-traitée par le donneur d’ordres, ou réinternalisation dans le jargon. Les patrons du secteur entreprennent parfois de détourner cette revendication à leur profit pour supprimer des postes.

Par exemple, à Pierre-Bénite, Arkema a réinternalisé les techniciens analyseurs. Des postes estampillés Arkema ont été créés, ce dont la direction s’est flattée. Mais Arkema a embauché moins de techniciens que le sous-traitant n’en faisait travailler sur cette activité. Globalement, l’opération se solde par une suppression d’emplois.

À Saint-Fons, Rhodia s’est même fait une spécialité de se servir des réinternalisations pour faire passer la pilule de suppressions de postes. Si des travailleurs Rhodia quittent un atelier pour diverses raisons (départ en retraite, etc.), ils sont, dans un premier temps, remplacés par des sous-traitants. Cela peut se faire de diverses manières : par exemple, si les ouvriers en question sont polyvalents, la direction les recentre sur le « cœur de métier » (la fabrication) et fait appel aux sous-traitants pour des activités considérées comme annexes (le conditionnement par exemple). La direction compte alors sur le fait que les ouvriers se sentent soulagés de l’accomplissement de tâches considérées comme ingrates. Puis elle supprime des postes Rhodia sur l’atelier, renvoie l’entreprise extérieure et reclasse les travailleurs Rhodia sur les postes anciennement occupés par des sous-traitants. Le tour est joué, Rhodia peut afficher fièrement « zéro licenciement sec » alors que des emplois ont été détruits. Quant aux travailleurs de l’entreprise extérieure, ce sont les dindons de la farce : soit leur entreprise leur trouve un travail ailleurs, ce qui lui permet de ne pas embaucher, soit ils perdent leur travail. Au sous-traitant de licencier !

Du point de vue des intérêts généraux de la classe ouvrière, c’est le nombre d’emplois globaux – donneur d’ordres et sous-traitants inclus – qui est important.

Tous dans le même bateau

Les patrons se servent de divers tripatouillages sur leurs statuts. Les travailleurs ont eux tout intérêt à défendre leur unité, et donc à revendiquer l’embauche par le donneur d’ordres de tous les salariés sous-traitants qui le souhaitent. Pour cela, on ne fera pas l’économie d’une lutte qui touche les travailleurs, quel que soit le nom de l’employeur figurant sur la fiche de paye (il peut y en avoir facilement une dizaine sur un même site). Bien sûr, l’éclatement des salariés en de nombreuses entreprises représente un obstacle dans cette voie. Mais il est vital de le surmonter. Ne serait-ce que parce que, en cas d’accident grave, tout le monde est logé à la même enseigne.

Toni ROUVEL


[1Comme dans l’industrie nucléaire ! Cf. Convergences Révolutionnaires n°75

[240 % des emplois liés à la Chimie et à la Pétrochimie dans la région de Fos-sur-Mer d’après Sous-traitance sur sites industriels : Évaluation des risques professionnels, V. Pereira, A. Remoiville, P. Trinquet (1999).

[3En 2004 dans la Chimie, 42 % des sous-traitants de moins de 20 salariés étaient aussi donneurs d’ordres (source INSEE).

[4Une enquête concernant des salariés sous-traitants de la pétrochimie des Bouches-du-Rhône donne 44,8% d’entre eux ayant travaillé sur plus de 6 sites en un an (rapport de la DARES, septembre 2008).

Mots-clés Chimie , Conditions de travail , Entreprises , Sous traitance