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Révolte en Kabylie, Révolte en Algérie

mercredi 1er août 2001

Un million de manifestants dans les rues d’Alger le 14 juin ont conspué le régime militaire au cri de « pouvoir assassin ». Mais celui-ci, loin d’entendre les revendications de la révolte, a aggravé la répression : multiplication des arrestations arbitraires, maisons brûlées dans des quartiers où la population a pris fait et cause pour les manifestants, etc… A une centaine de morts et des milliers de blessés se sont rajoutés des dizaines de disparus, arrêtés par les forces de l’ordre et dont les familles n’ont toujours aucune nouvelle au moment où nous écrivons !

Pourtant, malgré cette répression féroce, malgré l’interdiction des manifestations, celles-ci ont continué, les émeutes se sont poursuivies. Parties de Kabylie, elles ont gagné les Aurès puis d’autres régions encore (dans des villes comme Annaba, Skikda, Batna, Constantine, etc.). Partout ce sont les mêmes jeunes révoltés par la misère, le chômage et le mépris, qui s’affrontent à la même violence des gendarmes et des brigades anti-émeutes. La tentative du pouvoir de faire croire à un soulèvement régionaliste de Kabylie est un échec.

L’assassinat dans les locaux de la gendarmerie du jeune Massinissa Guermouh à Béni Douala (près de Tizi Ouzou) le 18 avril et l’enlèvement de trois collégiens à Amizour (près de Bejaïa) deux jours plus tard ne furent que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Les affrontements qui ont débuté le 22 avril n’ont plus cessé depuis. Le 21 mai des centaines de milliers de personnes investissaient les rues de Tizi Ouzou et deux jours plus tard celles de Bejaïa. Leurs mots d’ordre étaient ceux qui font désormais l’unanimité au sein de la population « pouvoir assassin », « ulach smah » (pas de pardon), « gendarmes terroristes ». La marche du 14 juin à Alger a fait monter la mobilisation d’un cran encore. Le 25 juin la Kabylie manifestait à nouveau pour le troisième anniversaire de l’assassinat de Lounès Matoub. Et maintenant une nouvelle marche sur Alger est envisagée pour le 5 juillet.

Des revendications sociales

C’est la réaction des jeunes de Kabylie aux violences des forces de l’ordre qui a donné le ton et a touché tout le pays. Dès le début les jeunes révoltés, de très jeunes lycéens, des chômeurs, clament : « du travail et du pain ! », « il y en a marre de la misère ! », « des logements ! », « assez de corruption ! », « assez du mépris (la hogra) ! », « assez de marginalité, on veut la dignité ! », « assez du chômage ! », « pouvoir assassin ! », « dehors les gendarmes ! », « à bas la dictature ! »

Car les jeunes durement frappés par le chômage et la misère ont mis d’abord en avant des revendications sociales qui concernent tout le pays et non les revendications identitaires , langue tamazight ou autonomie régionale. Et ils ont mis en cause la dictature et ses violentes méthodes de répression.

Et leur lutte a déverrouillé la situation où le pouvoir avait enfermé la population depuis plus de dix ans. En ce moment ce n’est plus la guerre entre armée et groupes islamistes qui tient le devant de la scène mais les luttes contre l’oppression et la répression. Et ceux qui revendiquent ne craignent plus de descendre dans la rue que ce soient des femmes, des petits commerçants, des journalistes, des avocats, des hospitaliers ou des travailleurs licenciés.

La révolte des jeunes a fait tache d’huile. Il n’y a pas à s’en étonner puisque la misère et les exactions des forces de répression ne sont pas une particularité régionale. Elles sont générales. A Kenchela ou Qaïs la jeunesse révoltée est exactement la même que celle de Kabylie, comme la violence et la réaction des forces de l’ordre contre les jeunes est aussi exactement la même. Le mécontentement qui s’est manifesté contre les licenciements et les fermetures d’usines à Béjaia a embrasé de la même manière Dira, au sud d’Alger. A Annaba ce sont les restrictions de la distribution d’eau qui ont mis le feu aux poudres. Car la révolte des jeunes n’a pas éclaté pas dans un ciel social serein : partout les travailleurs ont des salaires bloqués et sont menacés par des licenciements, des privatisations qui cachent mal de futures fermetures d’usines et la volonté de la clique au pouvoir de légaliser son vol des richesses du pays. Et les travailleurs licenciés de Béjaïa ainsi que les petits commerçants ont eux aussi été attaqués par les tueurs à gage du régime, tout comme les travailleurs d’Alfasid avaient été mitraillés l’an dernier par les forces de l’ordre.

Où va la révolte ?

Toutes ces révoltes peuvent-elles converger ? Vont-elles en susciter d’autres ? La population peut-elle prendre en main son sort, comme de toute évidence elle y aspire ?

Peut-être, à la première condition qu’elle ne laisse pas les professionnels de la tromperie, dirigeants de syndicats courroie de transmission du régime ou de partis compromis avec celui-ci dévoyer le mouvement vers de fausses « sorties de crise ».

Certes jusqu’ici le mouvement populaire les a violemment rejetés. Outre le fait que leurs locaux ont été saccagés et leurs meetings dispersés, le FFS (Front des Forces Socialistes) et le RCD (Rassemblement pour la Culture et la Démocratie) apparaissent déconsidérés et la politique qu’ils proposent loin d’être à la hauteur de la mobilisation populaire. Le premier s’accroche à sa demande de commission internationale. Le second n’a démissionné de ce gouvernement d’assassins qu’après douze jours d’émeutes… et de répression.

Pourtant les pièges tendus par ces partis ou d’autres, et bien sûr le pouvoir en place, sont toujours devant les jeunes révoltés de Kabylie et d’Algérie. Car la classe ouvrière algérienne n’a toujours pas de parti révolutionnaire, c’est-à-dire d’organisation qui défende les intérêts de tous les pauvres et travailleurs, qui les représente et qui soit reconnue par eux.

29 juin 2001 Sami ZAKARIA et Robert PARIS

Mots-clés Algérie , Kabylie , Monde