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La « propriété », c’est le vol !

mercredi 15 juin 2011

En France, l’immobilier se porte très bien. À l’instar des bonus des traders, il s’est rapidement remis de la crise économique commencée en 2008. Après une légère baisse, tant des prix que des volumes des ventes ou des constructions, tout est reparti à la hausse et sur un rythme de plus en plus rapide : en un an, + 27 % dans les quartiers les plus huppés de Paris, + 21 % sur l’ensemble de la capitale, mais aussi de + 8 % à + 15 % en banlieue. Et, si l’Île-de-France joue la locomotive, car la valse des prix touche d’abord les secteurs déjà les plus chers, les autres régions ne sont pas en reste. Sur l’ensemble du pays, la hausse atteint le chiffre de + 141 % entre 1998 et 2010, soit une progression 70 % plus forte que celle des revenus.

Une bulle immobilière créée par les banques...

Plusieurs facteurs expliquent ce découplage entre les revenus et le prix de la pierre. D’abord, les banques ont constamment cherché à rendre « solvable » la clientèle, c’est-à-dire à permettre aux ménages rêvant de posséder leur chez soi... de s’endetter auprès d’elles. Là où elles exigeaient un apport il y a 20 ans, elles acceptent aujourd’hui de prêter jusqu’à 100 % du montant. La durée d’emprunt moyenne est passée de 14 ans dans les années 1990 à 17 ans dans les années 2000 ; elle est voisine cette année de 20 ans. Et les emprunts sur 25 à 30 ans, pour les acheteurs à faible revenu, sont devenus monnaie courante (27 % des emprunts).

À ce compte-là, même en baissant les taux d’intérêt – et la France avait jusqu’en 2005 un des taux les plus bas – le coût du crédit grossit terriblement : pour acheter son logement, il fallait en moyenne 2,5 années de revenu fiscal dans les années 1990... et entre 4 et 6 années en 2007, juste avant la crise. Le retour aux taux d’intérêt les plus bas depuis 1945 à la faveur de la crise, décidé pour doper le marché, n’a réduit la facture de l’accession à la propriété qu’à la marge.

En soutenant l’offre par tous les moyens, les banques ont alimenté les prétentions toujours plus grandes des vendeurs et contribué à la hausse des prix. Du coup, les ménages les plus pauvres ont progressivement été évincés du marché. L’emprunteur type présente des revenus en hausse de 23 % ces six dernières années et a doublé le montant de son apport sur la même période. Tendance qui s’est accentuée depuis un an.

… avec l’aide de l’État

Au lieu de tempérer, l’État contribue à l’emballement des prix. Ainsi, face à la récente plongée du volume des ventes – le premier trimestre 2011 accuse une baisse de 24 % par rapport à celui de 2010 – le gouvernement s’apprête à renforcer l’accès au prêt à taux zéro. Il vient également d’autoriser, pour garantir un emprunt, de choisir un autre assureur que celui que la banque fournit. Ainsi, des ménages exclus du marché pourront-ils emprunter ? Sauf que les prix, eux, continuent de grimper. La mesure revient donc à gaver un peu plus les banques et les patrons du BTP.

Depuis la loi Besson en 1990 jusqu’à l’amendement Scellier à la loi Robien en 2009, droite et gauche n’ont utilisé comme levier du logement, en particulier social, que l’abattement fiscal à destination du propriétaire. Ces dispositifs, en suscitant des vocations de marchand de sommeil, ont tout à la fois accru le volume des ventes et permis aux promoteurs de se défaire de stocks situés dans des régions pas toujours attractives [1]. Et ce n’est pas la seule mesure de défiscalisation qui alimente la bulle immobilière. La loi Travail, Emploi, Pouvoir d’Achat (TEPA) de 2007 supprimait les impôts sur les dons de parent à enfant inférieurs à 158 000 euros : les notaires ont remarqué la spectaculaire croissance des apports de certains jeunes acquéreurs, surtout à Paris [2].

À qui profite le crime ?

Selon Jacques Friggit [3], avec la hausse des prix de l’immobilier, les « vieux » font les poches des jeunes. Certains, peut-être. Mais ceux qui vendent pour se loger ailleurs ne tirent en réalité pas de plus-value ; ils amortissent, au mieux, le surcoût de leur nouveau logement. En fait, dans l’immobilier comme dans tout secteur spéculatif, c’est le plus gros poisson qui rafle la mise. Or, le secteur immobilier est, depuis 2000, l’objet de l’appétit des banquiers. « BNP Paribas possède ainsi Gérer, Comadim, Espaces Immobiliers, Meunier ; les Caisses d’épargne ont investi dans Nexity, Gestrim, Lamy, Saggel, Century 21, Arthus Immobilier, Keops, Guy Hoquet ; les Banques populaires, dans le réseau Foncia ; le Crédit mutuel, dans Ataraxia ; le Crédit agricole, dans Square Habitat ; la Société générale, dans Sogeprom », rapporte Marc Endewerd [4]. Alors que, dans la même période, le nombre d’agences immobilières a presque doublé. Autre cadeau aux banques : Sarkozy, lorsqu’il promettait en 2007 de faire de la France un pays de propriétaires, ne visait-il pas à autoriser les banques à proposer des prêts « subprimes » ? La crise l’en a empêché.

Les analystes, lorsqu’ils ne contestent pas l’existence même de la bulle immobilière, affirment qu’un krach est hautement improbable [5]. Stratégie des œillères pour éviter d’affoler « les marchés » ? Toujours est-il qu’avec un endettement immobilier multiplié par deux depuis 2000 [6], les ménages risquent d’être les dindons de la farce du « tous propriétaires » : saignés au début, plumés à la fin.

Mathieu PARANT


[1Olivier Vilain, « Logement social, une pénurie entretenue », Le Monde Diplomatique, avril 2009.

[2Tonino Serafini, « À Paris, l’immobilier bétonne », Libération, 27 mai 2011.

[3Jacques Friggit, « Quelles perspectives pour le prix des logements après son envolée ? », Regards croisés sur l’économie, La découverte, 2011.

[4Marc Endewerd, « Des agences prises à leur propre piège », Le Monde Diplomatique, décembre 2008.

[5Jean-Pierre Petit, interviewé par Tonino Serafini, Libération, 27 mai 2011.

[6Jacques Friggit, op. cit.

Mots-clés Logement , Société
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