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Allemagne : Grèves d’avertissement des cheminots

jeudi 10 mars 2011

Nous nous sommes fait l’écho, dans un numéro précédent de Convergences Révolutionnaires [1], des tentations communes des sommets patronaux et syndicaux (de la confédération DGB), de brider les possibilités légales d’intervention de petits syndicats indépendants, corporatistes mais néanmoins remuants et avides de défendre leurs prérogatives face aux grosses fédérations liées à la DGB.

Parmi ceux-ci, le syndicat de conducteurs de train GDL [2] qui se manifeste à nouveau aujourd’hui, par le lancement d’une série de grèves d’avertissement qui devrait être le prélude à un mouvement plus général, si une consultation des adhérents dont les résultats seront connus le 7 mars donne la majorité requise pour ce faire. Ces grèves d’avertissement ont eu lieu le 22 et 25 février, et le 4 mars, à raison de tranches de 2 à 3 heures d’arrêt de travail sur les réseaux et régions dont la direction syndicale seule décide.

Un contrat pour tous les conducteurs

Dans son bras de fer avec la direction de la Deutsche Bahn pour être reconnu et écouté à l’instar de son concurrent mastodonte syndical de la branche, le syndicat EVG [3], le GDL a choisi le cadre de l’obtention d’un contrat collectif qui couvrirait les intérêts du personnel roulant (lui seul) des principales entreprises de chemin de fer en Allemagne, de la Deutsche Bahn mais aussi des plus grosses boîtes privées, dont Keolis [4] et Veolia [5] – ce qui est la nouveauté. Face aux restructurations, filialisations, ouverture à la « concurrence », la porte est évidemment ouverte aux dégradations et différenciations des conditions de salaires et de travail.

Ces négociations se mènent de fait depuis presque un an, entre le patronat et, séparément, les deux syndicats GDL et EVG. C’est tout récemment, au moment où les patrons ont conclu un accord pourri avec le syndicat EVG (des salaires pour les entreprises privées de quelque 6,25 % inférieurs à ceux de la DB, des augmentations de salaire de 1,8 % cette année, 2 % l’année prochaine) et ont signalé au GDL qu’ils n’étaient pas prêts à lui accorder davantage, que les dirigeants du GDL se sont décidés à appeler aux premières « grèves d’avertissement » [6].

Le GDL met en avant une convention de branche pour le personnel roulant de toutes les entreprises de chemin de fer qui fixerait des standards minimaux de temps de travail, sécurité sociale, mais aussi une augmentation de salaire de 5 %. Le détail des revendications est très difficile à comprendre, pour les cheminots eux-mêmes, ce qui ouvre probablement la porte à quelques entourloupes futures. Et, par ailleurs, le GDL a choisi de mettre son combat sous le signe de la « concurrence loyale » (« Faire Löhne, fairer Wettbewerb » « Salaires équitables, concurrence équitable »), c’est-à-dire de se placer sur un terrain tout autre que la lutte de classe. Même si les cheminots eux, comprennent « À travail égal, salaire égal ».

Le mécontentement s’engouffre

Mais, dans le climat général de mécontentement, de nombreux conducteurs de la Deutsche Bahn sont sensibles aux revendications abordées. Ils voient dans le fait que des conducteurs de compagnies privées soient moins payés qu’eux une injustice mais aussi la préfiguration de leur sort, dans un contexte de marche vers la privatisation. Ils sont sensibles aussi à la garantie de l’emploi et du salaire face à la menace d’être licenciés ou mutés avec baisse de salaire, pour « incapacité » et raisons de santé en fin de carrière.

Les premières grèves d’avertissement ont été des succès, même si elles sont restées limitées dans le temps et l’espace, au bon vouloir de la direction syndicale… qui n’a même pas appelé les contrôleurs à faire grève (alors qu’ils appartiennent au même syndicat GDL). Le GDL étant largement majoritaire parmi les conducteurs, cela a pourtant suffi, sur le réseau RER de Berlin par exemple, à paralyser presque totalement le trafic.

La direction du syndicat à Francfort pousse à la grève et elle est en phase avec la grande majorité des conducteurs, et vice-versa. Ceux qui ont la préoccupation que grévistes discutent et décident dans des assemblées ont jusque-là quelque peine car si, pendant ces tranches de 3 heures de débrayages, il y a quelques rassemblements dans les salles de pause, les conducteurs restent pour la plupart sur leur machine qu’ils arrêtent à la première gare venue – davantage au contact d’usagers mécontents que de collègues grévistes !

2 mars 2011

Tonio ROBERT


[2GDL : Syndicat des conducteurs (qui sont au nombre de quelque 26 000 en Allemagne, dont le GDL syndique quelque 70%). Petit syndicat non affilié à la DGB, qui regroupe des conducteurs et personnels d’accompagnement – donc plutôt « corporatiste » et indépendant mais qui peut néanmoins afficher quelque combativité pour s’imposer face à plus gros. Déjà à l’origine d’une grève remarquée en 2007.

[3EVG ou Eisenbahn- und Verkehrsgewerkschaft, nouvelle structure syndicale liée à la DGB, née à la fin 2010 de la fusion entre le syndicat Transnet et le syndicat de fonctionnaires GDBA.

[4Keolis, entreprise internationale de transports de voyageurs (bus, cars, métros, tramway) de quelque 45 000 salariés, détenue à 56,7 % par la SNCF.

[5Veolia, première entreprise privée – à capitaux majoritairement français (filiale de Veolia Environnement, ex-Générale des Eaux) – de transport de voyageurs dans le monde, de quelque 77 000 salariés.

[6Le 7 mars est la date du dépouillement de la consultation des membres du syndicat, consultation qui, selon les statuts syndicaux en Allemagne, est nécessaire pour passer à une grève illimitée (« unbefristet » en allemand = sans terme fixé d’avance).

Mots-clés Allemagne , Cheminots , Monde