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À Caen, la grève générale ?

dimanche 5 décembre 2010

Des manifestations d’anthologie

Les journées nationales de manifestation ont constitué le principal point d’appui. Drainant des salariés d’une bonne partie du Calvados, elles ont attiré jusqu’à l’équivalent du quart de la population de l’agglomération, selon les décomptes syndicaux – entre 40 000 et 60 000 pour les journées de septembre et octobre – encore 25 000 le jeudi 28 octobre et 10 000 le samedi 6 novembre. L’étonnement des militants de tous bords – celui des RG également –devant la marée toujours montante des cortèges confirme que des records ont été atteints. Jusqu’au 19 octobre, on continuait de voir des nouvelles têtes, les banderoles de nouvelles entreprises, en particulier les petites, remplacer les secteurs où la mobilisation marquait le pas. Ce renouvellement laisse penser que au total, c’est une fraction plus tellement minoritaire des salariés qui a pris place à un moment ou un autre dans les cortèges.

Les pancartes bricolées, les slogans repris ici et là par des bouts du défilé plaçaient clairement le retrait puis l’abrogation de la réforme des retraites en tête des revendications. Nulle part, si ce n’est dans le matériel syndical, on n’entendait de demande de négociation. En revanche, on ne voyait pas beaucoup de traces d’autres revendications, à l’exception, ici ou là, d’une lutte contre des licenciements ou une fermeture. Non pas que ces préoccupations aient disparu des esprits. En fait, il n’y avait pas besoin de discuter très longtemps pour que ressurgissent tous les sujets de mécontentement, depuis les problèmes concrets de l’entreprise jusqu’à la crise, la politique du gouvernement. Mais il y avait la volonté d’affirmer l’unité du monde du travail au travers d’une seule revendication.

De vieux militants faisaient remarquer que la colère restait mesurée, en-deçà des coups de fièvre qui font les « vrais » mouvements. Mais, par exemple, lorsque, le samedi 2 octobre, les dirigeants syndicaux annoncèrent la dislocation du cortège sans être passés dans le centre ville ni allés à la préfecture, on a senti un flottement dans la foule, qui restait manifestement sur sa faim. Il a suffi que quelques dizaines de lycéens et étudiants, qui se trouvaient en tête, placent leurs banderoles dans le boulevard en direction de la préfecture et haranguent les présents au mégaphone pour que la colonne s’ébranle à nouveau, surprise et galvanisée à la fois d’avoir « désobéi » à la consigne syndicale. La détermination ne faisait pas de doute.

Les militants syndicaux à l’initiative, et les blocages faute de mieux

La grève reconductible a également reposé sur l’impulsion des militants syndicaux. Mais en-dehors de la SNCF entre le 12 et le 20 octobre, puis des pompiers autour du 19 octobre, celle-ci s’est rapidement avérée très minoritaire. Ainsi aux impôts a-t-elle démarré le jeudi 14... et avorté le vendredi 15. D’où la popularité des actions de blocage. Celles-ci donnaient aux grévistes le sentiment de lutter efficacement, de ne pas se contenter de perdre des jours de salaire sans paralyser l’économie. La contribution du siège des dépôts de carburant de Caen et Ouistreham (par les dockers du port, eux aussi en reconductible) à la pénurie d’essence est discutable. En revanche, son impact moral, ne serait-ce qu’auprès des raffineurs en grève à Gonfreville-l’Orcher près du Havre, est indéniable.

Cependant, contrairement aux espoirs formulés par certains, l’action n’a entraîné que quelques poignées de non-grévistes dans la lutte. Sans doute est-il difficile d’aller retrouver des bloqueurs en grande partie grévistes quand on n’est pas soi-même en grève.

Après l’intervention des CRS, d’autres blocages de plates-formes logistiques de la grande distribution, de zones industrielles ou de la Banque de France ont eu lieu. On pouvait voir se côtoyer dans une ambiance fraternelle des militants de toutes étiquettes, de la CFDT-transports aux anarchistes. Les discussions se prolongeaient tard dans la nuit à la lueur des feux de poubelle. Et l’on avait du mal à reconnaître les étudiants gauchistes des responsables syndicaux locaux maraudant ensemble visage masqué pour récupérer de quoi alimenter les brasiers...

Et maintenant ?

On ne peut dire si les liens de confiance tissés sur ces blocages résisteront au reflux, s’ils pourront être réactivés. Il faudrait sans doute pour cela que leur nécessité s’impose aux militants. Or, l’intersyndicale locale – dans laquelle la CGT a imposé son leadership – a gardé les rênes bien en mains. Elle est apparue comme la force motrice du mouvement, se payant le luxe de laisser les plus motivés prolonger les blocages au-delà de l’heure prévue – et donc annoncée aux flics...

Ces liens ont montré leur utilité dans les tentatives d’extension du mouvement. L’AG des cheminots a ainsi accueilli des militants d’autres secteurs venus apporter leur soutien. Dans l’AG de l’Éducation, la nécessité de faire des tournées de collèges (les lycées étaient bloqués) et d’écoles pour étendre le mouvement, régulièrement affirmée, a été mise en pratique par une poignée de militants... de toutes les organisations syndicales !

Une vraie politique d’extension de la grève, impliquant l’ensemble des grévistes dans des tournées de boîtes n’aurait peut-être pas convaincu tellement d’autres salariés – dans l’Éducation, le bilan des tournées est maigre. Mais ça n’était manifestement pas la politique de l’intersyndicale. Et les tentatives dans ce sens sont restées le fait de petites minorités.

Mais, à moins de renforts grévistes, on ne pouvait qu’être délogés des blocages par les CRS. Et le spectacle de dizaines de camions citernes quittant leur parking pour approvisionner les stations a fini par imposer cette conclusion que le meilleur blocage, somme toute, c’était bien la grève.

Mathieu PARANT

Mots-clés Politique , Retraites