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S’organiser pour étendre la grève : une expérience de chimie lyonnaise

dimanche 5 décembre 2010

Dans le couloir de la chimie lyonnaise, la mobilisation a été inégale et différente selon les entreprises. Avec de gros pourcentages de grévistes, la raffinerie Total de Feyzin, locomotive du privé, a été, avec les principaux secteurs cheminots, le fer de lance de la grève reconductible du mardi 12 octobre jusqu’au vendredi 29 octobre.

Les usines Arkema de Saint-Fons et de Pierre-Bénite, dans la banlieue sud de Lyon, ont fait plusieurs jours de grève reconductible suite au 12 octobre ; d’autres boîtes comme le Centre de Recherche de Rhodia, ont débrayé deux ou quatre heures plusieurs jours pour diverses actions, tout comme Bluestar à l’occasion de rassemblements devant leur usine. [1]

Des liens entre les secteurs grévistes

Très vite, après le 12 octobre, des travailleurs de certaines entreprises ont tenté de nouer des liens avec d’autres secteurs en lutte. Le jeudi 15 octobre, une délégation d’une quinzaine de cheminots de la gare de Perrache est venue devant l’usine Arkema Pierre-Bénite. Ce renfort a dynamisé le piquet de grève, facilitant des discussions et permettant même de convaincre quelques travailleurs supplémentaires de rester avec les grévistes. Il a donné aussi la perspective aux grévistes, minoritaires dans l’usine, de créer des liens interpros en se rendant à leur tour chez les cheminots. Une dizaine de travailleurs d’Arkema sont donc allés à l’assemblée générale de la gare de Perrache en défendant l’idée de s’appuyer les uns sur les autres pour étendre la grève. Après l’AG, une manif regroupant environ 150 personnes s’est organisée jusqu’à la mairie du 2e arrondissement de Lyon dans une ambiance chaleureuse et rigolarde.

Vendredi 15 octobre, devant l’usine Bluestar à Saint-Fons : une petite centaine de travailleurs, pour la plupart en grève, d’Arkema Pierre-Bénite, de Rhodia Recherche, de Bluestar, des usines Rhodia et des cheminots de Perrache et de Sibelin se sont retrouvés pour un rassemblement et une diffusion de tracts en direction des non-grévistes. Prises de parole de chaque délégation : il s’agissait de poser comme perspective l’alliance des minorités grévistes de chaque boîte pour aller s’adresser à d’autres et de tenter d’étendre la grève.

Actions multiples

De plus en plus minoritaires, les grèves reconductibles dans les usines Arkema ont tenu au mieux jusqu’au lundi 18 octobre pour celle de Saint-Fons. Malheureusement trop courtes pour s’organiser (et se poser le problème de l’organisation des grévistes en comité de grève), mais suffisantes pour convaincre un milieu de la nécessité de la généralisation de la grève et de participer à toutes les actions allant dans ce sens-là.

Nouveau rassemblement devant Bluestar, le 22 octobre, à un peu plus de deux cents : les travailleurs de Total et la SNCF en grève reconductible, ceux d’Arkéma Pierre-Bénite, Rhodia Recherche et Bluestar, en grève pour l’occasion. Le rassemblement de la semaine précédente avait donné le moral et le relais des structures syndicales, en particulier l’Union locale de Vénissieux et l’Union départementale CGT du Rhône, a contribué au succès de celui-ci. Mais, cette fois, à la frustration de bon nombre de présents, uniquement quelques prises de parole des responsables syndicaux, qui se terminèrent sans plus de discussion par le blocage d’un rond-point du périphérique.

Autre rassemblement, le 26 octobre, devant l’usine Jtekt (équipement automobile, à Irigny, à proximité du couloir de la chimie) : une petite cinquantaine de travailleurs d’Arkéma Pierre-Bénite, de Rhodia Recherche et de Jtekt au moment de la relève de l’équipe du matin. Moins de monde que devant Bluestar, dû à la « concurrence » entre les diverses actions, blocages, etc., et au manque de relais, cette fois, des structures syndicales. Cela dit, malgré le nombre plus restreint de participants, les grévistes furent plus emballés par ce rassemblement où tout le monde s’est exprimé et où plusieurs travailleurs ont accroché les ouvriers entrants et sortants pour convaincre de venir à la prochaine manif. Les liens militants avec les travailleurs d’une autre boîte, cela concrétise l’idée d’œuvrer à la généralisation de la grève.

L’apport du mouvement, et ses limites

En région lyonnaise comme dans bien d’autres, ces semaines ont été marquées par le foisonnement d’actions en tous genres, à l’initiative de secteurs mobilisés ou de structures syndicales comme les unions locales ou départementales. Elles ont trouvé un écho dans un milieu militant assez large qui percevait la nécessité d’amplifier le mouvement, tout en se cantonnant à des équipes grévistes minoritaires. S’agissait-il alors de « bloquer » l’économie, comme cela a été proposé à l’initiative de Solidaires avec une tentative manquée de blocage du port Edouard Herriot [2] ? De simplement se retrouver et se montrer, comme avec une manifestation à l’aéroport organisée par l’UD CGT ? Aucun objectif très évident. Néanmoins, nombreux étaient ceux qui participaient indifféremment à ces diverses actions.

Les initiatives prises autour d’entreprises de la chimie ont au moins permis d’exprimer une autre perspective : œuvrer concrètement à l’extension de la grève en s’adressant à d’autres travailleurs.

Bien sûr, à l’échelle limitée où elles se sont menées, ces initiatives n’ont pas modifié la situation globale. Mais elles marquent quelques jalons. Pour avoir une chance d’entraîner dans la grève des secteurs significatifs (par exemple l’automobile ou les Transports en Commun Lyonnais), il aurait fallu qu’elles se mènent à une autre échelle, et au moins qu’elles soient vraiment reprises par les travailleurs de la raffinerie Total de Feyzin qui était le symbole de la grève. Énormément de travailleurs, individuellement ou par groupes, sont passés au piquet devant la raffinerie pour apporter leur soutien. Mais au-delà ? Le principal tract distribué par l’intersyndicale CFDT-CGT appelait au soutien financier et encourageait de fait la grève « par délégation ». Il disait en substance : « Nous sommes prêts à nous battre pour vous mais nous avons besoin d’argent pour cela ».

Malgré cette limite, ce mouvement a constitué une riche expérience politique pour ceux qui y ont participé activement. Reste aux liens tissés à se réactiver lors de prochaines bagarres. Conclusion d’un travailleur d’Arkema Pierre-Bénite : « Ce qui compte le plus, ce n’est pas l’intersyndicale, mais c’est l’interpro : l’unité des travailleurs ».

Maya PALENKE


[1Arkema (ex-filiale de Total) est, avec Rhodia (ex-filiale de Rhône-Poulenc), une des principales entreprises française de chimie et possède deux usines dans la vallée de la chimie qui s’étend au sud de Lyon : à Saint-Fons (environ 250 travailleurs) et Pierre-Bénite (autour de 600 travailleurs). Bluestar Silicones est une branche du consortium chinois China National BlueStar Corporation résultant du rachat à Rhodia de ses activités de production de silicones. L’usine de Saint-Fons compte autour de 600 salariés.

[2Cet appel, le 15 octobre, par les syndicats Sud à bloquer l’immense port de marchandise (plus de 200 hectares), avec de nombreuses entrées, était présenté sur le mode du « blocage économique » et organisé sans lien avec les travailleurs du port. Finalement, l’initiative a rassemblé entre 100 et 200 participants et s’est transformée en une simple diffusion de tracts, « encadrée » par la police assez massivement présente. L’expérience a finalement été assez démoralisante pour au moins une partie des participants.

Mots-clés Chimie lyonnaise , Entreprises
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