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Un miracle en trompe-l’œil ?

jeudi 23 septembre 2010

La croissance de l’économie et de la production industrielle chinoise est absolument incontestable. Cela ne signifie pas pour autant, comme bien des commentateurs le laissent entendre, que la Chine soit devenue une superpuissance économique, ou soit immédiatement en passe de l’être. Les chiffres impressionnants concernant le PIB ne mesurent que la quantité de richesse qui sort des usines chinoises. Ramenée à la population totale du pays, la production chinoise est nettement moins impressionnante : avec un PIB par habitant de 6 600 $, la Chine se classe autour de la 100e place mondiale, très loin des États-Unis (6e avec plus de 46 000 $ par habitant), de la France (21e avec plus de 33 000 $ par habitant), et même derrière des pays comme l’Albanie. La croissance a surtout creusé les inégalités entre les régions côtières industrielles et le reste du pays.

Du reste, la quantité de produits estampillés « made in China » ne dit pas grand-chose de la place réelle de l’économie chinoise. Le secteur de l’électronique et des biens de « haute technologie » en fournit un bon exemple. Les statistiques placent la Chine comme leader incontesté du secteur. Mais si, par exemple, plus de la moitié des téléphones portables vendus dans le monde sortent assemblés d’usines de Chine, cela ne signifie pas que c’est dans celles-ci qu’ils ont été intégralement produits. En fait, l’économie chinoise tient aujourd’hui une place très particulière dans la division mondiale du travail. Ce n’est, pour l’essentiel, que la dernière étape de la production, l’assemblage – qui nécessite une main d’œuvre abondante et assez peu qualifiée – qui y est réalisée. À l’échelle mondiale, la production de ces biens électroniques est globalement sous-traitée par les grands trusts à l’Asie. La Chine importe massivement les composants électroniques à ses voisins (Japon et Corée du Sud principalement), et exporte les produits assemblés vers l’Occident. Ce « commerce triangu­laire » explique la corrélation entre l’augmentation des exportations de la Chine et de celle ses importations, comme le fait qu’elle est à la fois exportatrice net en direction des pays occidentaux et largement importatrice en provenance de ses voisins asiatiques. Et, si les biens ainsi produits sont globalement comptabilisés comme l’étant en Chine, on estime que 70 % de la production du secteur électronique et 80 % des exportations sont en fait réalisées par des entreprises étrangères. De fait, la Chine apparaît encore aujourd’hui, et même pour les secteurs à haute technologie, comme « l’atelier du monde », fournissant au grand capital un énorme réservoir d’une main d’œuvre extrêmement bon marché.

Usines et dépendance

Cette situation est très exactement le produit de la politique menée par l’État chinois depuis les réformes de 1978. Car l’ouverture prônée alors par Deng Xiaoping sous le nom incongru d’« économie socialiste de marché » consistait pour une bonne part à chercher à attirer les capitaux des pays impérialistes, notamment avec la création de vastes zones franches multipliant les avantages fiscaux pour les investisseurs comme l’exemption de droits de douane sur les importations de produits intermédiaires (pièces détachées ou composants). Ce faisant, il s’agissait de permettre une accumulation de capital et un développement capitaliste proprement chinois, d’où l’encouragement de l’État à l’entrepreneuriat chinois. Et cet État reste extrêmement actif dans le développement économique actuel. Ses investissements directs représentent 40 % de l’investissement total dans le pays, 17 % des entreprises installées sur le territoire sont des entreprises d’État, qui contrôlent les secteurs clés comme celui de l’énergie. Mais si, largement sous son impulsion, se sont développés de grands groupes capitalistes chinois dans la plupart des secteurs industriels, l’économie du pays est encore bien loin d’un développement autonome.

La croissance actuelle reste globalement dépendante du capital étranger et des grandes puissances impérialistes en termes d’investissements (la Chine est, depuis 2002, la première destination de l’investissement direct étranger) comme de débouchés, puisque l’essentiel de la production réalisée en Chine reste destiné à l’exportation (le commerce extérieur de la Chine représente plus de 60 % de son PIB contre environ 18 % pour les USA ou 21 % pour le Japon). La conséquence immédiate est que la Chine est encore aussi très largement dépendante technologiquement de ces mêmes puissances occidentales, malgré une politique volontariste de « rattrapage » : par des investissements accrus en « recherche et développement » (qui ont plus que triplé en six ans mais n’atteignent encore que 1,3 % du PIB, contre 3,4 % pour le Japon et 2,6 % de moyenne pour les pays riches de l’OCDE), ou encore par des rachats d’entreprises occidentales comme celui du suédois Volvo Cars par le groupe chinois Geely en décembre 2009. Finalement, cette situation se double d’une dépendance pour l’approvisionnement en matière première et en énergie (la Chine importe pour 60 milliards de dollars de minerais et pour 100 milliards de dollars de pétrole par an).

Quel avenir ?

Certains économistes n’hésitent pas à prédire que la Chine deviendra une puissance économique majeure, au sens où le sont les grandes puissances impérialistes actuelles (États-Unis et puissances européennes en tête), à plus ou moins brève échéance, en tout cas dans les décennies qui viennent. Pour cela, ils ne font en général qu’extrapoler la poursuite régulière d’une croissance de 10 % du PIB par an et remarquent qu’à ce rythme la Chine aura largement dépassé les États-Unis en 2030. De tels raisonnements n’ont pas grand intérêt, sinon le plus souvent de chercher à entretenir la peur du « péril chinois » et les réflexes nationalistes (et ces derniers temps parfois aussi l’espoir que la Chine sauvera le monde de la crise économique). Ils ne tiennent pas compte des difficultés et des contradictions auxquelles est confronté le développement chinois. Outre celles identiques aux économies des pays occidentaux, le « jeune » capitalisme chinois connaît déjà bon nombre des signes de la sénilité de ce système irrationnel : spéculation financière, « bulles » immobilières, etc., les difficultés internes à transformer l’appât du grand capital des puissances impérialistes pour une main d’œuvre bon marché en développement capitaliste national. Notamment le déséquilibre de l’industrie chinoise qui, outre les biens d’exportation, produit essentiellement des biens de production (des usines qui construisent des usines, en quelque sorte). Le capitalisme chinois reste confronté à la faiblesse de son marché intérieur. (Encore que celui-ci ne soit pas négligeable : l’équipement en biens de consommation durables commence à être vraiment important : des millions de Chinois n’ont peut-être pas les moyens de se payer des produits importés mais ils peuvent se payer des produits chinois [1].) Ces difficultés tiennent aussi à la place qu’occupe la Chine dans les rapports de force économiques et politiques mondiaux qui font qu’un développement propre de la Chine imposerait, au moins dans une certaine mesure, la remise en cause de la domination politique des grandes puissances impérialistes, celles-là même dont la croissance chinoise est, pour l’heure, encore largement dépendante.

Il ne s’agit pas pour autant de prédire l’écroulement imminent de la croissance chinoise ni de prédire jusqu’où le développement économique du pays pourra se poursuivre. S’il n’y a pas de « miracle chinois », le développement de ces dernières décennies n’est pas pour autant un simple mirage. Il a profondément bouleversé la société chinoise. L’objectif de l’État chinois est bel et bien la poursuite d’un développement capitaliste susceptible de rivaliser avec les grandes puissances impérialistes établies. L’avenir dépendra de bien des rapports de forces dont les aspects purement économiques ne sont qu’une partie. La croissance, avec l’industrie, de la classe ouvrière chinoise est, de ce point de vue, loin d’être secondaire.

Yves LEFORT


[1Selon Françoise Lemoine (L’économie de la Chine, 2006) tous les ménages urbains ont un téléviseur, 94 % ont un lave-linge, 90 % un réfrigérateur, 42 % un magnétoscope et pour les ruraux les pourcentages sont respectivement de 68 % (tv), 34 % (lave linge), 16 % (frigo) et 3 % magnétoscope.

Mots-clés Chine , Monde
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