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Grèce : Les travailleurs refusent de payer la crise

dimanche 11 avril 2010

Depuis décembre dernier, les travailleurs grecs ont participé à une série de journées de grève et de manifestations massives, appelées par les confédérations syndicales du privé (GSEE qui compte plus de 700 000 adhérents) et du public (ADEDY qui en compte plus de 300 000).

Le 10 février, 70 % des fonctionnaires, selon l’ADEDY, étaient en grève. Le 24 février, le pays était complètement paralysé par une grève générale de 24 heures appelée par les deux confédérations. Le 5 mars, des dizaines de milliers de travailleurs profitaient d’un débrayage de trois heures pour manifester contre les nouvelles mesures d’austérité. Le 11 mars, une nouvelle journée de grève, public-privé, paralysait quasi totalement l’économie du pays. Le 16 mars, à l’appel de l’ADEDY, une nouvelle manifestation parcourait les rues d’Athènes.

La colère est montée au rythme des mesures prises par le gouvernement socialiste (PASOK) qui a remplacé la droite en octobre dernier, pour faire payer la crise aux travailleurs. Pour le secteur public, le plan d’austérité prévoit le gel des salaires, le remplacement d’un départ à la retraite sur cinq seulement, une baisse de 30 % du 13e et du 14e mois [1] et la diminution de 12 % d’une série d’allocations et de primes. Selon les estimations de l’ADEDY (la confédération syndicale des fonctionnaires), ces mesures devraient entraîner une baisse de 20 à 30 % du salaire annuel. Pour tous les travailleurs, du privé comme du public, il y aurait en outre le gel des pensions de retraite, le recul de deux ans de l’âge de départ à la retraite, la hausse de la TVA (de 19 % à 21 %), l’augmentation des taxes indirectes sur le tabac (+ 20 %), les boissons alcoolisées (+ 20 %) et l’essence (+ 15 %) et un nouveau mode de calcul des pensions qui les revoie à la baisse. En revanche, ce même gouvernement socialiste accorde tout son soutien au patronat avec la mise en place d’une nouvelle mesure d’exonération de cotisations sociales pour l’embauche des chômeurs de moins de trente ans.

Des confédérations syndicales qui avancent comme un âne qui recule

Les grèves et manifestations ont eu lieu à l’initiative des deux grandes directions syndicales (dominées par la PASKE, tendance proche du parti socialiste grec [2]), qui pourtant avaient refusé d’appeler le 17 décembre à la traditionnelle journée de grève contre le vote du nouveau budget à l’assemblée nationale et condamné les décisions de mobilisation prises contre les nouvelles coupes budgétaires par plusieurs sections locales dans les secteurs des hôpitaux, de l’enseignement, des contractuels du public…

Juste avant la journée du 17 décembre, la direction de la GSEE avait même rappelé qu’elle « n’appelait pas à la grève » et qu’en l’absence d’un préavis toute grève était illégale. Elle a davantage pris soin de relayer parmi les travailleurs du privé la propagande gouvernementale, selon laquelle les « sacrifices » sont inévitables afin d’éviter le pire, qu’à organiser le « tous ensemble » avec les travailleurs du public. Plus tard encore, cette confédération a refusé d’appeler les travailleurs du privé à rejoindre la grève du secteur public du 10 février et n’a pas condamné le plan d’austérité dans son intégralité. Malgré l’annonce, début mars, d’un nouveau train de mesures frappant aussi bien les salariés du privé que ceux du public, la direction de la GSEE a continué à souligner l’importance du dialogue social, réitéré sa demande au PASOK de ne pas prendre de mesures supplémentaires et appelé à une « répartition équitable » des sacrifices. Rien d’étonnant quand on sait que le président de la GSEE et membre du parti au pouvoir, Panagopoulos, avait déclaré mi-décembre qu’il comptait soutenir les mesures « justes » du gouvernement. Le même Panagopoulos, implore le patronat d’« améliorer le revenu des travailleurs » et d’« investir dans la production » afin de réduire le nombre de chômeurs.

Quant à la direction de l’ADEDY, la confédération du public étroitement liée elle aussi aux socialistes qui gouvernent, elle serine le même leitmotiv d’un partage des sacrifices, sur le thème : « les travailleurs ne doivent pas être les seuls à subir les conséquences de la crise ». Mais, après la réussite de la mobilisation du 17 décembre et la colère suscitée par l’annonce, début février, du plan d’austérité, elle a fini par appeler à une journée de grève le 10 février. Depuis, la mobilisation contre le plan d’austérité s’est accélérée avec quatre nouvelles journées de grève. Toutefois, les directions syndicales se contentent d’appeler aux grèves sans mobiliser afin d’assurer leur réussite.

Une « opposition politique » ?

Le pays compte un parti communiste grec (KKE – 7,54 % de l’électorat) qui affiche un certain radicalisme. Son journal quotidien, Rizospastis, appelle à ne pas « se soumettre aux ordres du capital » et propose de « prendre l’argent aux riches »… sans pour autant préciser comment. Mais il est surtout très nationaliste, exige la sortie de la Grèce de l’UE et de l’Otan, et explique que l’économie grecque serait assez solide pour s’assurer un développement autonome grâce à un pouvoir populaire… là non plus sans préciser comment. Et sur le terrain social face aux luttes en cours, le KKE rejette en bloc les mesures d’austérité mais n’offre pas une perspective claire de mobilisation pour les travailleurs. Il se contente de qualifier les PASKE et DAKE [3] de « syndicats jaunes », et d’accuser les tendances syndicales qui se situent sur sa gauche de diviser le mouvement syndical. Il organise ses propres manifestations et refuse toute coordination avec d’autres.

Quant à la coalition de la Gauche Radicale (SYRIZA, 4,6 % de l’électorat), son président Alexis Tsipras déclarait le 27 mars dernier qu’un vrai geste de solidarité de la part de l’UE serait de « donner la possibilité à la Grèce d’emprunter directement à la BCE » ! Il déplorait qu’en l’absence d’une « Europe unie et sociale », le FMI puisse s’immiscer dans les affaires européennes. La tendance syndicale de SYRIZA (« Intervention de Gauche ») participe aux mobilisations, certes, mais sans tenter de sortir du cadre de ces journées qui se succèdent sans plan de mobilisation à plus long terme.

Tous, avec les travailleurs de Grèce

La colère des salariés grecs face aux mesures d’austérité du gouvernement socialiste, ressenties à juste titre comme des injustices supplémentaires, est forte. Elle n’est pourtant pas près de s’apaiser, surtout face aux nouveaux plans scélérats concoctés par les seize gouvernements de l’Eurogroupe (dont le gouvernement grec) et le FMI. Une nouvelle journée de grève est annoncée par les confédérations syndicales. Il suffirait qu’un secteur la reconduise puis s’adresse aux autres travailleurs pour que ces grèves à répétition tournent à la vraie grève générale. Les groupes d’extrême gauche grecs qui, dans leur quasi-totalité, dénoncent de manière radicale les directions syndicales, pourraient-ils alors saisir l’opportunité de jouer un rôle, malgré leur implantation et leur influence à ce jour faibles dans la classe ouvrière ?

On se rappelle la révolte de la jeunesse grecque de l’hiver 2008 qui affirmait qu’elle ne voulait plus être la génération appelée « des 600 euros ». C’est l’ensemble de la classe ouvrière grecque, aujourd’hui, qui dit haut et clair qu’elle n’a pas envie d’être la génération qui paie pour une crise dont elle n’est nullement responsable.

Stéphane BESSON


[1Tous les travailleurs ont un 13e et 14e salaire, un pour les vacances d’été, un demi-salaire avant les vacances de Noël et un autre demi-salaire avant les vacances de Pâques. La baisse programmée ne concerne que les fonctionnaires.

[2Cette tendance occupe la moitié des sièges dans les directions des deux grandes confédérations.

[3PASKE et DAKE, tendances syndicales liées la première au parti socialiste, la seconde à la droite.

Mots-clés Grèce , Monde
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