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Vers une médecine à trois vitesses

vendredi 3 juillet 2009

Dans la presse, on aura tout commenté de cette loi HPST (hôpital patient santé territoire) dite Loi Bachelot. Y compris ses aspects annexes mais néanmoins significatifs : le lobbying exercé par les filières du vin et autres grossistes en spiritueux pour la liberté de faire leur pub ; la menace de l’instauration du « testing » visant à détecter les médecins refusant les soins aux bénéficiaires de la CMU, mesure d’ailleurs abandonnée par le Sénat. Mais cette loi constitue surtout une nouvelle amplification des attaques des gouvernements successifs contre le service public hospitalier.

Loi orageuse dans un hôpital qui n’a déjà rien de serein…

En 2004, prétextant que le « principe d’égalité » n’était pas respecté entre hôpitaux publics et cliniques privées, le ministère exigeait que le budget des premiers qui était global jusqu’alors s’aligne petit à petit sur celui du secteur privé. Pour ce faire, il instaurait la T2A (Tarification à l’activité) qui prévoit un certain remboursement pour chaque acte effectué. Appliquée à 50 % en 2007 dans les hôpitaux publics, l’objectif annoncé était que la concurrence soit totale en 2012. Depuis, l’application de la T2A à 100 % a été avancée à janvier 2008.

De quelle « égalité » nous parle-t-on quand on sait qu’un établissement privé peut choisir ses patients et les activités les plus rentables alors que l’hôpital public, à l’instar des services des urgences, ne refuse personne et a la charge des soins les plus lourds et des investissements matériels de pointe ?

Et, pour pallier la pénurie de personnels planifiée par l’État (chaque année des milliers d’emplois en moins), la nouvelle « gouvernance hospitalière » décidée la même année, avec ses « pôles » regroupant plusieurs services, permet de faire valser le personnel d’un service à l’autre (voire demain d’un pôle à l’autre).

Avec ce nouveau mode de financement, un grand nombre d’hôpitaux sont, du coup, déclarés en faillite. Le ministère ordonnant un retour à l’équilibre qu’il a pourtant fortement contribué à détruire, les suppressions de postes (20 000 prévus à l’échelle nationale) se généralisent, ainsi que les fermetures de lits et de services. Cela résoudrait-il les déficits ? Même pas. Aujourd’hui, 60 % des hôpitaux, dont la quasi-totalité des CHU, sont en déficit alors qu’ils étaient seulement 2 à 3 % à être dans le rouge voilà 10 ans. Tout simplement, comme le relève la Fédération hospitalière de France, parce que « l’État nous verse un budget structurellement inférieur aux charges »  ! L’an prochain, le budget des hôpitaux doit augmenter de 3,1 % alors que les charges prévisibles augmenteront d’au moins 4 % vu le vieillissement de la population, le coût des médicaments et des nouvelles thérapies…

Mais tous les prétextes sont bons, même ceux qui sont la conséquence de cette politique, pour prôner une prétendue « nécessaire » réforme de l’hôpital. Comme lors du décès, le 28 décembre 2008, d’un homme de 56 ans victime d’un malaise cardiaque après avoir été trimbalé six heures par le Samu à la recherche d’un lit disponible : c’était juste un « problème de régulation » , expliquait le gouvernement. Et Sarkozy d’ajouter : « L’immobilisme n’est pas une option et c’est moins la question des moyens qui doit être posée que celle du déficit d’organisation et de modernisation » . Et va pour vanter les mérites de la mise en place dans l’hôpital d’un véritable patron et d’une bonne gouvernance au nom de la « rentabilité » face à « l’immobilisme » .

…et qui parachève son démantèlement

Avec la création des Communautés hospitalières de territoires, la loi Bachelot poursuit à grande échelle la politique de fusions, regroupements et fermetures d’établissement. À l’AP-HP (hôpitaux de Paris), où la direction a supprimé 2 600 postes en 2008 et compte en supprimer plus de 1 000 cette année, les 38 hôpitaux vont être regroupés en 13 territoires de santé avec l’élimination des services « en doublon » ainsi que les personnels qui vont avec. Sans parler de la flexibilité qui peut dès lors être imposée aux salariés leur demandant de naviguer d’un établissement à l’autre.

La loi met fin aux conseils d’administration des établissements, auxquels elle substitue des conseils de surveillance… des finances. Non que les CA soient des lieux de démocratie redoutables mais une bonne petite direction toute puissante, avec des cadres formés à la gestion d’entreprise, quoi de mieux pour soigner les budgets plus que la population ?

Et pour veiller aux finances, la loi crée les ARS (Agences régionales de santé) aux pouvoir plus étendus que celui des anciennes ARH (Agences régionales d’hospitalisation, déjà maîtres d’œuvre de bien des plans d’économie) puisque leur compétence mélangera l’hospitalisation publique avec l’hospitalisation privée ou la médecine de ville. Pour pouvoir mieux réduire la première et confier au secteur privé bien des tâches du public.

… au profit des groupes privés

Les défenseurs de la loi sont donc surtout du côté des dirigeants des établissements privés. Comme J.L. Durousset président de la Fédération hospitalière privée (FHP), représentant 1 200 cliniques et hôpitaux à but lucratif, qui ne cache pas être satisfait que la loi autorise le privé à assurer des missions de services publics. « C‘est un cap symbolique, qui constitue l’aboutissement des réformes précédentes de l’hôpital et qui s’incarne dans l’abandon, par le projet de loi, de la notion de « service public hospitalier » » , déclarait-il au lendemain du 14 mai, journée de manifestation nationale des hôpitaux. Cela ne peut en effet que convenir à ces groupes que la loi leur permette de pomper les sous de la Sécurité sociale.

Et Bachelot prévoit aussi de développer les groupes de coopération sanitaire qui existent déjà et assurent notamment des contrats à des groupes privés avec les hôpitaux publics.

Comme le rappelait le professeur Grimaldi dans un article publié en 2008 dans Le Monde diplomatique, « la France détient le record européen des hospitalisations en milieu privé à but lucratif (23 %) » . Mais ce n’est apparemment pas assez. Et pour cause : l’un des plus grands groupes d’hospitalisation privés français, la Générale de santé, a reversé, en 2006, 420 millions d’euros à ses actionnaires qui exigent un taux de rentabilité supérieur à 16 %. De l’argent qui vient des caisses de l’assurance-maladie.

Avec les réformes en matière de santé, mises en œuvre depuis des années, on avait coutume de dire que l’on s’acheminait vers une médecine à deux vitesses : une pour les riches (le privé) et une pour les pauvres (l’hôpital public). Comme le soulignait Le Canard Enchaîné , avec la loi Bachelot on devra parler maintenant d’une médecine à trois vitesses : la troisième pour ceux qui tournent dans l’ambulance faute de personnels et de lits pour les accueillir !

Paul GALLER

Mots-clés Entreprises , Hôpital