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Liban : les vrais braqueurs sont au pouvoir

jeudi 22 septembre 2022

Ces derniers jours, l’épidémie de braquages de banques qui touche le Liban depuis plusieurs mois s’est accélérée. Mais on est loin de Jacques Mesrine ou de La casa de papel : les braqueurs d’un jour ne sont que des petits ou moyens épargnants dont les dépôts sont bloqués depuis trois ans par des banques au bord de la faillite. Ces Libanais viennent donc braquer leur banque pour récupérer… leur propre argent. Réaction de l’État libanais : fermer toutes les banques jusqu’à nouvel ordre.

« Je ne suis pas là pour tuer ou mettre le feu… Je suis là pour réclamer mes droits »

Ce sont les termes de Sali Hafez, une militante associative qui a braqué jeudi dernier une banque à Beyrouth pour récupérer quelques milliers de dollars afin de soigner sa sœur atteinte d’un cancer. À chaque braquage, la même histoire tragique : des Libanais de la classe moyenne qui se retrouvent au pied du mur devant des dépenses de santé pour leur entourage par exemple. Ces « braquages » recueillent un fort soutien populaire, d’autant plus que ces restrictions bancaires ne touchent pas tout le monde, d’où un fort sentiment d’injustice. Pendant des dizaines d’années, les banques libanaises ont en effet rémunéré grassement les placements des gros investisseurs. Mais devant la crise qui touche le pays depuis plusieurs années, les fuites de capitaux ont été massives. Bref, si vous aviez des millions de dollars dans une banque libanaise, pas d’inquiétude : votre capital est depuis longtemps sain et sauf à l’étranger. Pour tous les autres, il est devenu fortement improbable de revoir un jour la couleur de ses – souvent maigres – économies.

Une crise économique toujours plus profonde

Au-delà de ces restrictions budgétaires, la situation sociale est de plus en plus catastrophique. L’inflation atteint parfois plusieurs centaines de pourcents sur des produits de base alors que la livre libanaise subit dévaluation sur dévaluation depuis plusieurs années : la monnaie locale a perdu 95 % de sa valeur en deux ans par rapport au dollar. Et si les prix augmentent, les salaires restent bloqués : pour tous les travailleurs payés en monnaie nationale, notamment ceux du secteur public, la chute de pouvoir d’achat est abyssale. Le salaire minimum vaut ainsi moins d’un dixième de son niveau d’avant crise. Selon l’ONU, le taux de pauvreté a bondi de 28 % à 80 % en trois ans.

L’État libanais est devenu incapable de subvenir aux besoins de base ; l’électricité publique ne fonctionne que quelques heures par jour, les subventions sur l’essence ou les médicaments ont été supprimées, les travaux publics ne sont plus assurés… La seule possibilité de réussir à sortir la tête de l’eau est de pouvoir compter sur les envois d’argent de l’importante diaspora libanaise à travers le monde. Un système de débrouille des plus précaires !

La situation est encore pire pour les 1,5 million de réfugiés syriens – dans un pays dont la population totale n’excède pas 7 millions de personnes – qui sont pour beaucoup dans l’extrême pauvreté. Et qui subissent de plus en plus le racisme, la crise économique étant le terreau d’un discours anti-migrants dans la classe politique libanaise.

Aux racines de la crise, la faillite d’un système économique et politique

L’économie libanaise, après la guerre civile qui a ravagé le pays entre 1975 et 1990, a connu en apparence un essor important avec des taux de croissance à deux chiffres. Mais le ver était dans le fruit : cette croissance reposait avant tout sur des crédits à fort taux d’intérêt contractés par l’État libanais auprès des banques. Les capitalistes libanais ou étrangers ont ainsi pu faire fructifier leur proximité avec le personnel politique à la tête de l’État pour amasser des fortunes considérables. Les hommes politiques n’ont pas été en reste, l’accès à des fonctions politiques importantes étant la voie royale pour un enrichissement rapide entre pots-de-vin et obtention de marchés publics pour l’entreprise familiale. Dans un pays où le confessionnalisme de la vie politique est institutionnalisé – chaque religion se partageant selon un subtil équilibre les postes de pouvoir – personne n’a été lésé. Chrétiens maronites, sunnites, chiites, druzes, etc. : chaque « communauté » a vu surgir des milliardaires dans ses rangs. Les exemptions fiscales pour les plus riches se sont également multipliées notamment en ce qui concerne la spéculation immobilière, source considérable de revenu pour les grandes fortunes libanaises. Et tous ces arrangements ont été protégés par un secret bancaire sacro-saint au Liban.

Ce système a notamment eu pour conséquence de gonfler la dette de l’État libanais qui atteint presque les 200 % du PIB national. Au point que l’État s’est retrouvé en quasi défaut de paiement, incapable de rembourser certaines échéances de sa dette. Une partie de celle-ci étant possédée par les banques libanaises, ces dernières se sont également retrouvées en situation critique. La livre libanaise a dévissé sur le marché des devises, d’où cette inflation à trois chiffres puisque la plupart des produits consommés au Liban sont importés en dollars. Au final, la crise bancaire a mené à un effondrement économique payé au prix fort par la population.

Les responsables sont encore au pouvoir

La classe politique libanaise est totalement liée à ce système clientéliste et confessionnel qui a généré d’immenses inégalités et poussé le pays à la faillite généralisée. Alors que l’économie s’effondre, les tractations entre les dirigeants des clans confessionnels continuent pour se répartir les postes au pouvoir. Et comme toujours dans ces crises de la dette, les vautours ne tardent pas à surgir pour le festin… Le Liban a ainsi eu la visite du FMI qui conditionne ses aides budgétaires à des « réformes structurelles » dont le recul de l’âge de la retraite et une politique d’austérité budgétaire. Un remède dont l’histoire a prouvé partout dans le monde, de l’Afrique à l’Amérique latine, les conséquences sociales dramatiques pour les classes populaires.

Emmanuel Macron avait, lui, endossé le costume d’homme providentiel en se rendant à Beyrouth à l’été 2020. Une visite aux relents coloniaux où il avait fait la promesse « d’aider le peuple libanais ». Plus de deux ans plus tard, le peuple libanais peut juger : rien n’a bien sûr changé. Les accents grandiloquents de Macron cachaient surtout la volonté de l’État français de tirer son épingle du jeu pour ses propres intérêts en renforçant son influence dans ce Proche-Orient explosif.

La Thawra n’est pas morte

En octobre 2019, un projet de taxe sur les appels WhatsApp avait mis le feu aux poudres. Pendant plusieurs semaines, la population libanaise avait manifesté par millions dans tout le pays et brisé les barrières confessionnelles. Ce mouvement, appelé Thawra (« révolution » en arabe) par les Libanais, avait provoqué la démission du Premier ministre de l’époque et montré la force d’un peuple déterminé à se faire entendre. Trois ans plus tard, les symboles du mouvement sont encore visibles : des poings immenses se dressent à l’entrée des grandes villes et les slogans militants s’affichent sur les murs de Beyrouth. Aujourd’hui, la détestation de la classe politique n’a jamais été aussi importante dans la population libanaise : de quoi provoquer, tôt ou tard, le deuxième acte de cette Thawra, alors que l’Iran s’embrase à son tour ?

Boris Leto

Mots-clés Liban , Monde
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