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La déferlante des suppressions d’emplois

samedi 1er décembre 2001

Les annonces fracassantes du début de l’année (Danone, Marks et Spencer, AOM…) ont donné le coup d’envoi à une série ininterrompue de plans de suppressions d’emplois. Il fallait un certain toupet aux cinquante-six grands patrons qui, fin octobre, ont signé un manifeste réclamant l’assouplissement des conditions de licenciement. L’avalanche actuelle de plans dits « sociaux » n’est guère entravée par de quelconques dispositions légales, et ne le sera pas davantage l’an prochain, lorsque la loi socialiste sur la « modernisation sociale » sera entrée en vigueur.

L’ampleur de la vague actuelle de suppressions d’emplois est difficile à évaluer, en premier lieu parce qu’elle ne prend pas toujours la forme de plans sociaux dûment déclarés. L’emploi précaire (intérim, contrats à durée déterminée et autres contrats d’apprentissage, etc.) a représenté de l’ordre de 50 % des emplois nouveaux apparus en Europe aux cours des 3 années de croissance écoulées, et la France ne fait pas exception à la règle.

Les grands groupes licencient avec méthode

Les plans sociaux classiques mis en œuvre par les grands groupes, de Danone à Bosch en passant par Valéo, Delphi, Philips, Ericsson, Rhodia, Aventis, Bata, etc. sont la forme la plus voyante de destruction de l’emploi, mais pas forcément la principale. Ce sont généralement des groupes par ailleurs florissants qui programment ce qu’ils appellent cyniquement des « dégraissages », soit pour anticiper ou accompagner un ralentissement économique (notamment dans le secteur des télécom, où 14 000 emplois auraient déjà été supprimés en France cette année selon la CGT), soit tout simplement dans la perspective de gains de productivité à long terme permettant d’assurer aux actionnaires les sacro-saints « 15% » de retour annuel sur leurs placements. D’ailleurs, ces groupes ont généralement « provisionné » quelques centaines de millions de francs afin de financer leur plan social il y a de cela des mois, à un moment où rien ne permettait de pronostiquer l’ampleur du ralentissement actuel de l’activité économique. Certains ont sans doute aussi profité de la multiplication des annonces de licenciements avant comme après le 11 septembre pour anticiper les licenciements prévus, espérer passer inaperçus en se fondant dans la masse. Sans oublier que les annonces fracassantes de plans sociaux et de restructurations sont souvent l’occasion de juteux « coups boursiers » auxquels les cadres dirigeants sont associés par le biais de leurs stock options.

Faillites suspectes

La multiplication des faillites, qu’elles soient spontanées ou provoquées, est une autre source importantes de pertes d’emplois. Le nombre total des défaillances d’entreprises ne progresse guère, mais les entreprises concernées sont de taille croissante. Selon une étude émanant de l’assureur Euler-SFAC, pas moins de 85 entreprises réalisant plus de 100 millions de francs de chiffre d’affaires ont déposé leur bilan depuis le début de l’année. Moulinex et AOM – Air Liberté n’ont été que les cas les plus médiatisés de cette longue série noire qui touche tous les secteurs, des nouvelles technologies de l’information et de la communication (Télécom Sofrer et SC Télécom, ex-Compagnie des Signaux) au textile avec Point Mousse Industrie (La City), en passant par les transports (Transports Grimaud) ou la restauration (Léon de Bruxelles). Des entreprises qui regroupaient au total 40 000 salariés. Tous ne seront pas licenciés mais les repreneurs, quand il y en a, n’hésitent pas à procéder à des coupes claires dans les effectifs, à l’instar de SEB chez Moulinex.

Cette épidémie de dépôts de bilan ne peut que susciter la suspicion sur leurs motifs, d’autant que nombre de grosses PME ne sont que les filiales de groupes de plus grande envergure. 27% de ces faillites sont explicitement imputées à « l’arrêt du soutien de la maison mère ». En réalité, on a fréquemment affaire à des restructurations déguisées, voire à peine déguisées quand l’entreprise en question est née de l’externalisation récente d’un site de grand groupe : ainsi, les ateliers mécaniques de Saint-Florent (114 salariés) sont en redressement judiciaire quelques mois à peine après avoir été placés en dehors du groupe Alsthom. Voilà qui ne laisse rien présager de bon quant aux desseins d’Alcatel, engagée dans une vaste opération d’externalisation de ses sites industriels.

Difficile de dire également dans combien de cas la défaillance fait suite à l’asphyxie délibérée de l’entreprise par ses propres actionnaires : le groupe italien El Fi S.A. s’est ainsi grassement payé sur la bête à l’occasion du rachat de Moulinex par Brandt, avant d’abandonner à son triste sort une entreprise criblée de dettes. SEB n’a mis que la dernière main au dépeçage de l’entreprise en raflant pour une bouchée de pain stocks et actifs industriels, laissant au passage près de 4000 salariés sur le carreau. Seul un contrôle ouvrier étendu sur les livres de comptes des grands groupes mettrait en lumière la véritable piraterie à laquelle se livrent les grandes familles bourgeoises sous couvert de holdings financiers anonymes.

Hécatombe chez les précaires

Dans l’industrie, où les intérimaires sont proportionnellement deux fois plus nombreux que dans les autres secteurs, les fins de missions sont innombrables : à Batilly (en Meurthe et Moselle), la SOVAB, qui construit des véhicules utilitaires pour Renault, à mis à pied plus des deux tiers de ses 900 intérimaires. Chez Faurécia, équipementier automobile contrôlé par Peugeot, un cadre explique : « Nous stoppons les usines qui travaillent en ’juste-à-temps’ quand celles des constructeurs s’arrêtent…[pour ajuster les effectifs, reste à] jouer sur le volant d’intérimaires » (près de 20% de la main-d’œuvre). Ce faisant, les équipementiers français ne font que suivre l’exemple de leurs donneurs d’ordres : PSA et Renault n’ont certes pas encore annoncé cette année de « dégraissage », mais ils ont commencé à largement tailler dans les effectifs d’intérimaires de leurs différents sites.

Les exemple de ces pratiques sont légion également en dehors de l’industrie : au même moment où elle annulait (début octobre) le projet de reprise des salariés de l’ex AOM-Air Liberté, Air France sabrait quatre à cinq cents contrats d’adaptation (CDA), d’apprentissage (CFA), de qualification (CDQ) ou à durée déterminée (CDD) sur ses différentes escales. A la limite, les plans sociaux officiels ne sont parfois que l’arbre qui cache la forêt : à Canéjan dans la région bordelaise, Solectron, qui n’annonce « que » 118 suppressions d’emplois (sur 1563 salariés) dans le cadre de son plan social a d’ores et déjà remercié plus de 1000 intérimaires sur 2500 depuis octobre.

Des fins de missions qui se reflètent d’ores et déjà dans les statistiques officielles : cet été, selon l’UNEDIC, le travail temporaire (600 000 salariés) avait vu ses effectifs baisser de presque 50 000 par rapport à l’été 2000. De février à septembre, ce sont 127 300 emplois d’intérim qui se sont évaporés : près d’un intérimaire sur 5 s’est retrouvé sur le carreau en l’espace de seulement sept mois !

Julien FORGEAT

Mots-clés Licenciements , Politique