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Sri Lanka : soulèvement contre la vie chère et la dictature

vendredi 22 juillet 2022

Depuis plusieurs mois un soulèvement d’ampleur contre la vie chère, la pénurie et le népotisme secoue le Sri Lanka. Le clan Rajapaksa, la famille du premier ministre, du président et de plusieurs ministres, présente depuis des années à la tête de l’État sri-lankais, a été dégagée du pouvoir. Lâché par l’armée qui a laissé les manifestants envahir le palais présidentiel et les bureaux du premier ministre, Gota, le président, a été évacué à la dernière minute. Nous nous entretenons avec Wilfred Silva, militant originaire du Sri Lanka exilé en France et membre du media en ligne socialiste panasiatique « Asia commune ».

Quelle est la situation politique au Sri Lanka ?

La mobilisation a commencé sur des questions de vie chère avant de se tourner plus directement vers la politique. Depuis un an plusieurs luttes importantes ont eu lieu. Elles ont posé les prémices du mouvement actuel, notamment celles pour les salaires dans les plantations de thé, les grèves d’enseignants du primaire également relatives au pouvoir d’achat, les mobilisations des paysans à qui avaient été interdites des importations d’engrais vitales à la production. Le 31 mars 2022 ces mobilisations ont été rejointes par les classes moyennes urbaines sur fond de paupérisation globale de la société avec pour slogan #Gotagohome (« Gota rentre chez toi ! »).

Aujourd’hui, la population se réjouit de la chute des Rajapaksa. Ce soulèvement est une leçon de démocratie et a le potentiel de transformer l’État et la société. L’élite politique n’a pas de plan pour régler la situation de manière parlementaire ou extra parlementaire. L’issue dépendra de la mobilisation continue de la population. Et cette dernière a pris confiance.

Comment s’organise la mobilisation ?

La mobilisation actuelle est massive et n’a pas de direction politique affirmée. Impliquant de nombreux jeunes et de nombreuses femmes, elle est en partie organisée par des comités locaux réclamant des aides économiques pour la population, l’abolition de la fonction présidentielle (le président a beaucoup de pouvoir notamment sur l’armée) ou une nouvelle constitution qui donnerait un rôle politique aux comités locaux. Toutefois, il n’y a pas d’organisation centralisée. Les comités locaux organisent eux-mêmes leurs manifestations au niveau local. De même, il n’y a pas de leader dominant ou de porte-parole identifiable.

Le « mouvement des citoyens » en cours (« Janatha Aragalaya »), se revendique « sans parti » (« nirpakshika »). Et de fait l’appel largement partagé à un « changement de système » pour corriger les défauts structurels du système politique n’est affilié à aucun parti politique, ni à aucune idéologie. Les participants sont issus du monde étudiant, de divers partis politiques (de gauche et de droite), d’ONG travaillant dans divers domaines comme l’écologie, de militants et de dirigeants de plusieurs syndicats, d’organisations d’agriculteurs, de pêcheurs, de femmes, d’organisations d’artistes diverses. En fait, les participants rejettent tous les partis représentés au Parlement. Ils reprochent à ces partis les occasions perdues depuis l’« indépendance » de l’île en 1948. Les organisations révolutionnaires essaient de défendre des revendications ouvrières dans le soulèvement en cours. La plupart des groupes participent aux manifestations mais sont peu impliqués dans l’organisation d’« Aragalaya ».

Qu’en est-il de la question nationale tamoule ?

À travers la promotion du bouddhisme sinhala, idéologie d’extrême droite mêlant fanatisme religieux et racisme contre les Tamouls hindouistes ou musulmans, l’État a renforcé le racisme chez les travailleurs cinghalais. En 2009, le gouvernement de Mahinda Rajapaksa (frère aîné de Gota) a lâché l’armée cinghalaise sur la population tamoule et a tué des dizaines de milliers de personnes accusées de faire partie du groupe indépendantiste les Tigres tamouls (LTTE) actif depuis les années 1980. L’adhésion au programme militaire gouvernemental a été forte et certaines organisations nationalistes « maoïstes », particulièrement le Janatha Vimukthi Peramuna (JVP), ont participé au génocide des Tamouls.

À l’exception des travailleurs des plantations de thé, les Tamouls, qui représentent 15% de la population de l’île, restent aujourd’hui à la marge de la mobilisation. Les principales revendications du « mouvement des citoyens » sont liées à l’identité cinghalaise. Les racines systémiques du suprémacisme cinghalais n’ont pas été prises en compte et les injustices historiques subies par les Tamouls ne sont pas reconnues. Cela ne signifie pas que les Tamouls du Nord et de l’Est sont indifférents à l’Aragalaya. Ils ont toujours voté pour le principal candidat de l’opposition aux Rajapaksa depuis 2005.

Où en est le gouvernement et les forces politiques constituées ?

Le mouvement syndical au Sri Lanka a été affaibli après la défaite de la grève générale de 1980, puis la gauche a dû faire face à la terreur étatique et à une répression terrible lors de la tentative de prise de pouvoir par les armes du JVP en 1988/1989, où des milliers de militants ont été assassinés par le pouvoir. Quoiqu’un peu regonflées par les mobilisations des derniers mois, les organisations de « gauche », notamment le JVP et ses organisations affiliées ainsi que sa scission le Frontline Socialist Party (FSP), sont faibles en raison de la répression mais également du fait des politiques de collaboration de classes qui ont été menées. Sans même parler du chauvinisme anti-Tamouls qui constitue un obstacle essentiel, une partie de la gauche veut travailler avec les partis bourgeois tandis que leurs traditions antidémocratiques issues du stalinisme se maintiennent.

De leur côté, les syndicats des entreprises du privé sont aujourd’hui liés aux partis bourgeois classiques. Au début ils ont été méfiants à l’égard de la mobilisation et de son caractère « anarchique » et « désordonné ». Les petits syndicats de gauche (syndicat des employés de banque, enseignants, Ceylon Mercantile Union (CMU) et United Federation of Labor (UFL), au total plusieurs milliers de syndiqués) ont eu plus de sympathie pour le mouvement et l’ont rejoint. Une fraction non négligeable du prolétariat et de la population sent qu’elle a un rôle à jouer dans sa propre destinée.

Après la récente démission et fuite de Gota, l’Assemblée a élu un nouveau président parmi les parlementaires. La population n’est, très certainement, pas dupe de ces manœuvres. Tous les partis de la droite raciste et nationaliste, notamment le Sri Lanka Freedom Party (SLFP) et le United National Party (UNP), jusqu’à la « gauche » parlementaire notamment le JVP veulent former un gouvernement d’union nationale qui rassure les institutions internationales comme le FMI qui affirmait dernièrement qu’il ne prêterait au Sri Lanka endetté que si celui-ci se stabilisait politiquement. Ce gouvernement d’union nationale est présenté comme le seul en capacité de résoudre la crise économique et le FMI est bien connu pour imposer d’énormes sacrifices aux populations en échange de ses « prêts ».

Propos recueillis par Stan Miller.

Mots-clés Monde , Sri Lanka
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