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Insee : Sarkozy veut cacher les statistiques et casser les statisticiens

mardi 2 décembre 2008

Le 21 octobre dernier, la statistique publique a connu sa plus forte mobilisation depuis les années 1970. 60 % des 8 500 statisticiens étaient en grève. En région, plusieurs centaines d’agents se sont rendus à des rassemblements. À Paris, un millier ont manifesté, malgré la pluie battante, aux cris de « C’est pas la statistique, qu’il faut bouger, c’est la politique qu’il faut changer ! ».

La colère est venue d’une petite surprise de retour de vacances. Le 2 septembre, certains apprenaient, par une dépêche AFP, l’annonce par Sarkozy d’une délocalisation à Metz de 1 500 emplois publics, dont un « pôle de statistique publique » de mille personnes. Sarkozy prétendait ainsi compenser le départ de 7 000 militaires. Alors que Fillon justifiait que «  l’armée n’a pas vocation à gérer les problèmes d’aménagement du territoire  », lui et son président semblaient considérer que c’était le rôle des agents publics.

Dès l’annonce, les discussions se sont multipliées dans les couloirs, chacun s’imaginant vivre dans les casernes délaissées par les militaires : l’horreur ! En quelques jours, des assemblées générales ont réuni plusieurs centaines d’agents. On se mobilise pour son avenir personnel, mais aussi pour l’avenir de la statistique et son indépendance. Pour tout le monde, il est évident que la délocalisation est une attaque contre les services publics.

En guise d’aménagement du territoire ? Il ne s’agit que d’un fumigène pour plaire aux élus. Car le gouvernement supprime des emplois publics locaux en masse dans la région : 377 postes d’enseignement en moins dans l’académie Nancy-Metz à la rentrée 2008, 600 licenciements avec la fermeture d’Arcelor. Avec le coût du déménagement, il serait possible de développer de nouveaux emplois pour les chômeurs de la région, plutôt que d’importer des salariés qui n’y ont pas leur vie.

Un mouvement large et démocratique

Pour la plupart, cette lutte est une première. Des « comités de défense », soutenus par les syndicats, s’organisent à la direction générale de l’Insee, dans quelques directions régionales et dans les services statistiques des ministères. Plus de 250 personnes y débattent de la stratégie du mouvement, des actions à mener, se partagent la confection des argumentaires, des tracts, organisent des prises de contact avec journalistes et utilisateurs, etc. Et toutes les deux semaines, les assemblées générales font le plein pour valider les grandes orientations.

Entre différents services, beaucoup se connaissent car, tous les trois ou quatre ans, les agents de l’Insee doivent tourner, passer d’une direction à une autre ou aller dans un service statistique ministériel. La mobilité contrainte est censée diffuser les connaissances : désormais, elle sert à diffuser la lutte. Les comités de défense sont en contact permanent. Le 18 novembre, la deuxième coordination nationale s’est réunie, avec des représentants de la direction générale et de dix-sept directions régionales de l’Insee, ainsi que de sept services statistiques ministériels. La première coordination avait décidé de la grève du 21 octobre. Celle-ci appelle à une journée nationale d’action, le 25 novembre, mais avec un rassemblement commun avec les autres délocalisés. Car la statistique n’est pas seule. S’ajoutent, annoncés petit à petit : l’Inrap (recherche en archéologie préventive), l’Organisme national des forêts, diverses directions du ministère du Développement durable... Fillon veut envoyer 5 000 emplois publics parisiens vers les villes où des garnisons importantes sont supprimées.

Une manœuvre pour supprimer des emplois

Le gouvernement connaît bien les conséquences : un conseiller de Fillon l’a rappelé à une délégation du mouvement. L’expérience des précédentes délocalisations, notamment celles initiées par la gauche en 1991, montre qu’en général 5 à 10 % du personnel suit. Car, si la région parisienne n’a pas été un choix pour tout le monde au départ, des liens sociaux s’y sont tissés et, bien souvent, les conjoints ont un travail qu’ils ne pourront pas retrouver dans la région de destination, surtout avec la crise qui commence.

Bien sûr, le directeur de l’Insee répète que personne ne sera forcé. Mais où iront ceux dont le poste disparaît ? Il n’exclut pas une reconversion d’office ! Mais avec les suppressions d’emplois dans l’ensemble des administrations, il sera difficile de trouver quelque chose ailleurs. Et comment y croire quand se prépare à l’Assemblée une « loi sur la mobilité » dont le but est de contraindre les agents publics à bouger quand leur poste disparaît, sous peine de perdre son salaire ?

Une dent contre la statistique

Par ailleurs, le choix de la statistique n’est pas un hasard. Sarkozy en veut à l’Insee depuis son passage au ministère des Finances en 2004. Sitôt élu Président, il a limogé le directeur général avec qui il s’était accroché.

Les statisticiens tiennent à leur indépendance et le gouvernement voudrait que les chiffres lui soient soumis à l’avance, pour qu’il ait le temps de préparer ses commentaires... ou éventuellement d’en empêcher la publication. Déjà, dans les services statistiques ministériels, c’est le règne de la mauvaise foi pour bloquer ou ralentir la publication d’études désagréables pour le gouvernement. Car, si certains modes de calcul, de l’inflation ou du chômage sont critiquables, les chiffres et études des statisticiens publics restent encore hors du contrôle direct des gouvernements. C’est ce qui est en jeu aujourd’hui. Quand on veut nier la maladie, on casse le thermomètre : « Pas de chiffres, pas de crise » disent les manifestants.

Le gouvernement souhaiterait également privatiser les morceaux rentables de l’Insee. L’Insee publierait les chiffres sans commentaire, tout en sous-traitant l’interrogation à des organismes de sondage, comme cela se fait déjà dans les services ministériels. À partir de ces chiffres, des instituts privés feraient les analyses, dont la plupart seraient financées par des commandes publiques. La délocalisation apparaît comme une étape vers le démantèlement, surtout dans ce contexte de « révision générale des politiques publiques » (RGPP), qui réorganise, à effectifs drastiquement réduits, l’ensemble des services de l’État.

Une dynamique d’actions

Quel contour pour le pôle statistique à Metz ? Un rapport sera rendu le 30 novembre. D’ici là, motus et bouche cousue. Le directeur de l’Insee répète seulement qu’il n’a pas souhaité cette délocalisation, que ce n’est pas une bonne chose pour la statistique... mais qu’il la mettra en œuvre (de la meilleure façon possible, bien sûr) !

C’est l’attente. Mais, en matière d’initiatives, les statisticiens font du chiffre : rassemblements, délégations à la direction et aux cabinets ministériels, envahissements de comités de direction, interruptions de conférences de presse lors de la publication des chiffres, diffusion de tracts dans des colloques d’utilisateurs, publications parodiques envoyées à la presse juste avant les vraies, etc. Une pétition a déjà recueilli 17 000 signatures et les statisticiens se rendent aux manifestations des enseignants, des postiers, pour la faire signer.

Mais pour faire reculer le gouvernement, il faudrait faire converger les luttes et pas seulement les pétitions. Sous la pression du mécontentement, les fédérations de fonctionnaires concèderaient une journée de défense du service public pour un samedi de mi-décembre. Mais on ne peut pas dire qu’elles militent véritablement pour une lutte d’ensemble des enseignants, postiers, météo, cheminots, pilotes... La seule énumération montre pourtant combien les attaques sont générales. En tout cas pour les statisticiens, qui n’ont vraiment rien contre l’Alsace et la Lorraine, « La Metz n’est pas dite ! »

22 novembre 2008

Maurice SPIRZ

Mots-clés INSEE , Politique , Statistiques