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La grande misère de la gauche israélienne

vendredi 1er février 2002

Si la gauche israélienne voulait signifier que plus rien ne la distinguait du chef du gouvernement d’union nationale, responsable des massacres de Sabra et Chatila, auteur de la provocation de l’Esplanade des Mosquées qui relança l’Intifada à l’automne 2000, quel meilleur chef pouvait-elle se donner que Ben Eliezer, ministre de la Défense d’Ariel Sharon, ancien général comme celui-ci, accusé comme lui de crime de guerre pour avoir, en 1967, fait exécuter des dizaines de prisonniers arabes ? C’est pourtant lui qui vient d’être élu à la tête du Parti travailliste.

Voilà l’aboutissement logique d’une trajectoire qui a vu les travaillistes piétiner sans relâche les espoirs de paix qu’une fraction parfois majoritaire de l’électorat plaçait, bien à tort, en eux. Leur décision du 5 décembre dernier de se maintenir au sein du gouvernement d’union nationale était ainsi commentée par l’un des dirigeants du parti, opposant de gauche pourtant guère radical, Yossi Beilin : « Sharon est venu au pouvoir pour détruire toute chance de paix. L’ironie de l’histoire c’est qu’il y parvient avec l’aide des travaillistes ».

Barak, fourrier de l’extrême-droite

La gauche travailliste, représentant environ le tiers du parti, incarnée par Beilin, Avraham Burg, le président de la Knesset, ou Schlomo Ben Ami, critique aujourd’hui les « faucons » du parti. C’est oublier un peu vite que le triomphe actuel des Sharon et consorts est le fruit de la politique menée par son prédécesseur travailliste Barak, dont Ben Ami fut le ministre des affaires étrangères et Beilin le ministre de la justice.

Or sous le gouvernement Barak le rythme d’implantation des nouvelles colonies au-delà des frontières de 1967 ne s’est pas même ralenti par rapport à ce qu’il fut sous Nétanyahou, son prédécesseur de droite. Résultat : ces implantations ont gonflé de plus de 50 % par rapport à 1993, date des accords d’Oslo.

Non content de donner ainsi de nouveaux gages à l’extrême-droite, Barak a cautionné la provocation de Sharon sur l’Esplanade des Mosquées, l’escortant de 2000 policiers et militaires avant de s’engager dans une vague de répression.

Mais là n’est sans doute pas le pire. A l’électorat juif pacifiste et aux Arabes israéliens qui l’avaient porté au pouvoir, Barak tint en substance ce discours : nous avons exploré jusqu’au bout les possibilités de dialogue avec les Palestiniens ; à Camp David et à Taba, nous avons consenti tous les sacrifices compatibles avec le maintien de l’Etat d’Israël et la survie de ses habitants ; mais Arafat nous a présenté des demandes toujours plus exorbitantes tout en encourageant en sous-main le terrorisme.

Cette théorie selon laquelle Barak aurait fait en 2000 des concessions sans précédent est évidemment fallacieuse. Alors qu’Arafat acceptait le principe d’un retour aux frontières de 1967 (se contentant ainsi de 22 % du territoire de la Palestine d’avant 1948), Barak voulait non seulement en retrancher de vastes secteurs correspondant aux territoires des colonies mais en plus imposer des zones sous « contrôle temporaire ». A l’arrivée, le territoire autonome palestinien n’était plus qu’une enfilade de bantoustans reliés entre eux par des couloirs biscornus voire des tunnels souterrains !

N’empêche, les travaillistes (même « de gauche ») n’en démordent pas. Ainsi Ben Ami, ministre des affaires étrangères de Barak, dans son récent livre Quel avenir pour Israël ? : « Les dirigeants palestiniens refusaient les propositions les plus osées jamais avancées par un gouvernement israélien dans l’histoire du conflit, parce qu’ils ne voulaient pas, et ne veulent toujours pas, d’un compromis qui reconnaisse le droit à l’existence morale d’un Etat juif dans cette partie du monde ».

Résultat : aux élections du printemps 2001, marquées par un taux élevé d’abstention (40 %), l’électorat centriste qui avait cru un temps au « processus de paix » glissa vers la droite, les juifs pacifistes se détournèrent des urnes imités, à un degré encore plus fort, par les Arabes israéliens (80 % d’abstention, un véritable boycott).

Meretz, « la petite sœur gauchiste »

Quant au petit parti laïc radical et pacifiste situé sur la gauche des travaillistes, le Meretz, il apparaît comme leur « petite sœur gauchiste » selon l’expression d’un journaliste du quotidien Haaretz. Quand les dirigeants du Meretz, dont son leader Yossi Sarid, quittèrent le cabinet Barak, auquel ils avaient appartenu des mois durant, ce ne fut pas pour dénoncer la dérive droitière de Barak, mais pour ne pas irriter les ministres ultra-religieux du Shas. Non contents de s’être lâchement défilés devant la pression des intégristes, ils ont renouvelé leur soutien à Barak, même quand l’armée bombarda Gaza et Ramallah après les provocations de Sharon sur l’Esplanade des Mosquées et abattit 13 Arabes israéliens.

Il y a un an, le Meretz, dont les dix députés au parlement pouvaient ouvrir la voie du pouvoir à Perès qui affichait alors des positions de gauche, se trouva soudain en position d’arbitre de la vie politique. Il fallait évidemment avoir la mémoire courte pour prêter foi aux roucoulements d’un Perès. Mais ce n’est pas ce qui motiva la position du Meretz : après moult tractations, Yossi Sarid réaffirma son soutien à Barak afin de ne pas « faire exploser le camp de la paix » ! Le Meretz a préféré accompagner (en pleurnichant) le parti travailliste dans son discrédit et son aventure réactionnaire.

Le sabordage du mouvement de la paix

Aujourd’hui, le mouvement de la paix, loin de rassembler 100 à 200 000 manifestants comme à ses grandes heures, en mobilise au mieux quelques milliers, au pire quelques centaines. Pas étonnant que bien des manifestants, écœurés d’avoir servi de marchepied électoral à Barak, aient renoncé à défiler : même des porte-parole de Shalom Akhchav (« La Paix Maintenant », principale composante du mouvement pacifiste), comme Janet Aviat, imputent la responsabilité de la reprise des hostilités à Yasser Arafat.

Seuls des groupes minoritaires continuent aujourd’hui à protester contre la répression orchestrée par Sharon. On peut reconnaître à ces militants le mérite de résister à la pression chauvine et de mener sur le terrain, non sans courage, des actions de blocage et de résistance à l’armée. Il n’est pas rare que Tsahal doive renoncer à la destruction d’un village palestinien devant l’opiniâtreté de ces activistes, juifs et arabes confondus, comme en septembre dernier près de Yatta. Des réservistes israéliens continuent par ailleurs de payer par la prison leur refus de servir dans les territoires.

Mais sur un plan politique, cette mouvance n’offre guère de perspectives autres qu’un soutien critique aux sociaux-démocrates. Oury Avnery, leader du Goush Shalom (le « bloc de la paix », ainsi nommé par opposition au Goush Emounim, le « bloc de la foi », ramassis de religieux fascisants), en symbolise bien les limites. « Il y a vingt mois, lorsque Barak a été élu, j’ai couru vers la place Rabin pour y faire la fête », reconnaît-il, avant de dresser le bilan lucide de toutes les trahisons des travaillistes : « (…) en vingt mois, Barak a détruit tout ce qu’il pouvait détruire (…). Comment a-t-il pu faire cela ? Il n’a pas rendu aux Palestiniens un seul mètre carré de territoire. Il a piétiné avec arrogance les accords d’Oslo. Il a agrandi les implantations [de colonies juives] à un rythme dément. Il n’a cessé de tracer des routes de contournement à des fins d’annexion. Il a essayé de dicter aux Palestiniens un traité de capitulation. (…) Pendant un an et demi, Barak a conduit le train de l’Etat sur les rails tracés par Sharon. »

Cette amère expérience n’a pourtant pas suffi à retirer à Avnery ses illusions dans la social-démocratie : « Ehoud Barak, je te supplie : jure-nous qu’en aucun cas tu n’entreras dans le gouvernement Sharon et présente-nous un plan de paix crédible ».

Ainsi, les différentes composantes de l’opposition de gauche s’en remettent indéfiniment aux travaillistes… Elles manquent ainsi toutes les occasions de s’appuyer sur les sentiments de ras-le-bol et de lassitude qui ont régulièrement émergé dans la population israélienne elle-même, et qui ne manqueront pas d’apparaître à nouveau : alors que les réservistes doivent à nouveau effectuer des périodes de service actif pour défendre quelques familles de colons, ce qui impose aux salariés des sacrifices financiers importants et entrave le cursus des étudiants, alors que la majeure partie des travailleurs israéliens souffre d’une récession profonde, alors que le taux de chômage officiel vient de dépasser la barre des 10%, il y aurait bel et bien matière en Israël à une politique internationaliste partant du principe qu’« un peuple qui en opprime un autre ne saurait être libre »…

Julien FORGEAT

Mots-clés Israël , Monde , Palestine