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Du droit des femmes à disposer de leur corps... au statut de l’embryon ?

jeudi 2 octobre 2008

En autorisant par décret l’enregistrement à l’état civil des fœtus mort-nés de moins de 22 semaines, le gouvernement tranche un débat ouvert par un arrêt de la Cour de cassation en février et donne satisfaction aux opposants au droit à l’avortement. Jusque-là, il était possible d’inscrire une mention sur le livret de famille et d’organiser des obsèques pour les fœtus ayant dépassé le seuil de viabilité défini par l’Organisation mondiale de la santé, soit un poids de 500 grammes ou 22 semaines d’aménorrhée. Désormais, cette possibilité est ouverte sans limite de poids et de durée pour toutes les femmes qui le désirent.

Les artisans de cette mesure récusent bien entendu toute volonté de remettre en cause le droit à l’avortement. Il ne s’agit selon eux que de prendre en considération la souffrance de femmes victimes de fausses couches tardives et qui souhaitent pouvoir réaliser un « travail de deuil ». L’évolution des mœurs et les progrès des techniques d’échographie favorisent une prise de contact de plus en plus précoce entre les futurs parents et le fœtus et une évolution du rapport à la grossesse. Il y a donc une réelle nécessité d’accompagnement pour les femmes victimes de ces accidents de la vie. Mais l’officialisation par l’inscription à l’état civil, loin d’apporter une solution satisfaisante, entretient au contraire une confusion morbide entre l’embryon, le fœtus et les enfants nés vivants.

Ce décret prend par contre tout son sens dans un contexte de mobilisation des adversaires de l’avortement pour la reconnaissance d’un statut de l’embryon. Il représente une victoire symbolique dans le sens de la sacralisation de la vie « de la conception à la mort » que défendent les « Provie ». Le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris, ne se trompe pas tellement quand il déclare : « Quand la Cour de cassation décide de légitimer l’inscription d’un fœtus comme membre de la famille, cela signifie bien que ce fœtus a un statut. La position de l’Église est que l’on doit agir comme si l’embryon était une personne. »

En 2003, Jean-Louis Garraud, député UMP de la Gironde avait déposé un amendement à la loi sur la sécurité routière instituant un délit « d’interruption involontaire de grossesse ». Voté en première lecture par l’assemblée nationale, il n’avait été repoussé au sénat que grâce à la mobilisation des défenseurs des droits des femmes. Le député avait récidivé dans sa tentative quelques mois plus tard à l’occasion de la loi de l’Adaptation de la Justice aux Évolutions de la Criminalité. Là aussi, il s’agissait de faire de l’embryon une personne disposant de droits spécifiques, instaurant en quelque sorte un « droit à la vie » pour l’enfant à naître.

Une stratégie qu’on retrouve aujourd’hui dans les décrets sur « l’acte d’enfant sans vie » : instrumentaliser la détresse réelle des victimes pour culpabiliser les femmes qui choisissent d’interrompre leur grossesse, dissuader les médecins de pratiquer des IVG et ouvrir des brèches juridiques dans lesquelles les opposants à l’avortement ne manqueront pas de s’engouffrer.

Coupable de ne pas vouloir être mère ?

30 ans après la loi Veil et les luttes des femmes pour la conquête du droit à disposer de leur corps, les préjugés réactionnaires les plus éculés non seulement n’ont pas disparu mais semblent reprendre de la vigueur. En 2004, alors qu’il signait les décrets permettant la généralisation de l’IVG médicamenteuse (avec, quand même, trois ans de retard sur la loi de 2001), le ministre de la santé Philippe Douste-Blazy se justifiait au nom de le préservation de « l’avenir de la fécondité d’une femme ». Outre qu’elle jette sur l’IVG chirurgicale une suspicion déplacée et inquiétante pour un médecin, cette déclaration indique aussi comment le ministre considère le rôle et la place de la femme dans la société : comme mère ayant comme tâche principale d’avoir et d’élever des enfants. S’il ne s’agissait que de la déclaration d’un ministre ultra-conservateur s’excusant auprès de ses électeurs de signer une mesure favorable à l’avortement, il y aurait plus matière à rire qu’à s’inquiéter. Malheureusement ces idées qu’on aurait pu croire d’un autre âge trouvent un écho largement au-delà de ces cercles réactionnaires.

Maud Gely, médecin gynécologue et militante du planning familial explique que «  les femmes ont intériorisé le fait qu’il est plus acceptable, quand on leur demande de justifier leur choix, d’invoquer le bien-être d’un enfant inexistant que celui d’une femme qui, elle, existe déjà : elles-mêmes.  »  [1] Martin Winckler, médecin, écrivain et militant des droits des femmes insiste : la France, plus que d’autres, « reste un pays où l’on considère qu’une femme, c’est fait pour avoir des enfants. D’ailleurs, les patientes qui viennent chez leur médecin pour faire renouveler leur contraception s’attirent souvent des réflexions du genre : “Vous savez, l’horloge tourne !” »  [2]

Dans son livre Avorter aujourd’hui, 30 ans après la loi Veil , Olivia Benhamou recueille de très nombreux témoignages sur la manière insidieuse dont on culpabilise les femmes qui choisissent d’avorter. Entretiens préalables avec photos de fœtus à l’appui, obligation de regarder en détail l’échographie voire d’écouter les battements de cœur du fœtus ou de subir dans un moment de toute façon difficile des discours moralisateurs. Quand ce n’est pas pour ne pas vouloir être mère que les femmes sont coupables, c’est pour ne pas avoir su maîtriser leur fécondité. Pourtant, deux grossesses non désirées sur trois concernent des femmes qui utilisaient un moyen de contraception.

Les rumeurs aussi ont la peau dure, colportées par certains médecins qui auraient pourtant pour tâche d’apporter une information claire et rassurante. Parmi ces rumeurs insistantes, il y a celles sur les dangers de l’IVG pour la santé des femmes ou leur capacité ultérieure à avoir des enfants, alors même que toutes les études sérieuses disent le contraire. Il y a également celles sur l’impact psychologique et la difficulté à surmonter les suites d’un avortement. Pourtant c’est d’abord la dramatisation par la société qui fait de l’avortement un drame. Correctement accompagné et réalisé dans de bonnes condition, il est le plus souvent vécu pour ce qu’il est : le soulagement d’un choix accompli librement par une adulte responsable.

Le parcours de la combattante

Entre la mauvaise volonté des uns et le manque de moyen des autres, l’IVG est de plus en plus souvent un parcours de la combattante. En région parisienne, il faut aujourd’hui plus de 2 ou 3 semaines pour obtenir une intervention, jusqu’à 4 ou 5 semaines en été. Or la loi de 2001 autorisant l’IVG jusqu’à 14 semaines d’aménorrhée contre 12 auparavant n’est pas appliquée partout, loin s’en faut. Conséquence, entre 3 000 et 5 000 femmes doivent encore chaque année aller avorter à l’étranger faute d’une solution dans les délais légaux en France. Encore faut-il bien sûr qu’elles en aient la possibilité et les moyens puisque le voyage comme l’intervention sont alors à leur charge.

Dans un contexte général de restriction sur les dépenses de santé, l’activité IVG est bien souvent le premier poste d’économie, alors même que la situation est loin d’être florissante. En région parisienne où 58 000 avortements sont pratiqués tous les ans, le nombre de centres réalisant des IVG est passé en quelques années de 176 à 126 et les conditions d’accueil sont parfois lamentables. L’activité IVG ne tient souvent que par la volonté militante des équipes qui se battent pour la maintenir. Intégrée dans les services de gynécologie obstétrique ou de chirurgie générale, elle se heurte à l’indifférence sinon à l’hostilité ouverte des chefs de services ou des directions d’hôpitaux, quand ce n’est pas des médecins environnants. Au Centre d’Interruption Volontaire de Grossesse (CIVG) de l’hôpital Bicêtre dans le Val de Marne, pourtant considéré comme un des plus efficaces de la région parisienne, il n’y a pas de conseillère conjugale, une psychologue seulement une journée et demie par semaine et la pénurie de places en été est perceptible comme partout ailleurs. Jean-Claude Magnier qui dirige le centre explique : « nous avons tout ce que nous pouvons grappiller, et tout ce qu’on n’ose pas nous enlever. »  [3]

Mal rémunéré, mal considéré, pas enseigné dans les études de médecine, l’avortement peine à attirer de nouvelles vocations. Après la loi de 1975, les CIVG ont été mis en place par une génération de médecins militants, souvent ceux qui avaient pratiqué des avortements illégaux au début des années 1970. Alors que ces médecins commencent à partir à la retraite, le problème de leur succession pose la question de savoir qui va pratiquer demain des avortements en France. Avec la mise en place de la tarification à l’acte dans les hôpitaux publics, c’est l’abandon même de cette activité dans les établissements qui risque de se généraliser. Une revalorisation de 20 % du forfait sécurité sociale a été obtenue en 2008 pour l’avortement chirurgical, alors que la Cadac (Coordination des associations pour le droit à l’avortement et à la contraception) estime que pour couvrir le coût réel, il faudrait l’augmenter de... 300 % ! Résultat, l’IVG est une activité fortement déficitaire pour des hôpitaux contraints de rentabiliser leur fonctionnement.

Face aux carences du secteur public, le secteur privé pratique environ un tiers des IVG à l’échelle nationale, jusqu’à 58 % en Île de France et même 75 % dans le Val d’Oise. Mais les cliniques elles-mêmes, soit se désengagent et arrêtent une activité peu ou pas rentable, soit pratiquent l’IVG dans des conditions à la limite de la légalité, quand ce n’est pas franchement au-delà. Il n’est pas rare qu’on y demande aux femmes d’avancer en liquide la part remboursée par la sécurité sociale, qu’on y déclare les avortements sous une nomenclature différente pour en augmenter le tarif ou qu’on y pratique des dépassements d’honoraires importants, jusqu’à plusieurs centaines d’euros à la charge des femmes.

Menace sur les droits des femmes !

Entre la mauvaise volonté des pouvoirs publics, les pressions réactionnaires des opposants ouverts ou masqués et les attaques générales sur les systèmes de santé, la situation du droit à l’avortement représente une menace de recul réel et général sur le droit des femmes à disposer de leur corps. Une situation d’autant plus préoccupante qu’en l’absence de remise en cause frontale d’un droit considéré généralement comme acquis, les associations de défense des droits des femmes peinent à mobiliser.

Dans cette situation, ce sont bien sûr les jeunes filles des milieux populaires les plus durement pénalisées. Sans moyen pour payer les tarifs exorbitants des cliniques privées ou pour aller avorter en Hollande ou en Angleterre, sans information malgré l’activité et les efforts du planning familial et des associations, en butte souvent à l’hostilité et aux préjugés réactionnaires de l’entourage, en particulier dans les milieux où le poids de la religion est fort, elles peuvent se retrouver dans des situations sans issue.

La maîtrise de la fécondité, la liberté d’avoir ou de ne pas avoir des enfants, le libre choix d’une sexualité débarrassée de toute visée reproductrice est une conquête essentielle des luttes des femmes au vingtième siècle, un élément indispensable de toute égalité réelle entre les sexes. À l’heure où les adversaires des femmes s’allient avec les politiques d’économie sur la sécurité sociale et les systèmes de santé, il est plus que jamais nécessaire de le défendre.

Vincent BERGER


[1Le Monde Diplomatique Avril 2007, Mona Cholet, Les acquis féministes sont-ils irréversibles ?

[2Le Monde Diplomatique Avril 2007, Mona Cholet, Toujours sommées de procréer.

[3Olivia Benhamou, Avorter aujourd’hui

Mots-clés IVG , Société
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