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Bush veut sauver le capitalisme ? Producteurs, sauvons-nous nous-mêmes !

jeudi 2 octobre 2008

1 000 milliards de dollars : c’est en gros l’argent que l’administration Bush met sur la table pour sauver la finance américaine de l’implosion. Il s’agit pour l’État américain de racheter gracieusement les « actifs toxiques » des banques et autres institutions financières, c’est-à-dire les montagnes de créances pourries irrécouvrables et de titres invendables qu’elles ont sur les bras.

Privatisation des profits, socialisation des pertes ! Ce principe vieux comme le capitalisme n’aura jamais trouvé d’illustration aussi frappante ! Au moment où le gouvernement Sarkozy songe à privatiser la Poste, l’État américain, lui, nationalise les fleurons en faillite de Wall-Street, et pour sauver les banquiers trouve l’argent qu’il ne trouvait pas pour sauver les millions d’Américains expulsés de leur maison.

Un spectre hante Wall-Street

Cet appel aux contribuables (au moins 2 000 dollars en moyenne par Américain dès cette année !), Bush l’a justifié avec son aplomb habituel : « c’est un gros paquet parce que c’est un gros problème ». En effet ! Le spectre qui hante la bourgeoisie du monde entier, c’est la dépression de 1929, ou encore, moins grave mais plus proche de nous, la longue stagnation du Japon pendant les années 1990.

Le krach de 1929 avait vu exploser une bulle spéculative accumulée pendant toute la décennie précédente. La croissance des années 1920 était adossée à un endettement massif qui finançait les investissements et la consommation. À la suite du krach boursier d’octobre 1929, les banques gelèrent leurs crédits aussi bien aux entreprises qu’aux consommateurs, ce qui entraîna une dégringolade rapide de l’activité économique. Avec son cortège de fermetures et de licenciements. Pire : chaque acteur privé criblé de dettes était dans l’obligation de trouver du cash, à n’importe quel prix, pour sauver sa propre peau. Ainsi les banques se retournèrent-elles vers les entreprises débitrices pour leur réclamer le maximum de remboursement, les contraignant alors à la faillite et à la vente à prix bradés de leurs actifs, terrains et machines. Cela renforça la spirale dépressive enclenchée par la panique boursière.

Mais c’est le scénario japonais qui a été explicitement évoqué par le secrétaire au Trésor Paulson. Là encore le krach immobilier et boursier qui frappa l’archipel au début des années 1990 laissa les banques exsangues et surendettées. Elles ont passé la décennie à s’en remettre, et pour assainir leurs comptes ont durablement gelé le crédit. Ce qui a permis à l’impérialisme japonais de limiter l’ampleur du recul de ses profits pendant cette décennie de stagnation, ce fut d’un côté des régressions sociales aux dépens des travailleurs, notamment la fin de l’emploi à vie dans les grandes entreprises, de l’autre le dynamisme des exportations et des filiales à l’étranger des entreprises japonaises, installées aussi bien en Chine qu’aux États-Unis. Une solution qui ne pourrait évidemment se présenter pour une crise équivalente aux États-Unis : ils sont le plus grand pays importateur de la planète, avec un gigantesque déficit commercial, et leur position est si centrale dans l’économie mondiale qu’ils entraîneront de toute façon le reste du monde dans leur dépression.

L’État au secours du capital

Le capitalisme n’est pas plus rationnel qu’en 1929. Au moment de l’euphorie boursière et immobilière des années 2000, avec la hausse continue des prix des maisons et des actions, chaque capitaliste, chaque banque, s’endettait massivement pour accumuler des profits à haute dose. Maintenant que la tendance plonge à la baisse, c’est la ruée de chacun vers les ventes, qui ne fait qu’amplifier la catastrophe pour tous ! À tel point qu’à Londres et à New York les autorités ont interdit de facto une pratique de base du spéculateur (c’est-à-dire de tout bon financier qui se respecte !) : la vente à découvert. Vente qui consiste à emprunter par exemple une action (pour une durée déterminée et avec une modeste redevance), la vendre, puis la racheter à un prix plus bas pour la rendre à son propriétaire, en encaissant donc une marge confortable. Autrement dit parier à la baisse et alimenter allègrement cette baisse. À Moscou les autorités ont procédé avec leur style national propre : quand la bourse a plongé de 25 % en une seule séance, elle a été fermée pendant trois jours. Tout débrancher, fallait y penser !

L’État américain tente de juguler ce krach, qui risque d’entraîner toute l’économie américaine et mondiale à la catastrophe, en proposant un plan de récupération, aux frais de l’État, des actifs et créances pourris du système financier. Le gouvernement américain a donc décidé de ne pas se contenter de nationaliser ou de recapitaliser ponctuellement telle ou telle banque (et de laisser au contraire couler d’autres, comme Lehmann Brothers), ou de faciliter les prêts en ouvrant des lignes de crédit. Il fallait frapper vite et fort : débarrasser massivement les banques de leurs créances pourries pour éviter un marasme de longue durée.

Une croissance sans maillot

Mais ce plan marchera-t-il ? Personne ne le sait. Même s’il sauvait la finance de ses propres absurdités, le monde n’échappera pas forcément à une crise économique extrêmement grave.

Depuis 15 ans la croissance américaine avait pour moteur une bulle d’endettement. Elle reposait également sur de véritables gains de productivité, liés aux nouvelles technologies… et une plus grande flexibilité et exploitation de la main-d’œuvre. Mais une montée continue de l’endettement a également rendu possible cette croissance. Les autorités américaines, sous Clinton comme sous Bush, ont tout fait pour faciliter l’endettement des Américains et l’augmentation du prix des actifs, maisons ou actions : il s’agissait de stimuler une demande forte, alors même que l’exploitation capitaliste réduisait ou faisait stagner les revenus réels de la majorité de la population. Profitant de cette forte consommation qui leur assurait de confortables débouchés, les entreprises américaines parvenaient à financer leurs investissements en empruntant des capitaux venus du monde entier, attirés par le dynamisme de l’économie américaine. D’où une véritable pyramide financière, qui comme par miracle semblait pouvoir permettre au capitalisme américain une croissance indéfinie malgré des salaires bas et une épargne réduite à zéro.

C’est cette pyramide qui est en train aujourd’hui de s’effondrer, car l’endettement illimité n’est pas possible, et le reste du monde ne va pas non plus indéfiniment financer des déficits de plus en plus monstrueux.

Un adage en cours dans les milieux financiers dit que « lorsque la mer [de l’euphorie] se retire, on voit qui se baignait sans maillot » . AIG et Lehmann Brothers en savent quelque chose. Mais d’une certaine façon, c’est la croissance américaine elle-même, depuis plus de 15 ans, qui se baignait sans maillot, car elle reposait beaucoup trop sur une montagne de dettes.

Le plan de sauvetage américain ne va pas la rhabiller miraculeusement, et s’il évitera peut-être que la crise financière aille plus loin, il ne va pas pour autant trouver des remèdes miracles pour relancer la machine économique. Ce sera peut-être même le contraire : la décision des autorités américaines devrait encore gonfler le déficit budgétaire américain, et faire atteindre de nouveaux sommets à la dette. Comment alors la financer ? Et si ce plan consiste essentiellement à imposer des sacrifices à la population, alors l’économie risque de s’en trouver durablement déprimée.

Bush déclare une nouvelle guerre, de classe

Certains anti-libéraux se réjouiront peut-être du « retour de l’État », pour contrôler, réguler voire réprimer davantage la finance, tout en s’indignant que les gouvernements n’interviennent que bien tard. Non pour prévenir mais pour juguler la crise. Pour sauver non la société toute entière mais les propriétaires de capitaux, une fois que ceux-ci ont pris en otage celle-là. Mais cette intervention de l’État est avant tout une guerre de classe, pour faire payer aux classes populaires l’intégralité de cette crise.

Le sang et les larmes, Bush ne les promet guère qu’aux travailleurs. Comme contribuables, par les impôts directs ou indirects, ils devront mettre la main à la poche. De plus, pour limiter le déficit de l’État, Bush (et soyons en sûrs son successeur, quel qu’il soit) taillera dans les budgets sociaux (et tous les budgets d’intérêt public). Et puisqu’il faudra sans doute bien faire tourner la planche à billets pour financer ce déficit, les classes populaires américaines pourraient bien être victimes d’une forte inflation, qui réduira l’endettement des banques… et les revenus réels des salariés. Une baisse du niveau de vie d’autant plus grave que ceux d’entre eux qui possèdent leur maison et des actions (aux États-Unis ils sont bien plus nombreux qu’en Europe) ne bénéficieront plus de « l’effet richesse » que générait ces dernières années l’augmentation continue du prix de leur patrimoine et des plus-values possibles, et qui leur donnait l’impression de pouvoir vivre d’autre chose que de leur salaire.

Enfin, en choisissant d’endetter lourdement l’État américain Bush et ses compères décident aussi de favoriser une baisse importante du dollar. Autrement dit d’exporter largement la crise américaine dans le reste du monde. Depuis un an la baisse du dollar a permis aux exportations américaines de progresser de 13 %, et d’empêcher les importations d’augmenter. Ce qui signifie : plus de récession en Europe et au Japon. Voilà qui promet, quand on sait que dans ces pays la crise n’est pas à venir, qu’elle est déjà commencée, avec un début de récession en Angleterre, en France, au Japon. Déjà on voit les licenciements arriver dans l’automobile. L’industrie française s’est débarrassée de plus de 50 000 intérimaires rien qu’au deuxième trimestre.

Les travailleurs vont devoir s’atteler à leur propre plan de sauvetage, non pas du capitalisme, mais de l’humanité !

25 septembre 2008

Bernard RUDELLI


Un « plan de sauvetage » ?

Une « structure de défaisance »  : c’est le nom rébarbatif que le gouvernement américain donne au fonds qui devrait récupérer les actifs « toxiques » des institutions financières privées, c’est-à-dire des créances qu’elles n’ont pas grand espoir de recouvrer, ou des actions ou obligations qui ne valent plus grand-chose. Si les comptes d’une banque sont trop plombés par ce genre d’actifs, elles sont menacées de faillite ou en tout cas elles ne peuvent guère prêter, tant qu’elles n’ont pas redressé leurs finances.

En clair, l’État américain achèterait aux banques leurs actifs de mauvaise qualité. Variante possible et même probable : il leur donnerait des actifs solides, notamment des bons du Trésor américains (des titres de la dette de l’État), en échange de ces mauvais actifs. C’est donc un cadeau financier considérable fait aux banques, avec de l’argent public.

Pour évaluer l’ampleur exact d’un tel cadeau, il faudrait connaître le prix auquel les titres « pourris » récupérés par l’État seront estimés et payés par les autorités. Prix cassé ? Prix conséquent ? Pour évaluer l’ampleur de la perte d’argent que cela représentera à terme pour l’État, il faudrait connaître aussi l’avenir des titres pourris récupérés. Combien de créances seront-elles finalement recouvrées ? À quel prix les titres pourront-ils être revendus un jour ?

On possède au moins un élément de comparaison : à la fin des années 1980 le gouvernement américain avait récupéré près de 400 milliards de dollars d’actifs douteux que détenaient les caisses d’épargne, menacées de faillite. Au total, après revente de ces actifs il avait perdu dans l’opération 75 milliards de dollars. C’est la même opération qui fut menée en France au milieu des années 1990 pour « sauver » le Crédit Lyonnais.

Le fonds actuellement proposé par Bush débuterait lui à 700 milliards de dollars d’actifs à récupérer, mais pourrait encore grossir... puisque le gouvernement estime lui-même à 1500 milliards de dollars les actifs « toxiques » dans le système financier américain !

En tout cas, à l’annonce du plan « de sauvetage », si Bush et ses collaborateurs ont prétendu que les investisseurs privés fauteurs de la crise seraient quand même sanctionnés et perdraient de l’argent, les « punis » en question ont pour leur part salué avec joie ce royal cadeau !

B. R.

Mots-clés Crise , Monde , USA
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