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Éducation nationale : plus de 3 mois de mobilisation

mardi 1er juillet 2008

Fin février, des grèves se sont déclenchées sur plusieurs établissements de la Seine-Saint-Denis, suite à l’annonce de la saignée programmée dans la Fonction publique. En quatre ans, 200 000 postes doivent sauter dont 90 000 dans l’Éducation nationale et 11 200 dès la rentrée.

Comme tous les fonctionnaires les enseignants sont évidemment concernés par la Révision générale des politiques publiques (RGPP), le « livre blanc » et la loi sur la mobilité dont nous examinons les conséquences dans ce numéro de Convergences révolutionnaires. Par ailleurs, le gouvernement prévoit un allongement de la durée de travail, alors que selon les propres chiffres du ministère, les enseignants travaillent déjà 40 heures en moyenne (préparation, cours, correction, etc.).

Cette politique se révélera particulièrement néfaste dans les quartiers populaires. Chaque établissement devra définir ses horaires mais aussi les contenus des enseignements qui seront modulables en fonction de la composition sociale du quartier ou de la localité. « Le socle commun des connaissances » , véritable Smic culturel, sera la base pour tous mais certains établissements délivreront des « compléments et approfondissements » . La suppression de la carte scolaire renforcera leur mise en concurrence au risque d’en ghettoïser certains. Pour les familles qui en ont les moyens, les évaluations publiques des établissements et des écoles permettront de choisir sur le « marché scolaire », mais pour la grande majorité, il faudra se contenter d’établissements délaissés. Ce n’est donc pas sans raison que le mouvement est parti du 93, la Seine-Saint-Denis étant un département notoirement défavorisé.

Des grèves des profs….

Dans la foulée de la journée de grève nationale du 18 mars, à l’initiative de quelques établissements de Saint-Denis (93), les réseaux militants du département, en place depuis le mouvement de 1998, ont mis sur pied une assemblée générale, d’abord sur l’académie de Créteil puis sur l’Île-de-France. En effet, dans le 93, puis le 77 (Seine-et-Marne), plusieurs lycées ou collèges avaient décidé de reconduire leur grève. Il s’agissait d’éviter qu’ils ne débrayent les uns après les autres, sans coordination et donc sans grande chance d’obtenir satisfaction.

D’emblée ces enseignants ont été confrontés à une série de problèmes. Alors que certains lycées faisaient grève à 80 %, d’autres très peu touchés par les suppressions de postes (cette année !) ont eu plus de mal a démarrer, voire n’ont connu que des grèves ponctuelles très minoritaires. Alors que Henri Wallon à Aubervilliers (93), après une grève à 90 % de plus de 2 semaines, avait obtenu les postes demandés et avait repris le travail, certains établissements commen­çaient tout juste à prendre connaissance des réformes. Ce décalage a été accentué par l’absence de propositions des fédérations syndicales qui au lendemain du 18 mars n’appelaient pas à une nouvelle action avant… le dimanche 18 mai. Du coup, hormis quelques établissements qui ont pu reconduire leur grève pendant huit ou dix jours en tentant de s’adresser à ceux des alentours, la plupart des enseignants n’ont fait qu’une série de grèves ponctuelles d’une journée, même si souvent ce fut au rythme de une ou deux par semaine.

…au mouvement lycéen…

Le mouvement n’a pris de l’ampleur que lorsque les lycéens sont entrés en lutte, en bloquant leurs établissement et en manifestant, au départ à l’appel des syndicats FIDL et UNL. Dans bien des coins, ce sont d’ailleurs les élèves qui ont entraîné leurs profs, voire se sont mobilisés sans eux. Au rythme de deux manifestations par semaine, prenant à chaque fois de l’ampleur, celles-ci ont permis au mouvement de s’étendre à de nombreuses régions. Malgré les vacances sur lesquelles comptait le gouvernement, mi-avril, le mouvement lycéen commençait à déborder l’Île-de-France et le Var.

Les jeunes, pour l’essentiel de lycées populaires et de lycées professionnels, ont eu à affronter de nombreux obstacles. Dès les premières manifestations, la police a procédé à des arrestations – souvent totalement arbitraires – en fin de parcours. Nombreux ont été les lycéens placés en garde à vue, certains étant même traduits en justice, presque systématiquement en comparution immédiate. À Gustave Eiffel (Gagny, 93), les premières heures de blocage ont été réprimées à coup de flash-balls et de gaz lacrymogènes. La BAC, ces policiers particulièrement haïs dans les banlieues, est intervenue sur plusieurs établissements. Les proviseurs, de leur côté, avaient reçu des consignes ministérielles ou rectorales pour s’en prendre aux leaders. À Jules Ferry dans le XVIIe arrondissement de Paris, l’un d’entre eux s’est fait exclure après un conseil de discipline mené de bout en bout par une chef d’établissement particulièrement zélée et réactionnaire… sans preuve des charges dont elle accusait ledit élève !

Ces tentatives d’intimidation ne sont pourtant pas parvenues à mettre un terme au mouvement. Ce sont la FIDL et l’UNL, après avoir été reçues par Xavier Darcos, qui ont décidé de le stopper – faisant de la grève nationale du 15 mai un baroud d’honneur – sous prétexte de quelques concessions mineures [1]. Il y eut des tentatives de structuration autonome du mouvement. Mais celles-ci n’avaient pas assez d’ampleur pour permettre aux lycéens de continuer, en particulier à l’approche des examens.

… jusqu’au renfort des parents…

À Montreuil (93) l’AG de ville, initialement composée de quelques dizaines d’enseignants et lycéens, a permis de structurer la mobilisation aux côtés des parents, s’adressant ainsi à toute la population, réunissant jusqu’à plus de 1 000 personnes lors de certaines manifestations. Mais ce niveau n’a été atteint que dans quelques villes comme Saint-Denis ou Marne-la-Vallée par exemple.

C’est aussi dans ces AG de ville qu’ont été décidées les premières journées « établissements vides », où les parents, refusant d’accepter une éducation au rabais pour leurs enfants et parfois très fortement impliqués, relayaient les blocages lycéens et les grèves enseignantes en n’envoyant pas leur progéniture à l’école. À Bondy (93) par exemple, le 20 mai, à l’initiative de parents de la FCPE et d’enseignants, les collèges et lycées de la ville ayant participé à l’action étaient quasi-déserts, Brossolette n’ayant reçu qu’un élève !

… à défaut de celui des directions syndicales

Les directions syndicales majoritaires portent une responsabilité dans l’échec de la mobilisation, tout particulièrement la CFDT et la FSU. De toute évidence, mobiliser les personnels de l’Éducation nationale n’était pas chose aisée, beaucoup étant résignés, convaincus qu’il serait « impossible » de vaincre contre le gouvernement, voire que ces réformes étaient « fatales », dans « l’air du temps ». Pourtant malgré cet état d’esprit, bien réel ici ou là dans les salles de professeurs de nombreux établissements, certains d’entre eux ont fait grève, parfois très majoritairement. La tâche des syndicats n’était-elle pas, en donnant des mots d’ordre communs à l’ensemble des établissements, de tenter de créer la possibilité d’une mobilisation générale ? C’est ce qu’à une échelle modeste mais avec quelques succès ont fait les militants de l’AG d’Île-de-France, soutenus par les syndicats minoritaires (CGT Éduc’Action, CNT, Sud Éducation). Les syndicats dotés de réseaux militants infiniment plus importants, en y mettant leurs moyens, n’auraient-ils pas pu faire mieux ? En tout cas, c’est ce que laissent penser les taux de grévistes des quelques rares journées proposées par eux.

La FSU, syndicat majoritaire, pouvait-elle un instant croire qu’une manifestation 2 mois après le 18 mars, un dimanche qui plus est, était la réponse adéquate à l’offensive du gouvernement ? La récente signature d’un accord avec le ministère pour étudier, dans les prochains mois, la réforme des lycées et les statuts des personnels par le Snes, la CFDT, le Snalc, l’UNSA, le Snep, le SNPDEN et la FAEN, alors même que le gouvernement n’a rien lâché sur aucun des points essentiels, est non seulement pitoyable mais le signe de leur renoncement à l’avance.

Certes il ne suffit pas de proclamer la généralisation de la grève pour l’obtenir. Mais ce qu’une poignée de militants peut faire, peut être décuplé si tous s’y mettent ! Un exemple est de ce point de vue éloquent. Pendant plusieurs semaines, le collège Paul Éluard de Vigneux-sur-Seine (91) s’est donné pour tâche d’entrainer d’autres établissements du département. En l’absence totale de mobilisation syndicale, les enseignants du collège, d’abord en grève reconductible puis seulement ponctuelle, ont fait le tour d’autres établissements. Ils sont parvenus à entrainer les professeurs du lycée professionnel de Draveil, que les lycéens commençaient à bloquer. Ce premier tour des établissements a permis de sensibiliser des collègues et de leur proposer des assemblées générales communes ce dont les syndicats ne se chargeaient pas. À partir d’avril, s’est monté un collectif des parents et enseignants des 1er et 2e degrés sur Vigneux et Draveil rassemblant environ 80 personnes. Diverses initiatives locales ont ainsi pu être menées à bien : rassemblement, pétition, tract à la population, délégation à l’Inspection académique et manifestation dans la ville.

La mobilisation est sans doute restée limitée et si, là où elle a été la plus forte, quelques postes ont parfois pu être récupérés comme à Voltaire (Paris 11e) ou Henri Wallon (Aubervilliers, 93), ce sont de bien maigres succès. Mais comment aurait-il pu en être autrement ? Ce n’est que la semaine précédent le 15 mai que la FSU s’est réveillée afin de préparer cette journée et celle du 18, mais en renvoyant déjà les suites à donner… à la rentrée de septembre !

Fin du mouvement ou tour de chauffe ?

Indéniablement ces trois mois d’agitation ont révélé des possibilités de mobiliser ensemble différents acteurs de l’Éducation nationale : lycéens, parents, enseignants. Mais la grande majorité des profs n’a pas été convaincue par la minorité qui est restée concentrée en quelques régions comme l’Île-de-France ou le Var. Du coup les enseignants, insuffisamment mobilisés en dehors des journées syndicales, n’avaient pas réellement les moyens de s’adresser aux autres secteurs de la fonction publique, touchés par les mêmes réformes et par les suppressions de postes pour les convaincre d’entrer dans la lutte pour faire reculer ensemble le gouvernement. Ce n’était pourtant pas irréaliste tant le mécontentement était et reste fort chez de nombreux salariés. La journée du 15 mai de la fonction publique, obtenue des directions syndicales après 2 mois d’agitation dans l’Éducation nationale, n’a-t-elle pas été le point de départ d’une grève reconductible dans certains centres d’Impôts ?

Tous les problèmes demeurent. Dés la rentrée prochaine, il manquera des enseignants. Alors le fatalisme des collègues auquel se sont heurtés les enseignants en lutte cette fois-ci n’est peut-être pas fatal.

20 juin 2008

Clara SOLDINI


[1Création de 1500 postes précaires pour assurer des heures de soutien dans 200 établissements à la rentrée prochaine. Maintien du BEP…mais en parallèle au Bac Pro en 3 ans…ce qui revient à un diplôme formel. Le problème du Bac pro en 3 ans (même programme qu’avant en 4 ans, mais avec moins d’heures de cours et donc moins d’aide pour les élèves en difficulté), étant maintenu.

Mots-clés Enseignement , Politique
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