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Sans-papiers : déjà plus de deux mois de grèves

mardi 1er juillet 2008

Une première vague de grèves des sans-papiers, lancée le 15 avril par des militants de la CGT et l’association Droits devant, a été suivie d’une seconde, démarrée au milieu de mai. Plus d’une quarantaine de sites de restauration, de nettoyage, d’intérim, de travaux publics, etc. sont toujours occupés.

Le 12 juin, un meeting à l’appel de l’UD CGT 75 et de Droits devant a réuni plus de 2 000 grévistes ou futurs grévistes. Il témoigne de l’espoir suscité par ces premiers mouvements, et de la volonté d’obtenir la possibilité de travailler ici dans des conditions décentes, de ne plus être contraint à des salaires de parias, des conditions de travail révoltantes, des horaires épuisants et surtout d’obtenir un titre de séjour pour n’avoir plus à craindre les expulsions.

Après les occupations d’églises, comme Saint-Bernard en 1996, puis les refus d’expulsion d’écoliers conduits par le Réseau éducation sans frontières (RESF) depuis trois ans, les clandestins utilisent maintenant l’arme essentielle des travailleurs dans cette société capitaliste : la grève.

À la suite d’un décret de 2007 menaçant d’une amende de 15 000 € et de 5 ans d’emprisonnement pour avoir employé des clandestins, les patrons en avaient licencié environ 10 000. Aujourd’hui des travailleurs, en cessant le travail, font pression sur les employeurs pour que ceux-ci appuient auprès des préfectures les demandes de régularisation de leurs salariés.

Si des patrons ne veulent rien entendre, font appel aux vigiles ou à la police, d’autres sont ainsi amenés à coopérer. Les salariés de l’entreprise Michaud nettoyage, dans le 93, l’ont vite compris. Parmi les 180 salariés de cette entreprise de ménage, environ 120 seraient sans-papiers. Il a suffi que 90 salariés de l’entreprise se mettent en grève quelques jours pour que le patron remplisse tous les dossiers, les défendant en personne devant la préfecture, s’engageant à payer pour chacun la taxe de régularisation.

Pour l’instant cependant le gouvernement continue à s’en tenir au « cas par cas ». Il entend ne procéder à des régularisations qu’au compte-gouttes. De toute évidence il ne veut pas donner l’impression qu’il cède quoi que ce soit sous l’impact des grèves et ne pas susciter des espérances qui pourraient entraîner l’extension du mouvement. Brice Hortefeux, ministre de l’immigration, a prétendu le 19 juin avoir gagné la bataille face aux associations de défense des sans-papiers et s’est vanté d’avoir expulsé du territoire 14 660 d’entre eux, lors des premiers mois de 2008, soit 80 % de plus que la même période de 2007. « Les régularisations se limiteront à quelques centaines » a-t-il insisté, alors qu’il y a des centaines de milliers de sans-papiers dans ce pays.

À l’heure où nous écrivons, il semble même jouer le pourrissement. Alors que certains sites entament leur troisième mois de grève, il semble y avoir un quasi blocage des régularisations. Elles n’avaient pourtant pas été si nombreuses jusque-là : 400 seulement (et la plupart très temporaires) sur 1 400 dossiers déposés dans les préfectures par l’intermédiaire de la CGT.

Par ailleurs les négociations branche par branche entre la CGT et le patronat piétinent. Raymond Chauveau, secrétaire de l’union locale CGT de Massy qui a initié le mouvement actuel, a donc menacé le 12 juin : « aujourd’hui, nous sommes en mesure de lancer une troisième vague de grèves, beaucoup plus importante que les deux autres réunies » .

Mais cet objectif ne fait pas l’unanimité dans la CGT elle-même. Si certaines unions locales ou départementales y sont favorables, d’autres ne le sont pas. Et cela semble encore plus vrai au niveau de la confédération.

En réalité, la pression exercée sur le gouvernement ne vient pas essentiellement de la CGT, qui a suscité le mouvement, ni d’aucune autre organisation. Et pas non plus des collectifs de soutien, quelle que soit leur nécessité et leur bonne volonté.

Elle vient de la détermination affirmée des travailleurs déjà en grève et des milliers qui sont prêts, et le disent, à entrer dans le mouvement. Elle vient du courage qu’ils montrent, car il en faut pour se lancer dans cette grève-là, par petits groupes de quelques dizaines au plus et souvent bien moins, dans des sites dispersés, avec le risque non seulement de perdre son travail mais d’être expulsés de France. Elle vient de l’organisation du mouvement, des liens établis entre les grévistes autour de la CGT ou tout simplement d’un site à un autre, ou encore dans les comités de grèves nés ici ou là comme Chez Marius ou dans Perfect intérim.

La pression décisive serait que la lutte des sans-papiers s’étende encore et qu’elle s’intègre à d’autres luttes de la classe ouvrière. Ces deux mois ont beaucoup compté pour faire reculer les préjugés sur les clandestins et montrer que ce sont bien avant tout des travailleurs, ayant la sécurité sociale, cotisant à la retraite, payant leurs impôts mais n’ayant pas de titre de séjour. Reste sans doute à faire avancer la conscience que, comme le disait le 12 juin Raymond Chauveau, « si les sans-papiers se battent pour leurs droits, et tous leurs droits, ce sont tous les travailleurs qui en profitent » . Car il serait évident alors que la revendication des papiers pour tous est bien un objectif pour toute la classe ouvrière lié et même conditionnant en partie celui sur les salaires, l’interdiction des licenciements, la baisse du temps de travail ou des conditions de vie et de travail.

Œuvrer à créer cette solidarité active comme apporter tout le soutien possible aux grèves actuelles, voilà aujourd’hui notre tâche.

21 juin 2008

Gil LANNOU


Témoignages :


Chez Manet (Paris 11e)

Cette société, sous-traitante du ménage dans les hôtels parisiens, emploie environ 150 salariés, surtout des femmes. Le patron paye au nombre de chambres nettoyées et compte 3,5 chambres par heure, ce qui est impossible à réaliser. Les fiches de paye totalisent 78 heures alors qu’en réalité jusqu’à 140 ont été effectuées ! Le montant des salaires dépasse rarement 500 € par mois. Depuis le 23 mai, cinq employées de cette société, de nationalité malienne, sont en grève et occupent le site avec le soutien logistique de la CGT.

Fanta, leur porte-parole, une jeune femme enseignante au Mali, a été chaleureusement applaudie le 12 juin au meeting parisien. Elle a raconté le cas d’une femme, en France depuis six ans, venue rejoindre l’un de ses frères, qui habite dans un foyer. Elle n’a pas vu son fils depuis et celui-ci croit qu’elle l’a délaissé. Une autre venue en France pour assurer la vie de sa famille au pays, ne raconte pas sa vie «  au trou  » comme elle dit, car cela causerait trop de souffrances là-bas. Elle se contente d’envoyer une aide financière au gré de ses payes. La vie en France est beaucoup plus difficile qu’elle ne croyait. « On est beaucoup moins libre ici, mais là-bas on n’a pas de travail, il n’y a rien ».

Chez Manet, comme sur d’autres piquets de grève, les travailleurs gardent le moral car ils se soutiennent d’un site à l’autre. Les salariés de chez Papa (un restaurant parisien) passent régulièrement prendre des nouvelles. Un comité de soutien s’est constitué sur le 11e qui regroupe les représentants de l’union locale CGT, des militants de Droits devant, de la ligue des droits de l’homme, de la LCR, du PCF, de Femmes Égalité, de LO, des verts, du PS. Il envoie ses militants dormir la nuit dans le site. Une pétition est très largement signée dans les rues. Des collectes ont lieu dans les entreprises.

Mais pour l’instant, seules deux travailleuses ont reçu des permis de travailler un mois et la préfecture marque le pas en disant qu’elle ne peut pas régulariser des temps partiels !

Les travailleurs sont conscients des difficultés mais déterminés. Comme explique Fanta : « Certes, il y a les associations qui nous soutiennent, il y a la CGT qui est toujours derrière nous. Mais tout ça c’est du soutien. La grève c’est nous qui la menons. La solution c’est nous qui l’avons. »

Sur les piquets, des sans-papiers de toutes nationalités viennent en toute confiance pour raconter leur vie et leur expérience et récolter des informations pour engager une régularisation. Les grévistes sont aussi contactés par des groupes qui se tiennent prêts à se mettre en grève.

Anne HANSEN


Chez Haber-France (Ivry, 94)

Mamadou travaille depuis 2002 chez Haber-France (livraison de boissons, 14 salariés) au service de facturation et il a très tôt remarqué que trois autres de ses collègues étaient sans-papiers. Le patron l’a embauché sur présentation de la carte de séjour d’un cousin, mais en connaissant pertinemment sa situation. Déclaré à 35 heures, il en fait 40. Ses camarades à temps partiel accumulent les heures supplémentaires. Le salaire n’est pas à la hauteur de celui de ses collègues réguliers puisqu’il touche 1 100 € par mois.

Il y a cinq mois, il prend sa carte à l’UL CGT de Massy pensant que la grève est le meilleur moyen de se battre pour des papiers : « Avant on avait peur. Mais là, on a décidé que c’était trop. Quand on a vu les autres grèves, on a voulu s’y mettre. » Il précise : « nous on n’est pas des militants. On est des simples travailleurs et on veut des papiers, c’est tout ! ». Avant d’ajouter : « le syndicat nous a expliqué qu’il fallait se battre pour les salaires, pour l’emploi. On leur a répondu : quand on aura des papiers on sera les premiers à faire ça ! »

Au bout de trois semaines de grève à quatre, seuls deux dossiers ont été déposés à la préfecture. Le patron prétend maintenant ne pas connaître deux des grévistes. Les quatre grévistes restent soudés et assurent : « nous, on est là jusqu’au bout. »

Raphaël PRESTON


Au chantier de la rue Xaintrailles (Paris 13e)

Sur ce chantier de démolition, les salaires des sans-papiers sont nettement en dessous du tarif : 1200 € au lieu de 1800 pour un démolisseur spécialisé.

Mais le plus dangereux, c’est le non-respect des règles de sécurité : Sissoko se rappelle avoir travaillé dans de l’amiante avec un simple masque. Quant aux accidents de travail, ils ne sont bien sûr jamais déclarés par le patron. Et comme les sans-papiers ne bénéficient pas de remboursement de la sécurité sociale (bien qu’ils cotisent comme tous les salariés !), ces accidents sont leur cauchemar.

Le chantier a été découpé entre cinq entreprises sous-traitantes, qui embauchent toutes des sans-papiers. Les 29 grévistes occupent jour et nuit depuis le 15 avril. Parmi eux, une douzaine a déjà reçu le récépissé du titre de séjour, mais ils continuent la grève jusqu’à ce que tous aient le fameux sésame.

Presque tous les patrons coopèrent avec les sans-papiers sous pression de la grève. Les syndicats CGT du quartier leur apportent un soutien quotidien : collectes, pétitions, co-organisation de l’occupation. Tous les dimanches de nombreux habitants du quartier, des grévistes d’autres sites où des militants de la région se retrouvent autour d’un barbecue ou d’un maffé pour collecter des fonds. Un syndicaliste de l’EDF, membre de l’union locale CGT, qui occupe jour et nuit avec eux s’insurge : « C’est bien ce qu’ils font. Mais ce serait encore mieux si nous, on était capables d’une même combativité pour défendre nos retraites, notre temps de travail et nos salaires. Parce que là on se rendrait compte qu’on a intérêt à être tous ensemble sur tous les fronts. »

R.P.


Chez Marius (Paris 8e)

Le samedi 24 mai, trois travailleurs du café Marius, menacés de licenciement, se sont mis en grève avec l’appui du « Collectif pour la dignité des travailleurs sans-papiers » et de la CGT. Cet établissement, avec sept autres cafés chics et un hôtel avenue Montaigne, fait partie du groupe familial Richard, qui vend et livre aussi du café, des tasses, des cuillères à tous les cafés de Paris.

Après l’occupation du restaurant par 16 grévistes, le patron a réintégré les travailleurs déjà licenciés, s’est engagé à effectuer les démarches devant la préfecture, à payer la taxe de régularisation de l’ANAEM et à maintenir le salaire des grévistes jusqu’au 30 mai.

La CGT, elle, s’est engagée à déposer 15 autres dossiers de sans-papiers, isolés dans d’autres entreprises, mais faisant activement partie du collectif de soutien.

Dès le lundi, les 16 grévistes, en majorité maliens, ont élu un comité de grève de six personnes, responsable devant l’assemblée générale, qui assure la direction du mouvement. Des commissions organisent l’occupation, le nettoyage, les collectes, les contacts avec les autres cafés, la rédaction et l’impression d’une petite feuille Les sans-papiers sortent de leur cuisine…

À ce jour, seuls deux sans-papiers sur 17, car une employée a depuis rejoint la grève, ont eu des papiers provisoires de régularisation.

G.L.

Mots-clés Grève , Politique , sans-papiers
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