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Mi-temps et quart de paye ?

mardi 13 mai 2008

19e siècle : la précarité était la norme

Régi par le Code civil, le contrat de travail n’engageait le travailleur que pour un temps ou une mission déterminée. En 1890, fut introduit un contrat de louage de services sans détermination de durée et pouvant être rompu unilatéralement par une des parties, avec un préavis et une indemnité en cas de congédiement « abusif ». Après 1928, le licenciement devait être motivé, sans trop de contraintes.

C’est à la fin des années 1950 que le contrat de travail introduit la durée minimale de préavis en 1958, l’indemnité minimum en cas de licenciement en 1967.

Cette « stabilisation » du contrat de travail répondait aux besoins du patronat qui, dans une période de forte croissance et de quasi-plein emploi – mais aussi d’exploitation débridée –, cherchait à attirer et stabiliser une main-d’œuvre insuffisante dans bien des secteurs.

Milieu des années 1980 : le chômage s’envole

Sur fond de ralentissement de la croissance, le chômage atteint son maximum de 3 millions de chômeurs officiels au début des années 1990. Bien installé, il connaît quelques oscillations au fil des courtes reprises économiques puis vagues de licenciements, sans pour autant se résorber, malgré l’autoglorification des gouvernements à chaque légère baisse.

Ce chômage de masse constitue bien entendu le premier facteur de précarité. C’est aussi un moyen de pression dont use le patronat dès le début des années 1980 pour geler les salaires, avec l’encouragement du gouvernement de gauche, et éroder le CDI (dont les « rigidités » seraient un frein à l’embauche…). Sont alors créés, ou explosent, les contrats dits « atypiques » : assouplissement du CDD sous la droite en 1979, temps partiel sous la gauche en 1982 (pudiquement appelé « travail à temps choisi »), ainsi qu’une kyrielle d’« emplois aidés », c’est-à-dire subventionnés par l’État, qui sous couvert d’« inciter à l’emploi » permettent d’embaucher des précaires à bas prix. Qui s’ajoutent à l’intérim croissant.

Stabilisation de… la précarité !

En 30 ans, ces contrats d’exception, juridiquement encadrés [1], se multiplient. Entre 1983 et 2005, on passe de 1,4 à 3 millions d’emplois précaires, soit un salarié sur sept : 548 000 intérimaires, 1 713 000 CDD (dont un tiers dans le public), 434 000 emplois aidés et 335 000 apprentis.

Il faut y ajouter les « temps partiels », favorisés par des exonérations massives (50 % sous le socialiste Bérégovoy, ramenées à 30 % par Balladur). Entre 1992 et 1995, leur proportion passe de 11 % à 17 % des salariés, dont 85 % sont des femmes. Des branches entières se ruent sur l’aubaine, comme la grande distribution où le temps partiel devient la règle (loin du volontariat).

Le total des emplois précaires et du sous-emploi touche ainsi… 25 % des travailleurs. Mais 34 % des jeunes et 43 % des moins qualifiés !

Et avec la précarité, la pauvreté

La part des salariés au Smic horaire a doublé en dix ans (17 % aujourd’hui) et ces dernières années, on évaluait le salaire mensuel net moyen, en tenant compte du chômage et du temps partiel, à 985 € pour les ouvriers, et 925 € pour les employés. La raison de cette « smicardisation » des salaires ? Encore des allègements de charges sociales, allant jusqu’à 26 % du salaire brut au niveau du Smic, dégressifs jusqu’à 1,6 fois le Smic.

Précarité et bas salaires ne sont plus un passage obligé pour les seuls jeunes. Ils perdurent pour de nombreux travailleurs : 30 % des précaires le restent d’une année sur l’autre, contre 20 % dans les années 1980. Si on regarde trois années consécutives, ceux qui ne connaissent que chômage ou bas salaires sont 17 % pour la période 1998-2000, contre 7 % quinze ans avant.

La pauvreté générale [2] a baissé depuis les années 1970 (12 % en 1970, 6,6 % en 1990, 6,2 % en 2004). Ce sont surtout les vieux travailleurs qui étaient pauvres alors. Avec le minimum vieillesse et l’arrivée des premiers retraités à carrière complète au début des années 1980, la moyenne s’est améliorée (27,3 % de retraités pauvres en 1970, 3,7 % en 1984), mais se dégrade à nouveau (3,8 % en 2001). Et la pauvreté spécifique des salariés augmente : 3,9 % en 1970, 4,6 % en 1984 et 5,4 % en 2001.

« Entre chômage, sous-emploi, incertitude de l’activité et précarité financière des « travailleurs pauvres », résume Jacques Rigaudiat dans son ouvrage Le Nouvel Ordre prolétaire  [3] , c’est très vraisemblablement entre le quart et le tiers de la population, entre 15 et 20 millions de personnes – 7 millions de pauvres et 8 à 12 millions de précaires – qui ont, de façon durable, des conditions de vie marquées du sceau de l’extrême difficulté ».

Agathe MALET


[1Les CDD, par exemple, doivent être motivés par écrit, ne pas remplacer un licenciement économique dans les 6 mois et être limités à deux contrats et 18 mois maximum. Des règles qui n’empêchent pas dans nombre d’entreprises et pas des moindres, des abus massifs peu sanctionnés…

[2En France, le seuil de pauvreté est fixé à 50 % du revenu médian (seuil de ressources partageant en deux la population : la moitié dispose de plus, l’autre de moins – soit 1314 € par mois). 3,6 millions de personnes (6,2 % de la population) répondent à ce critère. Un critère aléatoire… l’Europe fixant ce seuil à 60 % du revenu médian. Ce qui ferait passer le nombre de pauvres en France à 7,2 millions de personnes, près d’un Français sur huit.

[33 Le Nouvel Ordre prolétaire, Le modèle social français face à l’insécurité économique, Autrement, Paris, 2007.

Mots-clés Histoire , Politique , Précarité
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