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The Witcher d’Andrzej Sapkowski

Adaptation en série sur Netflix, 2019, deux saisons de huit épisodes, en cours

lundi 20 décembre 2021

De la fantasy sur fond de lutte des classes

« Les soldats et les chevaliers ? Souvent des idiots. Et les prêtres ne veulent que de l’argent et baiser des adolescents. Alors qui ira tuer des monstres ? […] Des professionnels [1]. » C’est ainsi qu’Andrzej Sapkowski présente l’univers qu’il a créé en 1990 sous le titre original de Wiedźmin (The Witcher en anglais ou Le Sorceleur en français), et où se déploient les aventures du dénommé Geralt de Riv. La saga a connu de nombreuses adaptations, dont la plus renommée est le jeu vidéo produit par CD Projekt et la plus récente une série Netflix. Pour son créateur, Geralt de Riv est un professionnel, un individu dont le travail est de tuer des monstres. Oubliez la fantasy version Le Seigneur des Anneaux. Alors que J.R.R. Tolkien venait des campagnes anglaises du début du xxe siècle, Sapkowki, lui, est né à Lodz, en Pologne, dans la zone contrôlée par l’Union soviétique. Il apporte une touche de roman noir et The Witcher propose un univers fait de rapports entre classes sociales, de guerres « sales », de discriminations, le tout agrémenté de créatures magiques et de prophéties. Au moment de la sortie d’une deuxième saison sur Netflix, en décembre 2021, tâchons de revenir sur la fabrication de l’univers de Geralt.

La retranscription d’une histoire médiévale… du travail

Sapkowski s’est inspiré de l’histoire de son propre pays pour concevoir sa série littéraire, dans laquelle il présente une société de classe. Son univers ne s’inspire pas uniquement des mythes slaves, mais de divers aspects de l’histoire de la Pologne. Il reprend une organisation similaire à celle du royaume polonais du xive siècle, en y mêlant une géopolitique proche de l’Europe du xviiie siècle. En plus de ces situations politiques de deux époques différentes, il s’inspire des rouages de la société féodale du xie au xive siècle pour élaborer la structure économique qu’il décrit. Il y a des paysans (allant du riche laboureur aux serfs affamés et révoltés), placés sous la domination de seigneurs en quête de pouvoir et de rois corrompus et immoraux. Est bien montrée la domination des villes sur les campagnes, ces dernières étant la proie de diverses créatures. Il n’est donc pas rare de croiser deux paysans ou deux mineurs discutant dans une taverne des cadastres, du refus de travail ou encore de la mort à la tâche d’un compagnon. La série Netflix retranscrit bien cet univers pour en faire le décor de son scénario. Dès le premier épisode, le spectateur peut trouver attachante Calanthe, la reine du royaume Cintra. Mais les épisodes qui suivent reviennent sur son règne qui est traversé par des révoltes de serfs… que la reine massacre !

Il s’agit donc d’un monde où… les gens doivent travailler pour vivre. La question du travail est omniprésente, à tel point que les héros ne sont que des travailleurs, organisés sous la forme d’une guilde médiévale qui ne dit pas son nom. Les witchers doivent littéralement vendre leur force de travail pour gagner leur vie. Qui dit travail dit aussi rapports de classe : en dehors des paysans ou des serfs, il existe d’autres exploités. La série met en scène la préparation d’une révolte de mineurs face au roi Folstein, qu’ils accusent de les laisser en pâture à une créature créée par les péchés mêmes du souverain. Il est intéressant de noter que cette scène n’était pas présente dans le premier roman écrit par Sapkowski.

Fantasy et classes sociales

Dans cette histoire tout imprégnée de la confrontation des classes sociales, Sapokowski repense les codes du genre de la fantasy. Les guerres s’accompagnent de massacres et de viols dont sont victimes les exploités et les opprimés. Aux luttes entre les paysans et les seigneurs participent les créatures magiques qui s’insèrent ainsi dans cette société de classes. Ces mêmes créatures, placées aux marges de la société, aspirent souvent à la tranquillité, mais sont rattrapées par des enjeux socio-économiques qui les dépassent.

Un witcher se pose donc souvent la question de savoir qui est le monstre : la créature ou les hommes poussés par la soif de pouvoir ? C’est ainsi que, dans la ville de Novigrad, les banquiers, soutenus par l’Inquisition, ont commencé à traquer les sorcières pour s’approprier leurs richesses, pour pouvoir s’en prendre ensuite aux nains, qui ont la « main sur les finances de la ville ». Le lecteur, le spectateur ou le joueur suit les aventures d’un travailleur qui est confronté à des choix dans un monde où les logiques de classe prévalent sur les questions morales.

Tout est une question de choix

Des romans jusqu’à la dernière série sur Netflix, en passant par les jeux vidéo, l’histoire de The Witcher est une histoire de choix. Les witchers ont dans leur charte (de travail !) l’obligation de faire preuve de neutralité face aux décisions politiques. Pourtant, Geralt se retrouve souvent à devoir faire des choix ayant des implications sociales et, par moment, économiques. Décider de tuer ou de laisser partir le monstre qu’il pourchasse, intervenir ou non pour empêcher un viol en pleine ville, raisonner des paysans révoltés ou bien les soutenir : le witcher est amené à trancher.

Le thème du choix est donc central. Geralt rejette la politique du moindre mal et affirme que le refus de choisir est une voie impossible. Ensuite, il s’agit de s’interroger sur ce que représente l’inaction politique qui laisse les dominants user de leur supériorité sociale. Opprimés et exploités sont les premières victimes et ne pas intervenir revient à laisser la violence de classe s’exercer contre eux.

L’inaction a donc des conséquences concrètes, car Geralt laisse le plus fort agir. Ce constat de The Witcher invite à nous interroger sur notre propre société : comment agir face à la violence de classe ? Nous n’avons pas les possibilités d’action d’un witcher, mais n’avons-nous pas la force du nombre ?

Raoul Leblanc


[1Interview d’Andrzej Sapkowski pour Eurogamer en 2017.

Mots-clés Culture , Livre , Série
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