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Industrie automobile

Crise des semi-conducteurs ? « Une conjoncture excellente » pour les conducteurs de restructurations !

mercredi 27 octobre 2021

(Photo CGT Renault Cléon)

Luttes et débrayages se sont multipliés dans des sites Renault et Stellantis

À PSA Rennes, le 2 octobre, 200 salariés ont débrayé pendant deux heures pour revendiquer le maintien de leur salaire et la fin des samedis travaillés obligatoires et gratuits. Les grévistes ont défilé dans l’usine aux cris de « Sans nous, pas de bagnoles ! », « La force des travailleurs, c’est la grève ! ». Ce débrayage a entraîné des ouvriers de chaîne, des professionnels, des moniteurs et des CDD. Avec le chômage partiel, les paies de septembre ont été amputées en moyenne de 300 euros, certains ont perdu 500 euros avec des salaires parfois réduits à moins de 1 000 euros. Le jour du versement des payes, la direction a annoncé que le 11 novembre (férié) et dix samedis seraient travaillés avant la fin de l’année : la provocation a mis le feu aux poudres.

De fait, les débrayages et coups de colère se sont multipliés ces dernières semaines aussi sur d’autres sites de production PSA, à Sevelnord, Mulhouse, Sochaux ou Poissy.

Jeudi 21 octobre c’était encore le cas dans le site PSA toujours menacé de Douvrin, dans le Pas-de-Calais, contre les conditions de travail et pour des embauches. L’exemple de cette usine, qui fabrique des moteurs thermiques, est significatif d’une certaine situation : en mai dernier, un directeur industriel avait dit : « Il faut que les gens qui font du thermique aujourd’hui se reconvertissent pour faire de l’électrique demain ». Manière de « libérer des compétences », comme dirait Carlos Tavares, c’est-à-dire de virer les salariés qualifiés pour le thermique. Mais, avec l’arrêt de fabrication de certains moteurs à Douvrin (dont un envoyé en Hongrie), c’est le travail de 1 000 ouvriers (sur 1 700) qui sera supprimé dès 2022. Or ACC – la nouvelle usine de batteries électriques de PSA et Total, prévu près de Douvrin – n’accueillerait au mieux que 200 salariés de PSA Douvrin à partir de 2023. Qu’adviendra-t-il des 800 autres ? Preuve que, thermique ou électrique, on n’arrête pas l’enfumage.

Du côté de Renault, à Cléon, près de Rouen, le mouvement de protestation contre les mesures prévues par la direction pour 2022-2024 a provoqué à ce jour trois débrayages massifs, entre 500 et 700 ouvriers à chaque fois, sur plusieurs équipes. Des rassemblements dans les centres techniques, notamment celui de Renault Lardy, se sont succédé. Et pour cause, le nouveau plan 2022-2024 baptisé « Renaulution » (rien que ça) promet encore 2 000 suppressions d’emplois (dans les bureaux d’étude et les postes administratifs), qui font suite aux 15 000 autres déjà annoncés en 2020 (dont 4 600 en France). Ce plan, qui vise à faire 4 milliards d’économie, a précédé de beaucoup la crise des semi-conducteurs. La direction voudrait réduire la majoration des heures supplémentaires, baisser les salaires (perte d’environ une journée de salaires par mois), rogner les temps de pause, imposer la flexibilité du temps de travail avec la possibilité d’allonger la journée à sa guise et encore plus de samedis travaillés obligatoires… Elle s’est heurtée à la mobilisation des salariés.

Faux prétextes et « carnets de commandes merveilleusement pleins »

Crise du Covid, puis crise des semi-conducteurs liée à une guerre des prix entre constructeurs automobile et leurs grands fournisseurs, le tout sur fond de conversion à l’électrique : tous les prétextes sont bons dos pour justifier une attaque en règle du patronat : allongement du temps de travail, baisse des rémunérations, chômage partiel, samedis travaillés pour rattraper, fermetures d’usines…

La « crise des semi-conducteurs », prétextée actuellement, ne serait pas près de s’arrêter nous dit-on, puisqu’elle devrait durer encore au moins un an. Les ventes auraient chuté de 23 % par rapport à la même période en 2020. Mais Carlos Tavares, le PDG de Stellantis – la multinationale de 14 marques créée en janvier 2021 par la fusion de Fiat-Chrysler avec PSA (qui avait déjà racheté Opel en 2017) –, affirmait avec enthousiasme le 10 juillet dernier sur France Inter : « La conjoncture, elle, est excellente. […] Les carnets de commandes sont merveilleusement pleins. Nous avons malheureusement une incapacité à les satisfaire tous immédiatement puisque nous avons une crise des semi-conducteurs dans le monde entier qui limite notre capacité de production. Donc nous sommes dans une période inflationniste. »

Les affirmations d’un Tavares sont toujours destinées à rassurer les actionnaires ou, dans l’autre sens à pleurer pour obtenir des subventions de l’État. Toujours est-il que beaucoup de voitures commandées ou déjà vendues ne sont pas livrées. Les constructeurs peuvent donc s’amuser : fini les promotions pour écouler les stocks, vive la flambée des prix ! Évidemment, priorité donnée aux modèles les plus chers, ceux sur lesquels les « marges » sont plus grosses, les autres attendront parfois 6 ou 9 mois pour être fournis à leurs acheteurs plus pauvres.

La presse relève le paradoxe : alors que la crise des semi-conducteurs aurait dû mettre les constructeurs en faillite, ces derniers annoncent pourtant des résultats mirobolants. 6 milliards de bénéfices rien qu’au premier semestre pour le groupe PSA-Stellantis ; 11 milliards pour Volkswagen ; même Renault, qui affichait un déficit de plusieurs milliards au premier semestre 2020, est revenu à plusieurs centaines de millions de bénéfices. Les constructeurs, note Le Monde du 18 octobre, « qui se contentaient de marges bénéficiaires de 5 % à 7 % les très bonnes années, ont explosé la barre des 10 %, auparavant seul apanage des marques de luxe ». La crise sert en réalité d’accélérateur pour se concentrer sur les modèles les plus rentables et, surtout, préparer la transition vers l’électrique, prévue aux alentours de 2025-2030, le tout en profitant de l’argent public, en réduisant les coûts et en supprimant des emplois.

Stellantis, achat d’Opel et fusion PSA-FIAT : devenir un grand groupe en supprimant des emplois

Car chez Stellantis, groupe qui fusionne PSA et Fiat-Chysler, le grand Monopoly continue. Prétextant le manque de semi-conducteurs, la direction a annoncé la fermeture de l’usine Opel d’Eisenach en Allemagne au moins jusqu’en 2022 et le transfert temporaire de la production des Opel Grandland vers le site français de PSA Sochaux. Les travailleurs allemands auront des mois de chômage partiel, et les travailleurs de PSA Sochaux récupèreront des samedis et jours fériés travaillés ainsi que des allongements d’horaires : il n’y aura pas une seule embauche. Car une « relocalisation » ou plus exactement « délocalisation » de l’Allemagne vers la France – même momentanée – ne signifie pas créations d’emplois, même d’intérimaires, puisque, à Sochaux, 650 d’entre eux ont été licenciés comme des centaines dans d’autres usines PSA.

Depuis le transfert des Opel à Sochaux, Stellantis réfléchit à sortir de la marque Opel l’usine d’Eisenach et un autre site, à Rüsselsheim, pour les rattacher juridiquement et directement à Stellantis, un pas de plus dans les restructurations que permet le rachat d’Opel, pour pouvoir faire valser la production d’une usine à l’autre, réduire les effectifs ou fermer les sites. Celui d’Opel Rüsselsheim a perdu 40 % de ses effectifs ces trois dernières années… Depuis le rachat par PSA. Les 4 800 salariés concernés de ces deux sites Opel en Allemagne ont donc toutes les raisons de se préparer à se défendre : un rassemblement sur le site Opel d’Eisenach, où les syndicats redoutent à juste titre une première étape vers la fermeture définitive, est prévu le 29 octobre où se retrouveront des délégations CGT des sites français de PSA, notamment de Sochaux. Au centre technique de Rüsselsheim, la presse allemande révèle que des salariés sont mis sous pression lors d’entretiens afin qu’ils cherchent un autre emploi. La hiérarchie aurait menacé de délocaliser les emplois au Maroc, vers les centres d’ingénierie et de production de Kenitra.

Face à de telles attaques, le syndicat allemand IG Metall menace désormais d’« un conflit massif [et] imminent si les plans de scission et les délocalisations de produits sont mis en œuvre ». La direction de Stellantis n’a pas même pas daigné prévenir IG Metall de ses décisions. Une insulte au système allemand de « codécision » s’insurge le syndicat. Manière de réclamer le partenariat avec Stellantis pour négocier les suppressions d’emplois.

Mais il est aussi possible que le groupe Stellantis fasse aux « Régions » allemandes le même chantage aux fonds publics qu’il vient de le faire pour l’usine Opel-Vauxhall à Ellesmere Port en Angleterre. Le site, avec les 1 000 emplois qui subsistent encore (ils étaient 2 000 en 2017), serait désormais prétendument « sauvé », après le soutien apporté par le gouvernement britannique à un investissement par le groupe de 117 millions d’euros outre-Manche.

Et les attaques contre les travailleurs d’Opel ne se limitent pas à l’Allemagne : en Autriche, le site Opel d’Aspern, près de Vienne, a été fermé (comme celui d’Eisenach) pour une reprise hypothétique en janvier 2022. Depuis le rachat d’Opel par PSA en 2017, le site a perdu la fabrication des moteurs et un millier d’emplois ainsi que certaines de ses boîtes de vitesses. Là encore, le déplacement de cette production à PSA Valenciennes, en France, n’y a créé aucun emploi, seulement une augmentation des cadences et de la surcharge de travail. Aujourd’hui, le site Opel à Vienne et ses près de 500 postes sont toujours menacés.

Les syndicats allemands d’Opel accusent la direction de Stellantis de profiter du système de chômage partiel allemand pour optimiser les capacités des usines françaises (en délocalisant vers la France). À vrai dire les patrons de Stellantis profitent des subventions publiques qui indemnisent le chômage partiel pour restructurer, non seulement en Allemagne mais surtout et déjà en France.

Pousser la flexibilité à l’extrême, un des buts des restructurations

En effet, les constructeurs n’avaient pas attendu la crise des semi-conducteurs et profitent de la situation (ainsi que de la période de Covid de ces deux dernières années) pour instaurer la flexibilité à l’extrême. Une politique qu’ils avaient commencé bien avant, mais qui en arrive à des valses permanentes de la main d’œuvre, des horaires, des jours chômés et samedis travaillés, et des ouvriers prévenus parfois la veille pour le lendemain des dépassements d’horaires…

Depuis septembre, à PSA Poissy, la direction a fait chômer le gros de l’usine pendant des jours, sous indemnisation de l’État, tout en prévoyant de faire travailler tous les samedis avec une multitude d’heures supplémentaires en semaine d’activité.

PSA Sevelnord, prioritaire pour les semi-conducteurs, n’a quasiment pas eu de chômage en septembre, mais produisait 30 % de ses véhicules sans calculateur, avec samedis, dimanches et les deux jours fériés de novembre travaillés. PSA Rennes a été à l’arrêt deux semaines, et est passé à une équipe. Après du chômage, PSA Mulhouse a décalé la création de sa deuxième équipe et PSA Sochaux a annoncé la suspension de son équipe de nuit. Des centaines d’intérimaires de ces trois dernières usines se sont retrouvés en fin de contrat, même chose chez les intérimaires des sous-traitants.

Dans toutes les usines, pour deux semaines d’arrêt, c’est-à-dire 10 jours non travaillés, les directions imposent aux ouvriers de rattraper en faisant 10 samedis, au mépris de la vie personnelle et familiale des ouvriers. Au-delà de 12 jours chômés, la procédure de chômage partiel s’applique avec des salaires qui baissent à 84 % du net, dont seuls 12 % payés par PSA (72 % par l’État !) Courant octobre, les jours de chômage partiel se sont multipliés partout, creusant de ce fait les salaires. (Voir notre article sur les restructurations dans l’ingénierie)

Transformer les ouvriers en nomades itinérants

Au beau milieu de ce chômage partiel endémique, la direction de PSA a estimé que ce serait le bon moment pour flexibiliser à outrance les ouvriers en les transformant en travailleurs itinérants, des nomades de la production en quelque sorte.

Certes, là encore, la méthode n’avait pas attendu le chômage partiel ni la crise des semi-conducteurs. Mais, à PSA Poissy, depuis septembre, la direction a fait venir près de 200 salariés du groupe : des dizaines de Rennais, une quarantaine d’Italiens et une vingtaine de Polonais de Fiat. La direction, loin de soulager la surcharge en augmentant les effectifs, en a profité pour licencier des dizaines d’intérimaires à Poissy. Début octobre, les salariés de Rennes, arrivés à 350 kilomètres de chez eux, officiellement au volontariat, pour fuir le chômage là-bas, ont finalement retrouvé… le chômage à Poissy.

Des coups de colère ont éclaté. Mi-septembre, à PSA Sevelnord par exemple, il y a eu des débrayages de dizaines d’ouvriers contre les sous-effectifs et les cadences. Même les travailleurs polonais venant d’Opel à Gliwice y ont participé : ils en ont eu assez de l’usine-prison à la française, « pire que chez nous » comme l’ont dit certains d’entre eux.

Italiens, Polonais, Rennais, de Poissy ou d’ailleurs, CDI ou intérimaires, la direction voudrait faire admettre aux ouvriers que c’est normal de bouger d’un site à l’autre, selon son bon plaisir. Les travailleurs de l’automobile n’ont pas dit leur dernier mot, faute de semi-conducteurs, l’onde de la lutte pourrait bien se propager de Renault et PSA à Opel, en France, en Allemagne ou en Autriche…

23 octobre 2021, Léo BASERLI

Mots-clés Automobile , Entreprises
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