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Immigration : « de la mer à la prison »

samedi 16 octobre 2021

Dans leurs discours, les gouvernants de l’Union européenne prétendent combattre l’immigration clandestine au nom de la lutte contre les « trafiquants d’humains », afin, disent-ils, de prévenir les morts en mer. Mais, en réalité, c’est la criminalisation de l’immigration qui est responsable de l’un des plus épouvantables désastres humanitaires de notre histoire.

Et les pires trafiquants d’êtres humains, les pires criminels, sont ceux qui passent des accords avec des pays comme la Libye (considérée comme un « pays sûr » par les dirigeants de l’UE) pour maintenir les migrants enfermés dans des camps, où ils subissent violences, tortures et viols.

Le délit d’immigration

C’est le fait même de migrer qui est considéré comme un délit, voire un crime.

Selon un rapport intitulé De la mer à la prison, publié par l’ARCI Porco Rosso et Alarm Phone [1], en Italie, au cours des huit dernières années, pas moins de 2 500 migrants ont été arrêtés, et des centaines d’entre eux sont encore emprisonnés, accusés d’être des « passeurs ».

Les auteurs de ce rapport ont analysé le cas de 1 000 personnes arrêtées pour ce motif et interrogé des ex-détenus, des militants d’associations d’aide aux migrants, des avocats, juges, policiers et membres de la garde côtière. Il en ressort que la plupart de ces prétendus « passeurs » n’ont fait que conduire une embarcation, voire tenir une boussole ou un téléphone satellite, alors qu’eux-mêmes étaient des migrants.

En 2018 et 2019, la police italienne a arrêté en moyenne un migrant arrivé par la mer sur cent sous l’accusation d’avoir « favorisé l’immigration clandestine ». Un délit passible de quinze ans de prison et d’un million d’euros d’amende. C’est pour cette même accusation que des navires de secours d’ONG ont été séquestrés et leurs équipages soumis à des enquêtes pénales, et que Mimmo Lucano, l’ancien maire de Riace, en Calabre, vient d’être condamné à treize années de prison.

De victimes à coupables

De nombreux migrants ont été jugés coupables, quand bien même il n’y avait aucune preuve contre eux. Les condamnations vont de deux à dix ans de détention, et parfois plus. Car la condamnation est beaucoup plus lourde s’il y a eu des morts au cours d’un naufrage, les supposés passeurs étant, dans ce cas, considérés comme responsables d’homicides.

Une juriste qui a travaillé sur le rapport dénonce : « Ce sont des procès conditionnés par la politique. Dans la chasse au passeur, bouc émissaire à qui tout est reproché, les garanties procédurales font défaut et les principes sur lesquels devrait reposer toute procédure pénale sont violés. »

Le manuel des opérations Sophia de Frontex [2], de 2017, indique parmi les méthodes d’identification des éventuels passeurs que ceux-ci peuvent « se montrer excessivement prêts à collaborer ou montrer de grands signes de nervosité » !

Selon un traducteur, présent sur les navires de la garde côtière, l’ordre qui lui était donné était de « trouver un coupable ».

Mais ceux qui sont lourdement condamnés comme passeurs par les tribunaux ne sont pas des coupables. Ce sont eux aussi des victimes, des migrants parmi les autres, ayant risqué leur propre vie pour fuir la guerre ou la misère. S’ils ont conduit les embarcations, c’est souvent sous la menace ou parfois parce qu’en échange on ne leur a pas fait payer le prix du « voyage ».

L’un d’eux témoigne : « J’ai fait deux ans de prison pour avoir conduit une barque. J’ai sauvé la vie de ces personnes, je n’avais pas d’autre choix. » Le rapport cite aussi le cas d’un migrant qui, ayant appelé les secours par téléphone, a été jugé coupable d’avoir aidé à guider l’embarcation où il se trouvait.

On ne peut que souscrire à la conclusion des auteurs du rapport, qui déclarent vouloir « défendre tous les accusés, sur la base d’une critique de la criminalisation de l’immigration. Criminalisation sur laquelle se fonde le système qui produit toutes ces situations… Ceci ne peut s’obtenir qu’en supprimant les frontières et n’importe quelle loi qui empêche leur traversée. »

T.F.


[1ARCI Porco Rosso est une association culturelle qui, depuis 2016, défend les sans-papiers à Palerme.

Alarm Phone est un réseau qui gère une ligne téléphonique pour secourir les migrants en Méditerranée.

[2Frontex : agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes.

Mots-clés Migrants , Monde
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