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Autopsie d’une épave sous-marine

vendredi 1er octobre 2021

Deux semaines après que, mercredi 15 septembre, le Premier ministre australien Scott Morrison ait annulé la commande par son pays de douze sous-marins français, ce coulage de ce « contrat du siècle » mis à flot il y a cinq ans fait encore des vagues. « Ça ne se fait pas entre alliés », répète Le Drian qui, alors ministre des Armées de François Hollande, avait signé le marché en 2016 en proclamant « nous sommes mariés avec l’Australie pour cinquante ans ». « Entre amis, c’est inadmissible » rajoute Sarkozy. L’extrême droite a surenchéri en exigeant… une commission d’enquête parlementaire. Rien n’est de trop pour laver l’honneur de l’impérialisme français ! Le candidat à la candidature de droite Xavier Bertrand a d’autant plus facilement volé au secours des emplois menacés qu’ils se limitent pour l’instant à quelques centaines d’ingénieurs et cadres – il est moins offensif contre les restructurations des trusts de l’automobile de sa région, PSA en tête. Quant à Mélenchon, il a tenté de doubler tout le monde sur le souverainisme : « il est temps de […] refuser la caporalisation » de la France par les États-Unis, et « de quitter l’Otan ». De Gaulle, reviens !

Certes, on ne s’assoit pas tous les jours sur un contrat à 50 milliards d’euros, au prix de quelques milliards de pénalités, comme Scott Morrison le fait. Alors qu’y a-t-il derrière cette affaire qui amène tous les coqs gaulois à monter sur leurs ergots ?

Diesel ou nucléaire, « la question elle est vite répondue »

Scott Morrison se justifie simplement : alors que les Français proposaient des sous-marins à propulsion diesel/électrique, la nouvelle alliance dite « Aukus » pour Australie, Royaume-Uni (UK) et États-Unis (US) offre des submersibles à propulsion nucléaire, appelés dans le jargon militaire « sous-marins nucléaires d’attaque » (SNA, chargés de diverses armes, mais pas de missiles nucléaires). L’avantage est réel. Un sous-marin de ce type peut se déplacer sur des dizaines de milliers de kilomètres en restant en profondeur plusieurs mois. Son homologue diesel doit, au risque d’être repéré par des satellites adverses, régulièrement faire surface pour se réapprovisionner en oxygène, sans lequel il ne peut brûler son carburant et recharger ses batteries électriques. Et il ne tient pas à pleine vitesse très longtemps.

C’est pourquoi les sous-marins des principales puissances ne carburent qu’au nucléaire. En particulier celles qui possèdent l’arme atomique : un sous-marin chargé de missiles nucléaires (sous-marin nucléaire lanceur d’engins, SNLE) se doit, plus que tout autre, d’être capable de cacher en permanence sa position. Jusqu’ici, les puissances du « club de l’arme nucléaire » se réservaient l’avantage stratégique de la propulsion nucléaire. Les voilà donc qui la revendent aussi à leurs alliés, dans le cadre d’une reprise récente et plus globale de la course aux armements, mais sans les armes atomiques dont elles gardent le monopole.

Bref, l’Australie a trouvé de meilleurs rafiots. Nos chantres du libéralisme auraient-ils perdu leur goût pour la libre concurrence ?

De l’argent jeté par les hublots… pour préparer la guerre ?

Côté militaire de l’affaire, avec douze engins pour 25,6 millions d’habitants, l’Australie s’offre d’un coup le plus fort taux d’équipement en SNA de la planète. L’espace maritime australien, certes un des plus vastes au monde, n’a pas eu besoin jusqu’ici de cette quincaillerie. Alors pourquoi l’acquérir aujourd’hui ? Il ne s’agit pas des seuls besoins australiens. L’enjeu de ces sous-marins dépasse nettement le rôle de l’île-continent.

En mer de Chine méridionale, Pékin bétonne atolls et récifs inhabitables des archipels Spratleys et Paracels pour y amarrer ses bateaux et y faire atterrir ses avions – au grand dam des pays voisins et de leurs prétentions à contrôler ces cailloux parfois entièrement recouverts à marée haute. Par ailleurs, la Chine négocie aussi l’installation de bases navales jusqu’en Afrique. Cependant, elle a beau consacrer une part croissante de son budget à sa marine de guerre et répéter en toutes occasions que Taïwan lui appartient, c’est bien l’US Navy qui campe devant les côtes chinoises, et pas l’inverse. Au nom de la « liberté de circulation maritime », des navires de guerre occidentaux y font des ronds dans l’eau, mais aussi sous l’eau. C’est pour jouer les seconds couteaux dans ces patrouilles que l’Australie a passé le « contrat du siècle ».

Loin de « garantir la sécurité » mondiale, cela tend un peu plus les relations entre l’Occident et la Chine, et davantage encore depuis qu’il s’agit de sous-marins nucléaires bien moins, voire pas du tout détectables.

L’impérialisme français perd-il des plumes ?

En France, les politiciens de tous bords qui ont poussé les hauts cris ont la mémoire courte. C’est comme sous-traitant des États-Unis et avec leur bénédiction, pas en représentant de l’« indépendance française », que Naval Group, l’entreprise privée issue des arsenaux de la marine de guerre française, avait décroché la timbale australienne. Une timbale pas si pleine que ça d’ailleurs. Le contrat annulé ne lui aurait rapporté que huit des cinquante milliards dépensés par l’Australie, laquelle avait exigé et obtenu que le gros des fabrications ait lieu sur son sol, à Adelaïde.

Les sous-marins que Naval Group s’apprêtait à fabriquer pour l’Australie sont en fait une version à moteur diesel du SNA français Barracuda. Autrement dit, les chantiers navals français auraient parfaitement pu proposer des sous-marins nucléaires à l’Australie. Si le contrat leur file sous le nez, c’est que le véritable maître d’œuvre, les États-Unis, a décidé de renvoyer l’impérialisme français à la niche en même temps qu’il se décidait à autoriser l’Australie à acquérir des SNA. Les cocoricos chauvins sur le rôle de la France dans le Pacifique sont d’autant plus ridicules qu’ils ne la sortiront pas de son rang second de chien fidèle.

D’ailleurs, les Américains gardant pour eux les secrets de leur modèle de SNA, c’est à un autre chien fidèle qu’ils délèguent le soin de fournir la camelote, en l’occurrence l’équivalent britannique de Naval Group, BAE Systems. Au Royaume-Uni, Boris Johnson s’est félicité bruyamment de ce premier succès de sa stratégie « Global Britain », consistant pour l’essentiel à se tourner vers les États-Unis pour mieux supporter le Brexit. Il n’est pas sûr que cela suffise à faire passer aux Britanniques la pilule des pénuries actuelles, notamment d’essence, par lesquelles la population est en train de payer la sortie de l’Union européenne…

Quant aux sous-marins eux-mêmes, Diesel-électrique, SNA ou SNLE, on préférerait les voir rouillant à la casse que sortant leurs périscopes ou leurs missiles. Et les travailleurs des chantiers navals auraient bien mieux à faire en construisant un tout autre genre de navire.

Mathieu Parant

Mots-clés Armement , Monde
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