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Sur un piquet de Transdev, mardi 28 septembre 2021

jeudi 30 septembre 2021

Semaine 4, J2 : attendre ou étendre ?

On en a gros à Darche-Gros

Comme presque tous les jours depuis le début de la grève, un groupe de quelques grévistes descend du piquet le matin, pour boire un jus au café de la gare. Ils en profitent parfois pour remonter au dépôt quelques militants du NPA – les transports en commun, c’est une vocation. À la sortie du café, un homme les accoste : « Excusez-moi, je vous ai entendu au café, vous êtes conducteurs en grève c’est ça ? Vous avez mille fois raison de faire grève ! Moi je bossais à Transdev Darche-Gros, juste à côté. On devrait tous faire grève. Là-bas les conditions sont même pires : parfois c’est des vacations en trois fois [1], et avec des salaires tirés vers le bas tout le temps. Moi j’ai adoré le métier, mais ils m’en ont écœuré. C’est devenu du travail à la chaîne. » L’ancien collègue se reconvertit en moniteur d’auto-école. Avec la conduite des poids lourds, c’est une des options qui peuvent paraître naturelles aux conducteurs de bus ou car lassés. Mais il suffit de creuser un peu pour voir que les conditions n’y sont pas franchement meilleures.

La grève, elle, pourrait tirer les conditions de travail vers le haut. De retour sur le piquet, quelques grévistes discutent : on pourrait aller rendre visite aux collègues de Darche-Gros ? Mais à cette heure-ci, avec leurs horaires impossibles, il ne doit y avoir personne au dépôt. Ce n’est que partie remise, car ils sont de ceux qu’il faudra entraîner dans le mouvement pour faire plier Transdev.

« Il faut […] structurer la grève ! Là c’est foufouillon ! »

Un gréviste de Lieusaint a fait le déplacement, pour raconter les négociations d’hier après-midi. « Ça a duré quatre heures, pour rien, du vent. Ils nous ont encore fait les mêmes propositions, et le médiateur a juste voulu nous pousser à reprendre le travail. – Mais on n’a pas fait grève pour des miettes ! – Ils disent qu’avec la nouvelle ouverture à la concurrence, retourner aux conditions d’avant c’est impossible. – Mais nous, on n’est pas responsables de leurs conneries ! Ils n’ont pas à gratter sur nos conditions de travail ! Ils sont capables de te sortir un nouveau dépôt à douze millions, mais pour les ouvriers, rien ! » Les éclats de voix font que d’autres grévistes s’approchent. « En fait ce qu’il faudrait, c’est proposer un cadre commun, pour que chaque dépôt n’ait pas à négocier tout seul. Mais si on fait la moyenne des conditions de tous, forcément là où on était bien avant, ça va baisser. – Non au contraire ! Si on est unis on peut demander plus. Par exemple les RU [2], soi-disant ils ne peuvent plus nous les payer comme primes, parce qu’il y a des problèmes légaux. Mais j’en ai rien à foutre de vos problèmes. Si vous ne pouvez pas les mettre en prime, vous augmentez les salaires de 200 euros ! – Oui, je suis d’accord avec ça ! » Les discussions continuent, sur les revendications, sur la suite de la grève. Un gréviste éclate : « Il faut qu’on discute ensemble pour structurer la grève ! Là c’est foufouillon !– Il faut faire une AG ! Attendez on va réunir les gars et demander aux délégués ce qu’ils ont prévu pour la suite et où ça en est. »

« … il faut passer à la vitesse supérieure »

Devant la machine à café, une assemblée générale de quarante grévistes s’improvise. Un de ceux que les grévistes qualifient des délégués, mais qui sont parfois des militants syndicaux sans mandat, prend la parole. « Voilà où en est la grève. On a demandé un médiateur et on lui a transmis nos revendications. Là on attend la médiation, son rôle c’est de trouver un juste milieu. Ce sera demain à 14 heures. » Il passe ensuite la parole au gréviste de Lieusaint qui a déjà vécu la médiation, et qui a eu le temps d’y réfléchir. « Sans mentir ils vont vous proposer un truc éclaté, en commençant par dire ‘‘faites voir vos revendications’’. – Mais ils les ont depuis le début ! – Ces réunions à répétition c’est en train d’énerver tout le monde ! »

Ayant constaté l’impasse des médiations, le gréviste continue : « Nous, ça fait quatre semaines qu’on est dans la grève. Est-ce qu’il ne faudrait pas que tous les syndicats se mettent ensemble pour faire une seule table de négociations ? Pour moi ce serait mieux, sinon ils vont nous croquer un par un. Là il faut passer à la vitesse supérieure, même mettre trois vitesses d’un coup. – Mais on ne va pas rester six mois en grève, le temps d’attendre tous les autres ! » réplique un autre gréviste. Évidemment, on ne peut pas passer sa vie en grève – même si, comme l’ont remarqué beaucoup de grévistes, ça fait du bien d’avoir du temps à soi et de faire autre chose que travailler. Mais est-ce qu’on peut imaginer tordre le bras des patrons sans la force des collègues des autres dépôts ? Les grévistes qui ont initié le mouvement se trouvent face à cette question stratégique. Affirmer qu’il faudra attendre six mois pour que tous les dépôts se joignent à la bagarre, c’est sans doute trop exagéré pour poser sérieusement la question. D’ailleurs, pour que les autres rejoignent le mouvement, il ne suffit pas « d’attendre » : il faut aller les chercher, et pour cela profiter du temps dégagé par la grève. Et plus on ira les chercher vite, moins de temps passera. Mais d’un autre côté, il faut se poser cette question. Comment construire ce mouvement qui, c’est sûr, va durer plusieurs semaines encore, voire plusieurs mois – et prolonger la force de cette grève et de sa victoire espérée ?

La direction fait diversion

Alors que les grévistes étaient sur le point d’aborder cette question cruciale, la directrice fait son apparition – sur son TTE, ne vous inquiétez pas pour elle. « Venez, on bouge l’AG, elle n’a pas à entendre ce qu’on dit ! – Attendez, on va lui demander pourquoi les négociations n’avancent pas. » On voit là toute l’expérience de cette directrice de combat : sa simple présence a suffi pour disloquer une des premières AG des grévistes de Vaux-le-Pénil. Rien ne fait plus peur à la direction que des grévistes qui discutent collectivement. Dès qu’elle a vu ça, elle est descendue sur le terrain, et coup gagnant pour elle… même si elle ne s’en tire pas tout à fait indemne. Il faut dire, elle ose tout (c’est à ça qu’on la reconnaît) :

« – Vous savez, vous avez une garantie de rémunération.

– Vous pouvez raconter ce que vous voulez, nous on travaille plus et on gagne moins.

– Mais puisque je vous dis que la loi vous le garantit !

– Vous rigolez ou quoi ? On sait ce qu’on perd !

– Écoutez, vous n’avez même pas vu les roulements de septembre. Vous ne vous basez que sur les roulements d’août.

– Non, c’est vous écoutez. Le problème c’est le TI. On n’en veut pas. Avec le TI, on est au travail, mais on n’est pas payé. C’est ça qui est incompréhensible.

– On verra bien ce que dit la médiation demain à 14 heures. »

 

Des grévistes continuent entre eux : « Moi j’espère juste que la médiation ne sera pas décalée… parce que les jours passent et on ne voit pas de solution. – Mais le médiateur, c’est un inspecteur du travail là. Il va seulement vérifier si c’est légal ou non ce qu’on nous a proposé. Mais le TI, c’est légal. – Mais alors le médiateur ça ne va servir à rien ? »

Les cinq de Marcoussis

La bonne surprise de ce midi, c’est la visite des collègues de Transdev Marcoussis, Les cars d’Orsay. Tassés à cinq dans une voiture, ils ont fait les cinquante kilomètres qui les séparent de Vaux-le-Pénil pour venir voir la grève. Chez eux, l’appel d’offre est prévu pour décembre. Ils viennent chercher des infos, et de la motivation pour ne pas se laisser manger par les patrons. « Ça donne quoi vos services avec les nouveaux accords ? – Moi par exemple une semaine j’ai fait des vacations de 10 heures 30. – Mais en deux fois ? – Non non, en une fois ! Donc sur la semaine ça m’a fait 50 heures. – Mais non ! » Et la stupeur devient de la colère, quand le collègue ajoute qu’évidemment, il n’a pas été payé 50 heures. « Avant, même quand on avait des conditions on va dire correctes, ils faisaient déjà du profit. Là, les profits en plus qu’ils vont faire, c’est parce qu’ils vont nous faire rouler plus et nous payer moins ! »

« Si tous les dépôts de Transdev, rien qu’en Île-de-France disent ‘‘on ne roule pas !’’, ils vont saigner du nez ! » Les numéros sont échangés avec Marcoussis, et une promesse de se revoir. La grève continue de faire tache d’huile. C’est presque toute seule qu’elle déborde. Et si les plusieurs centaines de grévistes d’Île-de-France s’emparaient du flambeau de la grève pour aller allumer de nouveaux foyers partout ? Et si, d’une AG de grévistes, partaient des revendications qui parlaient à tous les conducteurs de France, à commencer par ceux des TCL ? Payer toute minute au travail, réduire les journées, augmenter les salaires et embaucher : deux grévistes ont noté sur un coin de carnet ces quatre points fondamentaux, qui pourraient être un accord commun pour le métier. Mais un accord arraché par les travailleurs cette fois-ci.

Simon Vries


[1C’est-à-dire une journée de travail dont les deux coupures ne sont pas payées, par exemple : 7 heures 30 à 9 heures, puis 11 heures 30 à 13 heures et enfin 15 heures 30 à 17 heures.

[2« Repas uniques », la prime de repas journalier. Cette prime risque comme toutes les primes pour tous les dépôts soumis aux appels d’offres d’être supprimée, pouvant occasionner des pertes de salaire allant jusqu’à 200 euros par mois.

Mots-clés Entreprises , Grève , Transdev , Transports publics
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