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L’exclusion de Ken Loach du Parti travailliste : une chasse aux sorcières contre les militants de gauche

lundi 16 août 2021

(Photo : Ken Loach au Festival de Cannes 2019, Georges Biard, https://commons.wikimedia.org/wiki/...)

C’est sur son compte Twitter que le cinéaste britannique Ken Loach a annoncé samedi 14 août avoir été exclu du Parti travailliste, dénonçant une « chasse aux sorcières » menée par la direction contre diverses tendances de l’aile gauche au sein du parti. Il a poursuivi : « La direction du Labour a fini par décider que je ne suis pas apte à être membre de leur parti, car je ne veux pas désavouer ceux qui ont déjà été exclus » a écrit le réalisateur de 85 ans. Quant à ladite direction, elle s’est refusée à tout commentaire. Pourtant il n’est pas très difficile de retracer ce qui a pu se passer.

Un tournant à gauche qui n’a pas duré

Lorsqu’il est arrivé à la tête du Labour, en 2015, Jeremy Corbyn incarnait la négation de l’idéologie de Tony Blair et de ses successeurs qui avait conduit le parti à accepter avec enthousiasme l’économie de marché et la mondialisation capitaliste, et qui a incarné une troisième voie entre la gauche et la droite, un peu à la manière d’un Macron. Lorsque Blair a quitté la direction du parti il était détesté non seulement d’une bonne partie de classes populaires mais aussi de la bureaucratie syndicale qu’il avait superbement ignorée.

Jeremy Corbyn reprenait volontiers à son compte un vocabulaire socialisant, et parfois tiers-mondiste sans donner pour autant une orientation révolutionnaire quelconque au parti. En Irlande, il avait soutenu le Sinn Fein républicain, fait campagne contre l’apartheid en Afrique du Sud, lutté pour que le dictateur chilien Pinochet soit jugé pour crimes contre l’humanité, avait été vice-président de la Campagne pour le désarmement nucléaire, tenu une chronique hebdomadaire dans le quotidien proche du Parti communiste The Morning Star (l’Étoile du matin) et fait campagne contre la guerre en Irak. De plus, c’était un chaud supporter de la cause palestinienne. Pendant les quatre ans qu’il a passés à la direction du parti travailliste, Corbyn a attiré des milliers de jeunes, mais aussi des intellectuels de gauche comme Ken Loach qui jusqu’alors étaient restés à la marge. Un peu comme l’a fait outre-Atlantique Bernie Sanders au sein du Parti démocrate.

Mais l’expérience Corbyn a été de courte durée. Son parti ayant subi une très lourde défaite face aux conservateurs aux élections législatives de 2019, il a été remplacé par un dirigeant ouvertement centriste dans la lignée de Tony Blair, Keir Starmer.

À droite toute

La biographie de Starmer parle d’elle-même. C’est un travailliste qui se situe résolument à l’aile droite de son parti et incarne un conservatisme « de gauche » décomplexé. Avocat, il a été anobli par la reine Élisabeth II et nommé chevalier commandeur de l’ordre du Bain en 2013 pour services rendus à la loi et à la justice criminelle. Il est également conseiller de la reine depuis 2012 et membre de son Conseil privé depuis 2017.

Il est persuadé qu’avec le glissement à droite de l’électorat populaire la seule chance des travaillistes de l’emporter est de concurrencer les conservateurs sur leurs thèmes favoris : patriotisme, chauvinisme, exhortation de l’Empire et de la Couronne. Il parle peu (ou pas) des questions sociales et n’attaque le gouvernement de Boris Johnson que sur sa gestion actuelle de la pandémie… en oubliant au passage que les gouvernements travaillistes ont dans le passé joué un rôle majeur dans l’affaiblissement du Service national de santé.

Pour tenir sa ligne, il doit se débarrasser à tout prix de l’héritage de Jeremy Corbyn. Dès son arrivée à la tête du parti, il l’a fait exclure du groupe parlementaire en l’obligeant à siéger comme indépendant en dénonçant, sans aucune preuve, son « manque de volonté » pour s’attaquer à « l’antisémitisme dans les rangs travaillistes ». À la grande satisfaction de la principale organisation sioniste du pays, le Bureau des représentants des juifs britanniques, l’équivalent outre-Manche du Conseil représentatif des institutions juives de France. Ken Loach s’était alors solidarisé publiquement avec Corbyn.

Starmer n’en est pas resté là. Il s’en est pris ensuite aux supporters de Corbyn. Le 20 juillet dernier il demandait au Comité exécutif national d’exclure des rangs du parti quatre groupes représentant au total un millier de militants : Resist (Résiste), Labour Against the Witchhunt (Travailliste contre la chasse aux sorcières), Labour in Exile Network (Réseau travailliste en exil), Socialist Appeal (Appel socialiste). Il leur était reproché de « promouvoir le communisme, d’affirmer que les accusations d’antisémitisme étaient exagérées, et de demander la réadmission de Jeremy Corbyn au sein du groupe parlementaire travailliste ». Les exclus avaient organisé un rassemblement de protestation devant le siège central du parti au cours duquel un message de soutien de Ken Loach avait été lu. C’est à eux qu’il fait référence sur Twitter en affirmant : « Je suis fier de me tenir aux côtés de mes bons amis et de mes camarades victimes de la purge. »

Le nom de Ken Loach restera, celui de Starmer c’est moins sûr

Exclu ou non du Parti travailliste, Ken Loach reste un des plus grands cinéastes du Royaume-Uni. Sa sensibilité à l’égard de la classe ouvrière et des classes populaires, des chômeurs, des laissés-pour-compte, son soutien à la cause irlandaise mais aussi à la révolution espagnole de 1936, voire au combat féministe, parlent pour lui et réduisent à néant les lamentables et nauséabondes accusations de racisme et d’antisémitisme lancées contre lui par des politiciens opportunistes dont l’Histoire ne retiendra pas les noms. Et c’est une bonne chose.

Jean Liévin

Mots-clés Monde , Royaume-Uni
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