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Vers la privatisation de la santé : de « plan 2007 » en « plan 2012 », c’est l’hôpital qui reste en plan

vendredi 29 juin 2007

« L’hôpital va mal ! » : les malades s’entassent dans des services dans lesquels les médecins, les infirmières et les autres catégories de personnels soignants ou techniques font défaut la plupart du temps, faute de crédits. Du côté du personnel, les conditions de travail sont de plus en plus infernales. Les urgences tournent à plein régime et explosent à la moindre épidémie ou plus gravement lorsqu’en 2003, la canicule y a poussé des dizaines de milliers de patients imprévus.

Cette crise de l’hôpital ne pourrait être résolue qu’en investissant massivement dans le service public de santé et en embauchant du personnel en nombre suffisant.

Au contraire, les plans d’austérité, voire de démantèlement, lancés par le gouvernement Raffarin en 2003, plan « hôpital 2007 », puis par Xavier Bertrand (alors ministre de la Santé), plan « hôpital 2012 », vont se poursuivre voire s’aggraver sous l’égide du gouvernement Sarkozy-Fillon, et avec eux la recherche des économies à tout prix, au dépens du personnel comme des malades.

L’investissement hospitalier

Entre 1983 et 2004, les hôpitaux étaient financés par un budget global. Les établissements de santé recevaient une enveloppe budgétaire censée leur permettre de fonctionner. Mais cette dernière était toujours insuffisante pour satisfaire les besoins. Aujourd’hui, environ 80 % des hôpitaux sont en déficit.

Fin 2003, le gouvernement a annoncé qu’il allait donner « une manne de 6 milliards d’euros sur 5 ans » pour la santé. Mais en grattant un peu, le vernis tombe. En effet, 70 % de ce montant était en réalité une autorisation d’emprunt auprès de banques, avec, à la clé, des frais financiers qui grèvent d’autant plus les budgets. Cette somme concerne l’ensemble des investissements de tous les établissements de santé, publics et privés, y compris le renouvellement d’équipements lourds comme des scanners ou des appareillages de traitement en radiothérapie (entre 3 et 6 millions d’euros). Il faut aussi savoir que pour leur grande majorité, les locaux ou les appareils lourds des hôpitaux sont à restaurer ou à renouveler !

Dans les régions, le directeur de l’agence régionale de l’hospitalisation (ARH) devient une sorte de « super préfet » de la santé. Il fait le tri, avec comme consigne de distribuer ladite « manne  » au privé comme au public et de restructurer l’offre de soins : fusion, concentration, acquisition, coopération.

Par exemple, il peut fermer un bloc opératoire réalisant moins de 2 000 actes chirurgicaux par an dans un hôpital, au profit d’une clinique pratiquant des dépassements d’honoraires… dépassements qui sont entièrement à la charge des patients et des mutuelles. Il peut aussi décider d’intégrer une clinique privée dans l’enceinte d’un hôpital public et lui permettre de bénéficier des blocs opératoires de l’hôpital qui seront alors utilisés en commun alors que leurs financements restent distincts. L’un se permet des dépassements d’honoraires de plus en plus fréquents et trie ses patients, l’autre accueille tout le monde, même les bénéficiaires de la CMU que de nombreux praticiens privés refusent.

Car si les hôpitaux publics coûtent actuellement plus à la Sécurité sociale que le secteur privé, c’est qu’ils n’ont pas les mêmes missions. Ils doivent accueillir les urgences 24 heures sur 24, faire face à des épidémies comme le Sida ou à des catastrophes telles la canicule. Ils prennent en charge les patients très lourds ou en fin de vie (75 % d’entre nous y décèdent). On met beaucoup plus de temps pour installer et réaliser un scanner à un malade de réanimation que pour faire le même examen pour un patient valide. C’est aussi l’hôpital public qui assure la formation des médecins, des chirurgiens ou des infirmiers y compris pour ceux qui iront, ensuite, travailler dans le secteur privé.

La nouvelle forme de coopération public/privé va permettre d’instaurer une concurrence encore accrue entre les établissements et dilue les établissements publics dans une nouvelle entité juridique : le groupement hospitalier d’intérêt collectif (GHIC) à l’exemple de ce qui fut mis en place à la poste vers 1986. Et il n’y aura à terme plus de distinction entre les établissements publics et privés.

Un budget sous surveillance

Le budget d’un hôpital se fait dorénavant sur la base d’un état prévisionnel des recettes et des dépenses (EPRD) avec d’éventuelles dotations qui viennent le compléter. Cet EPRD est accepté ou non par le directeur de l’ARH. Celui-ci peut mettre un établissement sous tutelle s’il est en déficit de plus de 3 millions d’euros et pourra alors prendre toutes les mesures pour « assainir » sa trésorerie, comme supprimer des activités ou geler les embauches. L’ EPRD est réalisé en se basant sur une augmentation de l’activité, par exemple, au CHU de Besançon, en 2005, elle était de plus de 3,5 %.

Chaque hôpital et chaque pôle d’activité (regroupement de service) a l’obligation de maintenir l’équilibre financier entre les recettes et les dépenses, et si besoin de développer des « plans sociaux ». Car la masse salariale, environ 70 % du budget des hôpitaux devenant la seule « variable d’ajustement », l’hôpital peut être amené à fermer ou à réduire des activités, et donc à réduire son personnel. Ainsi la direction de l’hôpital de Nîmes, qui a voté un EPRD en déficit de 1,2 million d’euros, a décidé de bloquer les embauches.

Actuellement le statut de l’hôpital public ne permet pas les licenciements économiques. Pas de problème ! On transforme alors les hôpitaux en établissements à mission de service public, les GHIC. La seule différence se situe dans le statut des personnels, qui deviendront pour une grande partie contractuels comme à la Poste ou chez France Télécom. Or d’ici à 2015, plus de 383 000 agents de la fonction publique hospitalière vont partir en retraite, soit 55 % de ses effectifs à remplacer.

La tarification à l’activité

La tarification à l’activité (T2A) est calquée sur le paiement à l’acte de la médecine libérale. Ce n’est plus le patient qui est pris en compte, mais sa pathologie. La prise en charge de chacune d’elles correspond à une enveloppe financière qui englobe tout, du diagnostic à la convalescence ainsi qu’une durée moyenne d’hospitalisation. Par exemple, une appendicectomie est évaluée à 1 800 euros. Si l’établissement public ou privé en réalise 300, il recevra 300x1 800 euros.

Il existe alors des malades « rentables » (par exemple, une intervention chirurgicale nécessitant une courte hospitalisation) et des malades « non rentables ». Pour telle opération, la durée d’hospitalisation moyenne est évaluée à quatre jours : si le malade ne reste que trois jours, c’est tout bénéfice. Par contre, si l’hospitalisation se révèle plus longue, cela coûtera plus cher à l’établissement. Un patient diabétique dialysé ou amputé « rapporte » plus qu’un diabétique hospitalisé pour prévenir une amputation ou la dialyse car dans ce cas aucun acte lourd n’est réalisé et l’hospitalisation peut être longue.

On comprend facilement les dérives que va engendrer ce système.

Si l’hôpital est plus coûteux pour traiter telle ou telle pathologie, il aura tendance à l’abandonner ou, au mieux, à la réduire. Les cliniques privées lucratives ont investi la plupart des secteurs « rentables » de la santé, laissant au secteur public le reste de l’activité. Les hôpitaux publics risquent de devenir, comme c’est le cas actuellement aux États-Unis, des hôpitaux pour pauvres.

En 2002 [1] 80% des opérations de la cataracte et 78% des arthroscopies étaient réalisées dans le secteur privé. Alors que 85% des affections compliquées du tube digestif et 61% des tumeurs malignes en stomatologie sont pris en charge par le public.

Si des médecins apprécient cette réforme car ils pensent « qu’elle va valoriser certaines activités », certains manifestent des inquiétudes. Dans Le Monde du 23 février 2006, le Professeur A. Léon, expliquait qu’en « réanimation, dorénavant, on peut différencier les patients « rentables » qui nous font coter des actes de réa et des patients « non rentables », atteints de pathologies similaires, pour qui on n’effectuera pas certains actes. On ne fait pas ce tri, par éthique médicale, mais le risque d’effet pervers existe ».

Pour l’instant, des secteurs comme la psychiatrie, la gériatrie et les urgences ne fonctionnent pas encore suivant ces critères. Mais l’application de la T2A est passée progressivement de 35 % en 2006 à 50 % en 2007 et doit être totale en 2012. Et déjà en 2007 lorsque l’ARH crée un poste à l’hôpital, d’aide soignant par exemple, elle ne le finance plus qu’à hauteur de 50 %, le reste devant être financé par les « bénéfices » dégagés par la T2A.

Lorsque cette « marge bénéficiaire » permet de faire des embauches, comme ce n’est pas sur des crédits pérennes (impossible de savoir si l’année suivante de nouveaux « bénéfices » seront réalisés), les nouveaux ne pourront plus être titularisés, ou alors beaucoup plus difficilement.

Certains établissements qui, avec le budget global, étaient particulièrement en crise, trouvent certes, dans ce nouveau financement, un petit mieux. Ainsi, l’hôpital de Besançon a pu créer 15 postes en 2006 et 6 en 2007, sur le financement T2A (sur un effectif de plus de 4 500 !). Mais actuellement, une grande partie des hôpitaux ont vu leur budget baisser.

La précarité va ainsi s’installer de plus en plus. Et on voit bien l’avenir des services qui ne pourront jamais dégager de « marges bénéficiaires » comme le brancardage, l’entretien des locaux, la collecte des déchets ou la cuisine : « l’ externalisation » et leur gestion par le privé contre le paiement des prestations fournies.

La mise en place des pôles d’activités

Depuis le début de l’année 2007, les services hospitaliers sont regroupés en pôles d’activité. Ces derniers ont à leur tête un médecin chef de pôle qui est assisté par un cadre supérieur et un cadre administratif. Le directeur général de l’hôpital doit passer un contrat d’objectifs et de moyens avec chaque chef de pôle. Ce dernier doit s’engager sur des objectifs à réaliser pour l’année à venir avec un budget à respecter. En fait, c’est le directeur de l’ARH qui impose des plans pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM). Ces derniers ne sont pas discutés avec les médecins, ils leur sont imposés et si les objectifs ne sont pas atteints ou s’ils sont dépassés, à partir de 2008, les pôles seront pénalisés.

Ces regroupements de services se font parfois autour d’une logique médicale comme la mise en place d’un Pôle gynécologie-obstétrique ou cardiologie… mais il peut répondre à une toute autre logique qui peut paraître obscure comme cet hôpital parisien qui a mis en place un Pôle regroupant la maternité, l’urologie, l’orthopédie, la chirurgie digestive et la chirurgie endocrinienne ! Il faut dire que la cohabitation à l’intérieur des nouvelles entités ainsi que la nomination du chef de pôle ont donné lieu, dans bien des cas, à des guerres entre les chefs des services dignes des meilleurs westerns.

La logique du système est avant tout financière : faire des économies en « mutualisant » le matériel et les personnels qui se terminera inévitablement par la suppression de postes. Dès que des agents seront absents dans une unité, les remplacements se feront à l’intérieur du pôle, par les collègues du service voisin, même s’ils galèrent déjà ! Le chef de pôle pourra imposer la flexibilité en modifiant l’organisation des horaires en fonction des pics d’activité. Par exemple, il peut décider que les ASH (Agents de service hospitalier) n’ont pas besoin d’être deux le matin et l’après midi et n’en faire venir qu’un sur chaque poste, doublé par un collègue travaillant de 8h à 12h et de 14h à 18h. Cela représente « l’économie » d’un poste. L’application des 35 h, le rythme des roulements de nuit pourront aussi être renégociés à l’intérieur de ces secteurs. Des conseils de Pôles vont être mis en place pour décider de son organisation. Ces derniers regrouperont des médecins, des gestionnaires et des représentants des personnels élus. Mais les syndicats n’y ont aucun droit de présence en tant qu’organisation.

Le fait que les chefs de pôle soient nommés pour réaliser des objectifs financiers va forcément entraîner des dérives comme la sélection de patients, la diminution draconienne des durées de séjour ou la sous-traitance de certaines activités (dans les laboratoires ou pour les secteurs de la stérilisation, de la blanchisserie, du ménage ou de la cuisine).

Les finalités de la réforme

Ces plans sont en train de bouleverser l’ensemble du système de santé à l’exemple de l’hôpital privé Saint-Joseph, à Paris. Celui-ci participe au service public et sert de modèle et d’expérimentation. Il prévoit un plan social et la suppression de 400 postes non médicaux et de 20 postes médicaux !

En fait, cette réforme permet de mettre en place des restrictions de personnel et d’offre de soins sous un discours qui prône la rentabilité et l’efficacité. Elle permet également de transférer au privé le maximum de ce qui peut donner des profits au détriment du service public hospitalier.

20 juin 2007

Michelle LOUISE


[1Chiffres de la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS).

Mots-clés Entreprises , Hôpital
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