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Quelques grandes dynasties capitalistes, dans l’océan du sous-développement

jeudi 10 mai 2007

L’année dernière le magnat indien de l’acier Mittal menait une spectaculaire OPA sur le premier groupe sidérurgique européen, Arcelor. En février dernier, la firme Tata Steel achetait l’aciériste anglo-néerlandais Corus pour 10,6 milliards d’euros, et le premier producteur d’aluminium indien, Hindalco, achetait le fabricant américain Novelis pour 4,7 milliards d’euros. En 2007 les acquisitions d’entreprises dans le monde par des groupes indiens devraient donc battre des records, après avoir atteint 4,5 milliards de dollars en 2005 et 7,2 milliards de dollars en 2006.

Des achats qui ne se limitent pas à la sidérurgie, puisque des groupes de pièces d’automobiles, de téléphonie ou encore de services informatiques (Tata Consultancy, Infosys, Wipro) ont également mis la main ces dernières années sur des concurrents, jusque dans des pays développés.

La preuve d’une montée en puissance de l’économie indienne dans le monde ? Ce serait aller vite en besogne !

D’abord parce qu’il faut relativiser ces chiffres. Selon le dernier rapport sur l’investissement dans le monde de la Cnuced, il y a eu en 2005 un montant total de 779 milliards de dollars d’IDE (investissements directs étrangers) : 83 % viennent des pays développés. Alors qu’ils étaient assez négligeables il y a encore 20 ans, les IDE des pays dits en voie de développement ont tout de même atteint un total de 133 milliards de dollars (17 % du total), une somme record pour ces pays, mais où l’Inde, très loin derrière la Corée, Taiwan, Hong-Kong, Singapour, la Chine, le Brésil, l’Argentine, représentait moins de 1 % du total. Les derniers achats dans l’industrie lourde de 2006 et 2007 devraient faire légèrement remonter cette part, néanmoins très modeste.

Ensuite parce qu’en dépit de l’expansion internationale de quelques grands groupes indiens, l’économie indienne reste profondément arriérée et représente seulement 1 % des exportations mondiales. L’ensemble du sous-continent indien ne représenterait toujours que 1,9 % de la valeur ajoutée industrielle mondiale, en augmentation cependant depuis 1990 (1,4 %).

Quelques grandes familles

En revanche, ces achats indiens à l’étranger montrent bien qu’il existe en Inde de puissantes dynasties capitalistes indiennes, remontant parfois très loin dans l’histoire. Le meilleur symbole en est la famille Tata, déjà de grands négociants sous la tutelle coloniale anglaise, les fondateurs de la première aciérie en Inde en 1907. Ces grandes familles, dont beaucoup prospèrent depuis 6 générations, ont pu constituer de grands conglomérats privés à l’ombre de l’État et à l’abri du protectionnisme de la période prétendument socialiste de l’après seconde guerre mondiale.

Depuis l’ouverture au marché des années 1990, ces grandes familles et ces grands groupes indiens jouent leur survie en s’internationalisant eux aussi. Il s’agit selon les cas de s’installer à l’échelle internationale dans des industries lourdes, qui immobilisent parfois des capitaux considérables avec un certain risque sur les profits (l’acier), ou d’acheter des firmes de pays développés qui peuvent leur apporter des compétences technologiques avancées et de s’assurer l’accès à des marchés. Ou encore de mettre la main sur des ressources naturelles : la plus grande firme internationale indienne reste la société pétrolière ONGC, Oil and Natural Gas Corporation, qui comme ses rivales chinoises tente de s’implanter en Afrique ou même en Amérique latine. Compagnie publique, elle n’est pas astreinte à dégager les très gros taux de rentabilité qu’exigent les actionnaires des majors occidentales : elle accepte du coup de négocier avec les États des conditions moins avantageuses pour exploiter les gisements, que n’accepteraient pas forcément les majors.

Le développement international de quelques grands groupes indiens ne saurait donc faire oublier la faiblesse de l’industrie du pays, son arriération technique, son manque de capitaux, sa faible productivité. Mais il révèle à quel point l’économie indienne est dominée par de grands trusts, aux mains d’une poignée de richissimes familles, qui ont bien l’intention de se tailler une place dans le capitalisme mondial.

Il souligne peut-être même un problème de taille pour l’avenir de l’économie indienne. De façon générale depuis quelques années, des pays du Sud sont globalement devenus créditeurs nets des pays développés, alors qu’ils étaient lourdement débiteurs nets dans les années 1980 et 1990. Ce qui veut dire que l’Amérique latine, le Moyen-Orient, l’Inde, la majeure partie de l’Asie dite en développement, exportent des capitaux, sous forme de prêts, d’achats de titres de la dette des États, d’investissements, d’achats d’entreprises, en nombre plus important qu’ils n’en reçoivent des pays développés.

Pour la Corée du Sud ou Taiwan, on peut y voir la manifestation d’un développement économique considérable, d’un assainissement de leurs finances, de la croissance internationale de firmes importantes et très compétitives, d’une « maturation de leur capitalisme ». Mais que dire des émirs du pétrole du golfe persique, richissimes rentiers qui investissent leur fortune non dans leurs pays qui en auraient pourtant bien besoin pour se développer, mais dans le capitalisme plus dynamique des pays riches, dans les entreprises occidentales, dans la dette américaine, sur les marchés financiers des grandes métropoles impérialistes ? Ils cherchent le profit maximal là où ils pensent le trouver, quitte à laisser leur pays croupir dans le sous-développement.

De grandes entreprises indiennes tentent leur chance dans l’arène internationale, sur des créneaux où elles ont une certaine efficacité, comme par exemple les médicaments génériques ou les services informatiques. Mais Mittal, l’un des héritiers d’une des plus grandes dynasties bourgeoises indiennes, a fait le choix d’investir sa fortune personnelle hors du pays. À tel point qu’à la veille du rachat d’Arcelor, il se trouvait bien à la tête d’un grand groupe sidérurgique mondial, Mittal Steel… de droit néerlandais, dirigé de Londres, centré sur l’Europe et les pays de l’ex-URSS, et sans la moindre usine ni le moindre bureau en Inde !

Bernard RUDELLI

Mots-clés Inde , Monde