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Un géant aux pieds d’argile

jeudi 10 mai 2007

Un pays sous industrialisé peut-il devenir une puissance capitaliste mondiale ? Derrière l’image de grands groupes comme Mittal qui ont défrayé la chronique en France, la réalité de l’industrie indienne est toute autre. La part de l’industrie dans le produit intérieur brut de l’Inde stagne autour de 27 % depuis les années 1990, dont 16 % seulement pour le secteur manufacturier, part très faible comparée à celle de la Chine (38 %). Le secteur agricole emploie encore plus de la moitié de la main d’œuvre. Ce n’est donc pas l’industrie, mais le secteur des services qui tire la croissance économique indienne, avec quelques 50 % du PIB.

Le pays, marqué par son passé colonial, compte un nombre très élevé de petites, voire très petites entreprises, qui réalisent près de 40 % de la production industrielle. La petite industrie rassemble 65 % des salariés. Protégée dès l’indépendance, en 1947, elle s’est vue réserver des secteurs entiers comme le textile, les composants automobiles ou encore des produits d’alimentation ou de soins.

L’industrie du textile par exemple, qui constitue le premier secteur industriel avec près de 11 % de la production manufacturière, repose sur 35 millions de personnes travaillant pour une bonne part à domicile. La compétitivité du textile indien tient aux bas coûts de la main d’œuvre surexploitée et de sa matière première, le coton. Les petites ou très petites entreprises travaillant dans cette branche sont bien souvent des sous-traitants de plus grosses qui y trouvent ainsi le moyen de contourner une législation du travail pourtant minimale. Mais l’absence de standardisation qu’implique cette production éclatée est aussi un handicap pour se lancer à l’assaut du marché mondial.

La prédominance des industries traditionnelles se reflète dans les exportations : hormis les productions agricoles, le textile (30,1 % des exportations), et la bijouterie (14,4 %), sont aux premières places.

Seuls îlots de modernité au milieu de cette arriération industrielle : la chimie et la pharmacie. L’Inde s’est spécialisée dans quelques créneaux porteurs, pour lesquels les bas coûts de la Recherche et Développement, liés aux bas salaires des chercheurs, sont un énorme avantage. La législation sur les brevets y est aussi plus souple, permettant de reproduire les molécules déjà existantes. L’Inde est ainsi devenue le premier exportateur mondial de médicaments génériques, principalement à destination des pays pauvres voisins. CIPLA produit par exemple les traitements anti-HIV les moins chers du monde et les laboratoires Ranbaxy ont dépassé le milliard de dollars de chiffre d’affaire et ont acquis le français Aventis en 2004. Mais cette stratégie de « niches technologiques » est pour le moment loin de suffire à tirer en avant l’ensemble de l’industrie indienne. Ces quelques secteurs modernes font plutôt figure d’exception et tous les discours sur l’économie post industrielle, le rôle moteur de l’informatique, ne peuvent cacher que cette faiblesse industrielle est la grande fragilité de l’économie indienne.

Laurence VINON


Une industrie marquée par le colonialisme

En 1700, L’Inde était l’une des deux premières économies mondiales, avec la Chine. Un peu plus d’un siècle après, en 1820, sa part s’était déjà notablement réduite et en 1980 l’Inde, avec 3,4 % du revenu mondial, était complètement marginalisée.

C’est que dès le 17e siècle, la Compagnie anglaise des Indes orientales installa ses comptoirs dans des grandes villes comme Calcutta et Bombay.

La colonisation britannique a stoppé le développement de l’économie locale en la réorientant exclusivement en fonction des besoins de la métropole : déclin de l’artisanat, orientation vers des cultures de rendement destinées à l’exportation, un mode d’industrialisation subordonné aux intérêts de la métropole et soumis aux caprices de la conjoncture mondiale. Lors de la Guerre des Boers, par exemple, la majeure partie du ravitaillement anglais provenait de l’Inde. L’Inde exportait ses biens à l’Empire sans droits de douane mais devait payer lorsqu’elle désirait en importer d’Angleterre. Elle était avant tout un exportateur de matières premières, notamment le jute et le thé dont les Anglais étaient très demandeurs.

L’avancement technologique du pays colonisateur tuera dans l’œuf l’industrialisation du pays colonisé. En 1830, la productivité d’un ouvrier anglais travaillant sur les machines modernes était de deux à trois cents fois supérieure à celle d’un artisan indien pour la qualité de fil la plus fine. Du coup, les importations de textiles britanniques en Inde qui s’élevaient à 13 millions de yards carrés en 1820, s’élevaient à 995 millions en 1870 et 2 050 millions en 1890 [1]. L’industrie textile indienne jadis florissante fut totalement ruinée.

L.V.


[1In L’économie de l’Inde, Jean Joseph Boillot, collection Repères, Éd. La Découverte

Mots-clés Inde , Monde