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Les révoltes qui ébranlent leur monde

Éditorial de Convergences révolutionnaires 139

mardi 15 juin 2021

Un spectre hante le monde des dominants : celui de la révolution sociale. Toutes les puissances du vieux monde capitaliste s’entendent ouvertement ou tacitement pour traquer ce spectre.

Par la répression la plus violente. Des dizaines de morts en Colombie où l’État s’appuie ouvertement sur la pègre pour assassiner, terroriser. En Israël, l’État sème la désolation et la mort au sein des populations palestiniennes de Gaza, plusieurs centaines de morts, tués par les bombardements israéliens, tout en maintenant un étau serré sur celles de Cisjordanie. En Birmanie, les militaires ont pris le pouvoir après des élections dont les résultats ne leur convenaient pas : la répression brutale de la mobilisation de la jeunesse qui a suivi le coup d’État a fait plus de 500 morts.

Internement et torture des opposants sont les modes de gouvernement de pays comme la Biélorussie. Même dans les pays prétendument démocratiques, on réprime brutalement dès que les pauvres relèvent la tête. En France, on ne compte plus les éborgnés, les estropiés par les brutalités policières lors du mouvement des Gilets jaunes, mais aussi depuis. Parmi les pauvres est entretenu un climat de peur, comme aux États-Unis, où l’arrivée au pouvoir de Biden n’a pas fait cesser le meurtre de Noirs par des policiers racistes conscients d’agir en toute impunité.

L’extrême droite donne le ton aux dominants sur fond de crise sanitaire et économique

Partout l’extrême droite cherche à donner le ton et y réussit en partie. Elle est parfois clairement au pouvoir – comme en Russie, en Turquie, en Hongrie, au Brésil – ou prospère à l’ombre d’un gouvernement ultraréactionnaire, comme hier encore aux États-Unis. Mais même où elle n’y est pas, parmi les partis institutionnels, c’est à qui cherchera le plus à la concurrencer sur les thèmes qui lui sont chers – la prétendue insécurité artificiellement liée à l’immigration. Les partis « démocratiques » qui gouvernent usent et abusent des moyens que leur confère le pouvoir pour flatter tout ce que leur pays compte de réactionnaires, comme ici avec la toute dernière loi sur le « séparatisme » ou la volonté affichée de combattre l’« islamo-gauchisme »…

S’ils cultivent ces idées-là, c’est pour tenter de diviser le monde du travail, car, derrière, il y a l’exploitation de plus en plus féroce des travailleurs par les possédants. Pour permettre aux nantis du monde entier de siroter leurs cocktails au bord de piscines ombragées et de se pavaner à bord de leurs grosses autos, que l’économie se porte bien ou mal, des milliards de pauvres sont mis à contribution sur toute la planète pour les servir et, surtout, produire les richesses dont ils ne verront jamais la couleur.

Partout, la bourgeoisie est à l’offensive pour durcir les conditions de travail, réduire les salaires, ponctionner sur les services publics – transports, éducation, santé – de quoi arroser les entreprises capitalistes, en réalité leurs actionnaires. C’est particulièrement vrai aujourd’hui où, partout, l’« aide publique » coule à flots vers les entreprises pour leur permettre de réorganiser, de se moderniser et de licencier pour être demain aux premiers rangs dans la concurrence qui accompagnera la reprise économique.

Mais ça branle dans le manche !

L’année 2019, celle qui a précédé la pandémie, avait été l’année des révoltes dans le monde. Du Chili, où les étudiants ont mis le feu aux poudres en s’insurgeant contre une augmentation du prix des transports, à Hong Kong, où la population refuse d’être mise au pas par le régime dictatorial chinois, en passant par le Hirak en Algérie, la grande vague de révolte a été contenue par le confinement de la planète pendant plusieurs mois. Mais, même pendant ce confinement, la colère est descendue dans la rue, comme au Liban dont les classes populaires se sont insurgées contre la prétention d’un gouvernement incapable de pourvoir aux besoins les plus élémentaires, de créer une nouvelle taxe… sur les réseaux sociaux ! La crise sanitaire a durement touché les classes populaires, et c’est loin d’être terminé avec la crise économique qu’elle a déclenchée. En France comme dans bien d’autres pays, l’épidémie et ses confinements ont momentanément étouffé bien des mouvements de riposte aux attaques patronales. Mais ils auraient toutes les raisons de resurgir dès la rentrée de septembre.

Actuellement, en Colombie, la répression n’a pas enrayé le mouvement d’une jeunesse désespérée qui tient tête aux forces de répression, à la pègre qui a été mobilisée contre elle et qui tue impunément. En Israël, le gouvernement a dû faire face, cette fois, à la révolte de la population arabe vivant dans le pays même et de sa jeunesse, la révolte de ceux qui sont officiellement citoyens israéliens, mais de seconde zone. En Birmanie, les militaires ont vu se dresser contre leur coup d’État les travailleurs des usines et des quartiers pauvres des deux plus grandes villes du pays.

Réaction et révoltes : des croissances parallèles

Il ne faut voir nul paradoxe dans la montée des idées d’extrême droite d’un côté et les révoltes populaires de l’autre. Toutes les explosions sociales, à fortiori les montées révolutionnaires, s’accompagnent de la mobilisation des couches les plus réactionnaires. Ce fut vrai pendant la Commune de Paris, ce fut aussi le cas de la Révolution russe qui éclata en pleine boucherie, quand le monde était embourbé dans l’horreur des tranchées et des massacres de masse sous la houlette de la soldatesque de tous les pays.

La lutte des opprimés pour leur émancipation ne se développera pas dans un climat serein. La bourgeoisie est prête à tout pour défendre et étendre ses privilèges. Elle l’a montré dans les guerres de conquêtes coloniales, dans les massacres de deux guerres mondiales où les morts se sont comptés par dizaines de millions. Elle l’a montré depuis dans d’innombrables conflits meurtriers et plusieurs génocides.

Que manque-t-il ?

Les révoltes se multiplient et se répandront sans doute encore dans les mois qui viennent, car les capitalistes poursuivront leur offensive tant qu’ils ne se heurteront pas à une résistance conséquente et suffisamment coordonnée pour qu’ils prennent peur. Mais, à elles seules, les révoltes ne permettront pas aux opprimés de renverser leurs oppresseurs. Il faut, pour cela, une action consciente de la classe ouvrière. Et c’est bien ce qui manque aujourd’hui, partout dans le monde.

En Colombie, la révolte culmine à Cali, la capitale industrielle du pays. Les révoltés tiennent les « premières lignes », mais les secteurs industriels ne bougent pas. Pas encore. Comme ici, toutes proportions gardées, le mouvement des Gilets jaunes avait envahi la « première ligne » des ronds-points, mais n’avait pas débordé dans les entreprises, où il a parfois même suscité une certaine défiance de la part de la classe ouvrière industrielle.

Partout, ce sont les classes populaires – le prolétariat au sens large, au sens de Marx : ceux qui ne possèdent que leurs bras – qui constituent les troupes des révoltes. Les objectifs qu’elles se donnent sont marqués de leur empreinte sociale. Mais, même quand ces objectifs sont politiques, ils restent limités, mettant en avant, par exemple, la convocation d’une assemblée constituante, sans poser la question des relations de classe et permettre ainsi aux révoltés de trouver la voie pour aller de l’avant. En Algérie, les classes populaires ont indiscutablement prouvé qu’on ne leur faisait pas prendre des vessies pour des lanternes et des demi-mesures pour la satisfaction de leurs aspirations démocratiques. Elles savaient que, tant que « le système » restait au pouvoir, tout pourrait revenir comme avant. Mais le mouvement n’a pas réussi à trouver les moyens à la hauteur de la volonté de faire « dégager » la clique au pouvoir parce que le lien avec la lutte pour que la bourgeoisie « dégage » n’est pas une évidence. Du coup, aidé par le confinement, bien que le Hirak n’ait sans doute pas dit son dernier mot, le nouveau régime espère tout faire revenir comme avant, comme l’a fait avant lui Sissi en Égypte.

Partout, des militants révolutionnaires s’efforcent de donner des réponses aux mobilisations. Et, à l’heure où, ici, la gauche institutionnelle s’est totalement discréditée auprès de monde du travail, c’est l’indépendance politique complète de la classe ouvrière qui doit servir de boussole. Mais comment la garantir, comment trouver les objectifs permettant d’avancer ? Beaucoup de groupes révolutionnaires possèdent une certaine implantation dans les entreprises qui leur permettrait de trouver les voies nécessaires. Mais encore faut-il disposer de bien d’autres expériences. Le parti bolchévique n’en avait pas manqué. D’abord parce qu’il s’était formé dans une grande internationale ouvrière. Ensuite parce que, même lorsque celle-ci a failli, les échanges se sont poursuivis parmi ceux qui n’avaient pas sombré dans l’union sacrée avec la bourgeoisie.

À l’heure où le prolétariat engage le fer dans de nombreux pays, nous avons donc besoin d’un cadre de discussion international permettant d’échanger et débattre pour trouver les voies d’une autre politique à proposer aux classes populaires en révolte que celles qui conduisent à l’échec et aux défaites.

Mots-clés Monde