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Témoignage : Lucas Villa, le visage de la révolte colombienne

mercredi 12 mai 2021

Un manifestant blessé gravement et décédé lundi 10 mai à 23 h 28 devient le symbole de l’injustice et de la violence de l’État bourgeois colombien. Lucas Villa, professeur de yoga et étudiant en reprise d’études représentait la joie de vivre et l’envie de fraternité de tout un peuple. La vague d’indignation et de sidération laisse aujourd’hui la place à des questions : que doit-on faire face à la violence de l’état et des classes dirigeantes ? Nous avons recueilli le témoignage d’un de ses camarades par téléphone à travers une application cryptée.

H. vient d’avoir 22 ans il habite Pereira dans le centre du pays où il poursuit ses études. Il y a quelques jours, l’un de ses camarades de classe et ami en reprise d’études, Lucas Villa, 37 ans a été blessé par huit coups de feu sur le Viaduc Cesar Gaviria, il était accompagné d’un autre camarade Andres Felipe Castaño, il a reçu quatre balles lui aussi. Ils avaient été quelque peu imprudents : « Nous lui avions dit de ne pas s’attarder après la manif, car la police attend qu’on soit isolés pour nous attraper ».

Mais Lucas Villa était quelqu’un qui faisait confiance aux autres, il n’arrêtait pas de parler d’amour, de pacifisme, raconte H. Il était professeur de yoga et il montait dans les bus afin d’expliquer aux gens les raisons des manifestations. C’est ça qui fait le plus mal, dit-il, la voix tremblante. Il n’arrêtait pas de danser dans le cortège, il allait faire des câlins aux soldats et leur dire de baisser les armes car nous sommes tous frères. C’est ça qui est le plus douloureux, répète H. car on se dit que même des gens comme ça... qui font du bien aux autres, qui parlent et expriment ce qu’ils ressentent, même eux ne sont pas épargnés par leur violence.

H. est fatigué, physiquement et psychologiquement, au moment où il restitue les événements, Lucas est en soin intensifs mais il est vivant, et c’est le plus important. Il apprendra le soir même par un coup de téléphone, avant même de regarder les informations que Villa a été déclaré en mort cérébrale. Il a beaucoup pleuré.

Puis il nous a parlé de la peur, des insomnies dont souffrent ses camarades et lui-même. « On ne sait plus à qui faire confiance... quand on est dans la rue, on est en plein parano, on n’ose pas dire où on va, ce qu’on fait... on ne dort pas... on a peur qu’on vienne nous chercher... » Il décrit la terreur dans laquelle ils sont plongés. Il dit « la bourgeoisie veut nous avoir par l’usure psychique... qu’on ne puisse pas penser... ils veulent nous terroriser ». Son camarade Villa a été blessé en s’approchant d’une voiture qui offrait de la nourriture sur le viaduc. Ici, dit H, les gens sont solidaires, ils donnent à manger et à boire aux gens qui protestent. Villa s’est approché de la voiture, il a remercié celui qui offrait de quoi manger et c’est là qu’ils ont été blessés gravement, ils ont été pris par surprise, piégés.

Le lendemain, chez lui, H. a entendu des coups de feu devant sa maison. Il a d’abord cru que cela n’avait rien à voir avec ce qui s’était passé. Mais, le lendemain, les mêmes tirs presque devant sa porte. « J’ai compris qu’il s’agissait d’un avertissement... » Alors, il a appelé sa sœur, les routes sont barrées et les contrôles de la police font courir un danger à tous ceux qui pourraient être identifiés comme des sympathisants des mobilisations en cours. Il a heureusement réussi à rentrer dans sa famille. Il dit qu’il se cache, jusqu’à ce que les choses se calment. Il craint pour lui et pour ses camarades et amis. « Ils ont suivi un ami jusqu’à chez lui... il s’est fait tabasser... on l’a laissé dans un état déplorable... » Le Viaduc est désormais le Viaduc Villa, dit H. il se pose des questions sérieuses ces derniers temps, il parle de stratégie, d’organisation. « Il faudrait qu’on soit plus organisés... ce viaduc... on se fait toujours avoir là-bas... mais personne ne veut encore assumer cette direction... » En effet dit-il, « prendre cette responsabilité, c’est accepter de devenir une cible vivante ». Il craint la violence, la répression, mais ce dont il a le plus peur, c’est que la mobilisation s’arrête, que tout puisse redevenir comme avant.

Mots-clés Colombie , Monde
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