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La victoire électorale des indépendantistes en Écosse : un succès sans lendemain ?

lundi 10 mai 2021

(Photo : portrait officiel de Nicola Sturgeon, première ministre écossaise. Source : https://www.gov.scot/about/who-runs...)

Les élections qui se sont déroulées le 6 mai dernier en Angleterre, au pays de Galles et en Écosse avaient des enjeux très différents. En Angleterre il s’agissait d’élections locales, type cantonales, alors qu’au pays de Galles et en Écosse elles avaient pour objet de désigner les députés aux parlements locaux, le Senedd Cymru à Cardiff et le Holyrood à Édimbourg.

Dans l’ensemble les candidats conservateurs s’en sont plutôt bien sortis, en gagnant des sièges en Angleterre – dont un ancien bastion travailliste du nord-est du pays – et en se maintenant au pays de Galles et en Écosse. Les travaillistes sont partout en recul, même si au pays de Galles ils conservent la majorité à la Chambre du fait du mode de scrutin. En Écosse, qui était jusqu’au début des années 2 000 un fief travailliste, ils arrivent en troisième position, très loin derrière les nationalistes du Parti national écossais, le SNP (Scottish National Party) et les conservateurs.

Pour rester en Écosse, les observateurs s’intéressaient surtout au score qu’obtiendraient les partisans de l’indépendance. En fait les formations qui avaient fait ouvertement campagne sur ce thème obtiennent la majorité des voix et des sièges. Le SNP à lui seul remporte 64 des 129 sièges en jeu et les Verts – qui eux aussi s’étaient prononcés pour la rupture avec l’Angleterre – 8 sièges. Un résultat qui ne peut guère étonner. Au cours des dernières années, plus d’une vingtaine de sondages d’affilée donnait une majorité aux partisans de la sortie du Royaume-Uni.

En 2016, 62 % des Écossais contre la rupture avec l’UE

En septembre 2014 pourtant un référendum sur la question avait montré que 55 % des Écossais étaient hostiles à une telle perspective. Que s’est-il passé depuis ? Il n’y a eu ni radicalisation de l’électorat écossais, ni mouvements sociaux d’envergure. Par contre, il y a eu le référendum sur le Brexit de juin 2016, qui avait vu 62 % des Écossais se prononcer contre la rupture avec l’Union européenne. En effet l’UE est assez populaire en Écosse, car ce sont les fonds européens qui ont permis l’extension du pont d’Aberdeen, le lancement d’une industrie des énergies renouvelables ou la modernisation d’infrastructures et de certaines criées comme celles de Peterhead. De même ces fonds ont financé des projets de reconversion dans des régions en cours de désindustrialisation comme celles de la Clyde et de Port Glasgow. De plus les agriculteurs des hautes terres utilisent chaque année une main-d’œuvre venue d’Europe de l’Est et les universités ont largement fait bénéficier leurs étudiants du programme Erasmus. Enfin le secteur des services financiers et commerciaux – qui emploie près de 300 000 personnes – craignait que la rupture des liens avec l’UE lui ferme le marché européen. La victoire des Brexiters a donc conduit nombre d’électeurs d’Écosse à basculer dans le camp indépendantiste par opposition à Londres.

Et maintenant

Dès l’annonce des résultats, la Première ministre écossaise, Nicola Sturgeon, a estimé qu’il serait honteux que Boris Johnson refuse à l’Écosse un second référendum sur l’indépendance. Et si c’est le cas, elle promet, après la fin de la pandémie, une rude bataille devant les tribunaux constitutionnels.

Son projet principal est de faire ré-adhérer une future Écosse indépendante à l’Union européenne comme membre de plein droit. Ce qui ne l’empêcherait nullement, selon elle, de continuer à reconnaitre la reine comme chef de l’État, de rester dans le Commonwealth, voire, pendant une « période transitoire » non définie, d’avoir la livre sterling comme monnaie. De plus le SNP a longtemps affirmé que, dans la mesure où la plupart des puits d’hydrocarbures forés en Mer du Nord se trouvaient dans les eaux écossaises, l’or noir permettrait d’équilibrer le budget du nouvel État. Mais le déclin de la production dans cette région et le tournant affiché vers une « économie verte » l’ont conduit à mettre la pédale douce sur ce point. Désormais il vante la nécessité de favoriser les énergies renouvelables – que l’on pourrait produire facilement grâce aux façades maritimes écossaises – ainsi que les activités non polluantes. Ce qui ne mange pas de pain.

Dans les faits, sous la houlette de Nicola Sturgeon et de ses amis, une Écosse indépendante ressemblerait bigrement à l’Écosse d’aujourd’hui et ne changerait pas grand-chose au sort des classes laborieuses.

À gauche, rien de nouveau

Si, sur sa droite, Sturgeon n’a pas grand-chose à craindre des conservateurs, elle n’a pas non plus de véritables adversaires à gauche. Les travaillistes, en constant déclin, ont largement perdu l’appui de la classe ouvrière et des milieux populaires qui les avaient soutenus pendant des décennies, mais aussi celui d’une partie de la bureaucratie syndicale, regroupée dans le Scottish Trades Union Congress (STUC, Confédération syndicale écossaise) qui aujourd’hui, sans se prononcer sur l’indépendance, appuie la tenue d’un second référendum sur la question.

Quant à la gauche un peu radicale – regroupée dans des mouvements comme « Now Scotland » (Maintenant l’Écosse) et « All under one banner » (Tous sous un seul drapeau) – elle ne brille pas par son opposition de classe au SNP. La critique principale que ses membres adressent à la direction du SNP et au gouvernement local écossais est de ne pas aller assez vite dans la voie de l’indépendance, de tergiverser et de ne pas rompre ouvertement avec Boris Johnson. Ils promettent que la future Écosse sera féministe, écologiste et égalitaire mais n’expliquent guère comment parvenir à ce but, sauf à préconiser des manifestations de rue massives qui s’inspireraient des « grèves pour le climat » et du mouvement de « Black Lives Matter ». Cela ne va pas très loin. En outre certains, influencés par le Parti socialiste des travailleurs (SWP) britannique, sont un peu gênés aux entournures dans la mesure où, lors du référendum sur le Brexit, ils avaient fait campagne pour le « oui » en prônant un « brexit de gauche » (le leftxit), supposé permettre aux travailleurs de se défaire du carcan de l’Union européenne libérale. C’est d’ailleurs pourquoi ils s’indignent aujourd’hui de la volonté affichée de Nicola Sturgeon de rejoindre l’UE, geste qu’ils considèrent comme « une trahison ». Une pantalonnade.

Le temps des illusions

Aujourd’hui nul n’a le droit de refuser aux Écossais de se séparer du Royaume-Uni si telle est leur volonté. Mais l’indépendance qu’ils appellent de leurs vœux, plus sans doute par dépit que par conviction, risque fort d’être un mirage qui ne résoudra en rien leurs problèmes. Car la question, pour les travailleurs écossais comme pour ceux du Pays de Galles, d’Irlande du Nord et d’Angleterre, est d’abord et avant tout de renverser la bourgeoisie qui constitue une seule classe sur l’ensemble du pays et qui exploite sans préjugé aussi bien le cheminot de Cardiff que l’ouvrier agricole des Highlands, le métallurgiste de Birmingham que le charpentier de Derry. Et faire éclater le Royaume-Uni ne sera un pas en avant que si on le remplace par une véritable union des masses laborieuses des îles britanniques.

9 mai 2021, Jean Liévin

Mots-clés Monde , Royaume-Uni
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