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Quand la gauche donnait les pleins pouvoirs à l’armée en Algérie…

lundi 3 mai 2021

Lorsque la guerre d’Algérie commence, l’armée française sort à peine de la guerre d’Indochine. Elle passe d’une guerre à l’autre.

Trois jours après une série d’attentats initiés par le FLN le 1er novembre 1954, le ministre de l’Intérieur, un nommé Mitterrand, à l’époque homme politique du centre, celui que Mélenchon considère aujourd’hui comme son modèle, clamait : « la seule négociation c’est la guerre. » Les troupes revenues du Viêt-Nam sont déployées en Algérie. On rappelle sous les drapeaux, pour les envoyer à la guerre, une partie des jeunes qui avaient déjà fini leur service militaire (obligatoire à l’époque). Mais le plus gros des troupes, c’est un an plus tard, un gouvernement qui se dit de gauche qui va les envoyer.

Lors de l’élection législative de janvier 1956, le Parti socialiste qu’on appelait alors la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière), se présente à la tête d’un « Front républicain », alliance de socialistes et de centristes. Cette coalition promet notamment la paix en Algérie. Elle fera le contraire. Le PCF s’était présenté seul, les socialistes ne voulant pas de lui : c’était encore la période de la « guerre froide ». C’est pourtant grâce au vote des députés communistes (150 députés, 26 % des voix aux législatives) que le dirigeant du Parti socialiste, Guy Mollet, dont la coalition n’avait pas la majorité au Parlement, devient chef du gouvernement.

Durant la campagne électorale, Guy Mollet qualifiait le conflit en Algérie d’« imbécile et sans issue ». Il s’empresse de remballer son slogan face à la droite et à l’armée. Accueilli à Alger le 6 février par une pluie de tomates et de pierres lancées par les « ultras » de « l’Algérie française », il tourne casaque. Puis le 12 mars 1956, il demande au Parlement « les pleins pouvoirs en Algérie » en ces termes : « Le gouvernement disposera en Algérie des pouvoirs les plus étendus pour prendre toutes les mesures exceptionnelles commandées par les circonstances, en vue du rétablissement de l’ordre, de la protection des personnes et des biens et de la sauvegarde du territoire. »

Ces pleins pouvoir lui sont votés, là encore, grâce aux voix des députés communistes.

Les pouvoirs spéciaux accordés par Guy Mollet à l’armée

C’est à l’armée que Guy Mollet allait transmettre les pouvoirs spéciaux qu’il venait de se faire accorder : celle-ci obtenait des pouvoirs de police. Des unités de troupes aéroportées par hélicoptères allaient être formées pour fondre sur les villages. L’aviation allait utiliser le napalm pour brûler les récoltes et forêts, raser les villages où l’on suspectait des rebelles de se cacher. Des centaines de milliers d’Algériens allaient être déplacés de leurs villages vers dans des camps de regroupement où l’on pouvait étroitement les surveiller.

Pour mener cette guerre, il fallait des hommes. En 1955 on avait envoyé les « rappelés ». En 1956 on envoyait tout « le contingent », c’est-à-dire tous les jeunes du service militaire. La durée de ce service passait de 18 à 27 mois.

Dans l’équipe gouvernementale de Guy Mollet se trouvait encore François Mitterrand au poste, cette fois, de ministre de la Justice. C’est lui qui signait la loi de mars 1956 donnant tout pouvoir aux militaires en matière de justice sur le sol algérien. Liberté aux parachutistes et autres légionnaires d’agir à la fois comme policiers et comme juges vis-à-vis des populations algériennes : c’était un feu vert à la torture, aux exécutions de prisonniers. Et sur quarante-cinq militants algériens condamnés à mort, Mitterrand ne donne un avis favorable à la grâce que pour sept d’entre eux. Grâce qu’il refuse à Fernand Iveton, un Pied-Noir membre du Parti communiste algérien et soutien du FLN, exécuté en 1957.

Le PCF contre l’indépendance et pour la guerre

Pour le PCF qui, fin 1955-début 1956 réclamait encore l’ouverture de négociations, il n’était pas question de gêner le gouvernement. La décision de Guy Mollet d’envoyer les jeunes du contingent – pour l’essentiel des jeunes travailleurs – combattre en Algérie allait susciter des résistances. Un premier mouvement avait déjà eu lieu durant l’année 1955, avec les refus de partir de « rappelés ». En 1956, selon une note du ministère de l’Intérieur, un train d’« appelés » du contingent sur cinq faisait l’objet de troubles au printemps 1956 : chahuts, tenues débraillées, bagarres, refus de monter dans le train ou d’embarquer à Marseille. Mais en 1956, même si de nombreux membres des Jeunesses communistes étaient parmi les protestataires, la direction du PCF les laissa tomber. Au contraire elle décourageait ses propres militants de participer aux manifestations et leur conseillait de partir à la guerre.

Des manifestations et des résistances s’organisent hors du PS et du PCF

En 1958, un décret du gouvernement supprima toutes les mesures de report d’incorporation militaire à 25 ans dont bénéficiaient les étudiants, ce qui fit basculer une partie d’entre eux du côté de ceux, minoritaires jusque-là, qui s’opposaient à la guerre. Le 27 octobre 1960, le syndicat étudiant, l’Unef, organisait une grande manifestation au Quartier latin à Paris, réunissant plusieurs milliers de manifestants aux cris de « Paix en Algérie ! On n’ira pas ! » ou encore « Les paras à l’usine » que la police s’efforça de disperser à coups de matraque. La gauche n’était déjà plus au pouvoir, De Gaulle avait pris le relais. Mais le Parti communiste a tout fait pour dissuader les étudiants d’y participer, les Jeunesse communistes organisant de petits rassemblements en banlieue pour empêcher le rassemblement parisien.

Notons à ce propos que si la guerre d’Algérie a marqué pour des années la faillite de la gauche, même de la gauche bourgeoise qu’était le Parti socialiste, et le début de la déconfiture du PCF, ce fut pour quelques poignées de militants communistes et socialistes l’heure de vérité, qui les a conduits à rompre avec ces partis et qui a marqué le début de l’émergence d’une gauche communiste révolutionnaire en France.