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La mémoire du passé, pour nourrir les luttes du présent

jeudi 29 avril 2021

Malgré sept ans et demi de guerre ouverte et meurtrière, ponctuant plus d’un siècle de colonisation, qui ont bouleversé aussi bien l’Algérie que l’ex-puissance coloniale française, le brassage de population entre les deux pays n’a pas cessé jusqu’à aujourd’hui. Parce que les immigrés algériens ont des enfants mais aussi parce que l’immigration, déjà importante dans l’entre-deux-guerres, a continué.

En dépit de ce lourd passé, les Algériens sont le groupe issu de l’immigration le plus représenté en France, tandis qu’environ 80 % des Algériens qui ont émigré vivent sur le sol français. Malgré l’extrême complexité des statistiques, et de ses biais concernant les origines et les nationalités, il est possible d’estimer qu’il y aurait aujourd’hui en France sept millions de personnes d’origine algérienne.

L’immigration algérienne en France, ancienne et spécifique

Comme d’autres, elle a été une immigration de prolétaires, assignée aux tâches les plus pénibles pour servir les intérêts du patronat français, et soumise aussi à des mesures particulières. Contre elle s’est dressé un racisme d’État nourri jusqu’à aujourd’hui par l’esprit revanchard d’une partie de la bourgeoisie française contre celles et ceux qui ont eu l’outrecuidance de lui tenir tête, de chasser les colons et d’arracher leur indépendance par un rapport de force courageusement imposé.

Si les accords d’Évian donnaient momentanément aux travailleurs algériens et à leurs familles en France un statut particulier qui leur permettait de circuler librement et leur accordaient pendant cinq ans après l’indépendance le droit d’acquérir la nationalité française (ce que seul 1 % d’entre eux fera), l’État français n’a pas cessé de les contrôler, de les sélectionner, de chercher à se venger. Malgré une installation durable, génération après génération, les ascensions sociales sont demeurées précaires et le racisme bien solide. Face à cela, une partie militante de travailleurs algériens en France s’est organisée et a pris part à des luttes, souvent aux côtés d’autres travailleurs maghrébins, parfois aux côtés de travailleurs français : pour combattre l’exploitation mais aussi pour combattre la persistance de rapports quasi coloniaux, enracinés dans des lois ou des habitudes héritées du passé.

Après 1962, sur le papier, la circulation est « libre », il n’y a donc pas eu de la part des patrons ces « recrutements sur place », à l’instar de ceux pratiqués notamment au Maroc, avec visites médicales sinistres, qui désignaient les candidats aptes ou pas à venir s’asphyxier dans les mines françaises. La première « politique de l’emploi » du nouvel État algérien fut de ne rien faire pour entraver ces départs qui permettaient des transferts d’argent intéressants pour une économie en difficulté. L’immigration algérienne a donc continué d’être une immigration prolétaire, même après l’indépendance, en raison du legs de misère laissé par l’ex-colonisateur et de son acharnement à rester bon usurier par des liens de dépendance économique. Ainsi, jusqu’à la fin des mal nommées Trente Glorieuses, plus de 90 % des Algériens en France étaient ouvriers, dans le bâtiment, l’automobile, la sidérurgie ou dans l’agriculture comme ouvriers agricoles. Des ouvriers spécialisés, sans perspective de carrière et aux salaires ridicules, et qui devaient absolument travailler sous peine d’être envoyés en centre de rétention.

L’État français chercha à contrôler cette immigration, jugée trop sauvage, à coups de quotas trimestriels et de certificats de résidence. Il fallait surtout éviter que trop de familles ne viennent. Des circulaires spécifiques sur les Algériens ont plu de 1964 à 1970 : ceux qui voulaient faire venir femmes et enfants d’Algérie devaient prouver qu’ils disposent d’un logement correct, avec des normes de surface et de confort précises. Une sinistre blague à une époque où la plupart des travailleurs algériens habitaient des taudis, des cités de transit boueuses, des hôtels-meublés insalubres, des foyers de travailleurs ou encore des bidonvilles comme à Nanterre où ils furent jusqu’à 14 000 à être entassés. Ces circulaires discriminatoires empêchaient les familles de se regrouper.

Fin 1973, l’État algérien de Boumediene, qui s’est affirmé deux ans auparavant par la nationalisation du pétrole, décide de suspendre l’émigration vers la France. Il prend prétexte du contexte anti-algérien qui règne en France à l’époque, marqué par des attentats à la bombe contre le consulat d’Algérie à Marseille ou des cafés maghrébins, mais aussi par des meurtres racistes, pour certains perpétrés par Ordre nouveau (qui donnera le FN), d’anciens de l’OAS, des harkis et des Pieds-Noirs. Le racisme est excité par des discours de politiciens ou de médias sur le caractère inassimilable des Algériens. Ces crimes, bien sûr dénoncés par les organisations d’extrême gauche, ne seront pour la plupart pas condamnés.

Un an plus tard, Valéry Giscard d’Estaing emboîte le pas à Boumediene en suspendant officiellement l’immigration, façon de tenter de légitimer le racisme ambiant, de faire un lien entre la crise économique et l’immigration, bref de laisser croire que les immigrés voleraient le boulot des Français. Et l’extrême droite, puis la droite, puis une partie de la gauche de s’illustrer – chacune avec son style – par ce mensonge. En tout cas, le contrôle des immigrés s’intensifie alors même que les dérogations dans tel ou tel secteur se multiplient dès qu’elles arrangent les patrons.

Si les deuxièmes et troisièmes générations d’immigrés connaissent une petite ascension sociale, notamment les filles dans le secteur du médico-social, ces générations occupent tout de même des emplois plus précaires que la moyenne nationale. Au début des années 1980, les immigrés algériens seront encore ouvriers pour 75 % d’entre eux, malgré le déclin des emplois dans l’industrie. Et n’en déplaise à la politique d’incitation au « retour » de l’Etat français, l’implantation durable, la présence des enfants qui parfois ne parlent pas arabe ou tamazight, une politique du FLN qui déçoit en Algérie, contribuent à faire rester en France. Il faut dire que dans les années 1980 et 1990, la jeunesse algérienne subit de plein fouet la situation économique, d’un côté comme de l’autre de la Méditerranée, surtout dans les villes algériennes où une nouvelle bourgeoisie empoche la rente pétrolière et profite des privatisations tandis que le chômage augmente pour les classes populaires.

Aujourd’hui, dans une France qui contrôle sévèrement l’immigration, des Algériens obtiennent encore quelques visas, pour étudier surtout. Mais d’autres sont des « harragas » (littéralement ceux qui brûlent leurs papiers), c’est-à-dire des jeunes hommes qui tentent de quitter l’Algérie en barque au péril de leur vie. Ce mouvement qui avait ralenti pendant le Hirak, a repris de plus belle depuis mars 2020. Pour le seul mois de janvier 2021, une ONG a comptabilisé 75 disparus en mer venus d’Algérie dans six embarcations.

Une immigration marquée par ses luttes

Sur la question importante des logements, de 1975 à 1980, les foyers Sonacotra, lieu d’encadrement et de surveillance des travailleurs immigrés quasiment assignés à un statut de célibataires, furent le terrain de luttes combatives pour baisser les loyers, exiger des conditions de vie salubres, la reconnaissance des comités de résidents et la fin des contrôles racistes et même, cerise sur le gâteau, le renvoi des directeurs racistes, souvent d’anciens officiers pendant la guerre d’Algérie.

Une autre insubordination, celle-là plus fondamentale contre les patrons, fut celle des grèves en tant qu’OS (ouvriers spécialisés) dans les années 1970 et 1980. Des grèves que des travailleurs immigrés ont déclenchées eux-mêmes, soutenus par les maos dans l’immédiat après 68 et ensuite par d’autres courants d’extrême gauche et des militants syndicaux combatifs, avec malheureusement bien peu de soutien des bureaucraties syndicales – et ne parlons pas des « amicales », relais gouvernementaux des pays d’origine. Des grèves pour de meilleurs salaires, mais aussi pour la dignité ouvrière, pour ne pas être condamnés à vie aux boulots les plus durs et les plus mal payés. Ces travailleurs ont marqué de leur détermination bien des luttes dans le bâtiment, les mines ou l’automobile dans les années 1980 et 1990, où les socialistes au pouvoir ont tenté de les stigmatiser comme manipulés par les ayatollahs – ce qui était pure fantaisie.

Grands-pères, pères et fils ou filles, ces prolétaires sont toujours là

Comme les autres, ils ont changé de look au fil des décennies : on les trouve aujourd’hui davantage dans des boulots précaires, dans la santé ou le social – ou dans les rangs des chômeurs – que dans de grandes concentrations ouvrières… qui ont fondu. Entre eux et leurs camarades « Français de souche » (si ça existe !), il reste bien des barrières à abattre… En France d’une part, mais aussi entre les deux rives de la Méditerranée, pour rapprocher les combats des uns et des autres. Un courant de sympathie réciproque s’est manifesté à l’occasion du mouvement des Gilets jaunes et de celui du Hirak. Rapprochements et solidarité naissent dans les combats communs.

Dans son rapport, Benjamin Stora propose entre autres à Macron d’encourager la préservation des cimetières européens en Algérie ainsi que des cimetières des harkis « morts pour la France ». Pour notre part, nous sommes plutôt intéressés par les vivants, et bien évidemment ceux de notre classe. À l’heure de la loi sur le séparatisme qui, sous ses apparences de chasse aux musulmans, désigne tous les « musulmans d’apparence » (supposés l’être) comme des dangers potentiels, notre tâche d’internationalistes est importante. Ce n’est pas le gentil rapport de Stora à Macron qui va nous aider à envoyer au cimetière des antiquités tous les restes de ce passé colonial, mais l’organisation et la victoire d’une lutte de classe internationale, par-delà les frontières.

Mots-clés Algérie , Monde
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