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La guerre d’Algérie et ses suites : non, on n’oublie pas !

jeudi 29 avril 2021

Nous publions les présentations de la réunion-débat organisée sur Zoom le 18 avril par Convergences révolutionnaires.

C’est au dernier moment que Jean Castex a annulé la visite à Alger qui devait avoir lieu dimanche dernier 11 avril. Covid oblige, a-t-on dit du côté français. Mais du côté algérien, on était moins dupe. Et au chapitre des frictions et du recul de la visite, la presse algérienne a évoqué entre autres la question du soutien apporté par Macron à la domination du Maroc sur le Sahara occidental. Sans compter les fortes odeurs de pétrole qui imprègnent les relations franco-algériennes. Les motivations du rapport dit « mémoriel », commandé par Emmanuel Macron à l’historien Benjamin Stora, flairent également le fuel – et à plein nez quelques autres intérêts économiques. On effacerait tout ? On pardonnerait les crimes du colonialisme ? Et vogueraient les affaires ?

L’histoire commune des deux pays, tachée de sang, a commencé par une conquête coloniale, des massacres de populations, des enfumades pour les asphyxier, des expropriations de terres… Cent trente ans plus tard, le peuple algérien obtient son indépendance au prix de sept ans et demi de guerre dont il paiera le prix fort : un million de morts sur une population, à l’époque, de neuf millions au total sur le sol algérien. Si l’Algérie est désormais indépendante, ses liens avec la France demeurent. Des liens entre les exploités de part et d’autre de la Méditerranée, dont le sort est fortement lié et de multiples façons à cette histoire commune, mais aussi des liens entre deux États, et derrière eux leurs bourgeoisies qui cultivent des relations à la fois économiques et politiques.

Il y a beaucoup de choses, dans ce rapport Stora et entre ses lignes

Dès sa campagne électorale de 2017, Macron souhaitait faire un geste en qualifiant le système colonial de « crime contre l’humanité ». Face aux protestations immédiates et véhémentes de la droite et de l’extrême droite françaises, il faisait marche arrière sur la pointe des pieds et ne parlait plus de repentance ou de pardon, mais de « mémoire partagée » : les crimes des uns contrebalançaient les crimes des autres, et les souffrances des Algériens étaient mises sur le même pied que le mal de vivre des Pieds-Noirs rapatriés.

Par petits « gestes » successifs, Macron reconnaissait certes l’implication de l’État français dans la mort du militant Maurice Audin, communiste pied-noir torturé et assassiné pour avoir pris fait et cause pour l’indépendance ; plus récemment, il reconnaissait aussi que l’avocat algérien Ali Boumendjel ne s’était pas suicidé, mais avait été torturé, puis assassiné. Mais la communication gouvernementale sur le chemin de « l’apaisement » (comme dit Macron en se flattant de ce rapport Stora), ne contient pas de grandes révélations, se contente de reconnaitre des faits déjà connus. Dans son introduction, ce rapport gouvernemental assure que : « nous n’allons pas renvoyer dos à dos les violences » (des colons et des colonisés). C’est pourtant ce qu’il fait en les exposant de manière parallèle au prisme d’enjeux mémoriels jugés complexes. Et le rapport est bien taiseux sur les sujets sensibles : les tortures, les services secrets, les meurtres ou encore les essais nucléaires.

Des « préconisations » concluent le rapport Stora, mais lesquelles ?

Des trente « préconisations », la plupart relèvent du domaine de la commémoration ou de la création de « groupes de travail » ou de « commissions », appuyés par des accès facilités aux archives. Attention, pas à toutes les archives ! Aucune demande claire de mise en accès libre de l’ensemble des archives policières. Le fils de Maurice Audin a dénoncé le refus d’ouverture totale des archives de l’armée. Et ne parlons pas des crimes de ladite armée qui se voulaient sans trace. Rappelons que sous les ordres du général Bigeard, on jetait d’hélicoptères dans la mer les cadavres de militants algériens morts sous la torture – afin que nul n’en retrouve la trace.

Concernant les essais nucléaires, nous aurions pu à minima attendre une « préconisation » d’accès aux plans enfouissements des déchets radioactifs qui émettent encore aujourd’hui. Mais non. Ne parlons pas d’indemnisation des victimes (même pas vraiment répertoriées !). Même si ces essais des années 1960 se sont rappelés à notre mémoire en février dernier par ces sables radioactifs poussés par le sirocco – remontés jusqu’en France. Juste retour des choses.

Gesticulations mémorielles mais sérieux effluves de pétrole

L’Algérie est avant tout, pour les dirigeants politiques et économiques de l’impérialisme français, un partenaire commercial de premier plan : « En 2019, l’Algérie est le premier marché africain pour les exportations françaises, notamment dans les domaines de l’agroalimentaire, du médicament, de l’automobile, des transports, de la banque/assurance, des hydrocarbures. On estime à près de 8 000 le nombre d’entreprises françaises qui exportent vers l’Algérie », rappelle le rapport Stora lui-même. L’Algérie est pour la France un partenaire économique par ses ressources de gaz et de pétrole ; un partenaire géopolitique par sa frontière avec six pays, dont le Mali et le Niger (dont les mines d’uranium de ce dernier pays).

L’Algérie est aujourd’hui le deuxième producteur de pétrole en Afrique et le septième exportateur de gaz naturel. Les hydrocarbures représentent 90 % des richesses du pays. Les évolutions de la mainmise des compagnies françaises sur cette manne financière ont fluctué au rythme des rapports de force sur place mais remonte à très loin. Le pétrole a été l’un des principaux enjeux des accords d’Évian, marquant la fin de la guerre et signés en mars 1962 entre représentants de l’État français et représentants du futur État algérien indépendant. Le pétrole est la raison pour laquelle De Gaulle, arrivé au pouvoir en 1958 pour négocier la décolonisation, a fait durer la guerre encore quatre ans. Il fallait marchander les futurs avantages économiques pour la France, dont une tentative – qui s’est révélée vaine – d’organiser une séparation d’un Sahara pro-français de la future Algérie indépendante. Le quasi monopole français sur les hydrocarbures obtenu à Évian en 1962 a néanmoins volé en éclat en 1971, lorsque Boumedienne a décidé de nationaliser le pétrole. La société nationale algérienne, la Sonatrach, possédait les sous-sols, et avait désormais au moins 51 % des parts dans toute entreprise à participation étrangère participant à l’exploitation du pétrole et du gaz algériens. Au fil des années, d’autres compagnies, américaines notamment, ont pris une bonne part, au détriment de Total. Et les partages ont fluctué au fil des années, sous l’arbitrage de l’État algérien – représentant sa bourgeoisie et pas son peuple, évidemment. Et aujourd’hui les sociétés françaises (Total et ses sous-traitants) ont retrouvé une place de choix dans les prospections et les exportations sahariennes.

À l’automne 2019, alors que l’armée bousculée par le Hirak préparait l’élection controversée d’un nouveau président, une nouvelle loi sur les pétroles était décrétée. Pour « encourager l’investissement dans le secteur des hydrocarbures ». Elle accordait de nouvelles prérogatives aux trusts pétroliers opérant dans le pays, notamment le monopole d’exploitation des réserves d’hydrocarbures trouvées dans les zones où ils auraient prospecté. De quoi raviver les appétits du groupe Total, en même temps que cette nouvelle loi soulevait l’indignation des manifestants du Hirak qui dénonçaient une fois de plus les voleurs au pouvoir en Algérie et les trusts accapareurs de l’argent du pétrole dont la population ne touche pas un sou. Si donc vous voulez savoir la raison pour laquelle Macron veut rendre à l’Algérie l’épée d’Abd El-Kader, c’est simple : c’est parce qu’elle vaut son pesant d’or noir.

Des enjeux économiques qui dépassent le seul pétrole

Renault, PSA, Essilor font leur beurre en Algérie ; Alstom/Cosider pour le métro d’Alger et le tram de Constantine ; et jusqu’à la Sodexo que nous connaissons dans les cantines d’entreprise ici, qui a licencié des syndicalistes gêneurs d’une base pétrolière du sud de l’Algérie, provoquant, il y a quelques années la création du premier comité de chômeurs d’Ouargla.

S’ajoute, pour la France, un enjeu politique régional. Si Castex a annulé son voyage du 11 avril, le chef d’état-major de l’armée française n’a pas annulé le sien et était à Alger pour rencontrer son homologue algérien. Il s’agissait pour eux de discuter d’un des points marquants de la nouvelle Constitution algérienne qu’a fait adopter en novembre dernier le président Tebboune (ce président mal élu de l’après Hirak), à savoir la possibilité donnée officiellement à l’armée algérienne d’intervenir pour des opérations de police en dehors de son territoire, dans le cadre de l’ONU notamment. Un élément qui enhardit la France à multiplier les appels du pied pour que l’armée algérienne participe aux opérations de police (ou à la guerre !) que l’impérialisme français mène au Sahel. Notamment au Mali et au Niger, frontaliers de l’Algérie.

Nous allons vous proposer une autre mémoire de la guerre d’Algérie. Et un autre avenir moins amnésique, dans l’intérêt des luttes communes, présentes et à venir, des travailleurs de France et d’Algérie.

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