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Du moins pire... au pire quand même

jeudi 18 janvier 2007

L’arrivée de la gauche au pouvoir le 10 mai 1981 suscite une certaine allégresse dans les milieux populaires. Élu avec 51,8 % Mitterrand se voit conforté le mois suivant d’une chambre des députés où le PS dispose à lui seul d’une majorité absolue (285 sièges), et de 44 députés communistes ; pour la première fois depuis 1947, on retrouve des ministres issus du PCF. Dans un premier temps, le gouvernement Mauroy donne un certain nombre de signes pour marquer le changement. Le 11 août, 130 000 immigrés sont régularisés, le 8 septembre la peine de mort est abolie, le 9 novembre voit la légalisation des radios libres, en janvier 1982 la semaine de travail est réduite de 40 à 39 heures, la cinquième semaine de congés payés est accordée, la retraite est abaissée à 60 ans.

Mais les 110 propositions du candidat Mitterrand sont vite oubliées, et le contexte économique de crise aidant à justifier le tournant, le gouvernement met un terme à sa politique de relance de la consommation. Dès juin 1982, le franc est dévalué de 10 % (mesure qui touche surtout le pouvoir d’achat des milieux populaires), les salaires (sauf le Smic) sont bloqués alors que les prix, eux, sont libérés. On appela cela la rigueur.

Une rigueur d’autant plus terrible qu’elle intervient au moment où le chômage, qui avait pris son envol dans la deuxième moitié des années 1970, continue de gonfler considérablement sous l’effet des restructurations des entreprises privées... et publiques. Chômage, précarité, salaires bloqués, régions industrielles en friche, et développement d’une nouvelle pauvreté, ce sera le bilan des cinq premières années du règne de Mitterrand.

Changer la vie... des patrons

Du côté patronal, le bilan est tout autre. Pourtant, le 26 octobre 1981, la mesure phare pour la gauche, les nationalisations, fait hurler à l’avènement du collectivisme les bourgeois les plus bornés ! Sont nationalisés cinq groupes industriels (Compagnie générale d’électricité, Péchiney-Ugine-Kuhlmann, Rhône-Poulenc, Saint-Gobain et Thomson-Brandt), deux compagnies financières (Suez et Paribas) et 36 banques. Bien entendu, les patrons sont indemnisés et les vagues promesses de cogestion oubliées. Au-delà des déclarations ronflantes sur « l’indépendance nationale », il s’agit ni plus ni moins que de faciliter, via la garantie de l’État, la mise sur pied de groupes de taille suffisante pour exister sur le marché mondial. Le gouvernement de gauche, plus activement encore que ses prédécesseurs de droite, va aider ainsi la bourgeoisie à moderniser son appareil productif. D’un côté, l’État offre à travers les indemnisations des sommes considérables aux grandes fortunes privées, du « cash » qui leur permet de transférer leurs investissements dans de nouveaux secteurs, plus profitables et plus porteurs sur le marché mondial (le capital privé passe ainsi de la sidérurgie et la chimie à l’électronique, la pharmacie, l’informatique...). D’un autre côté, il organise lui-même des restructurations massives dans les nouvelles entreprises publiques : sous le gouvernement Fabius, des dizaines de milliers d’emplois sont supprimés dans les charbonnages, les chantiers navals, la sidérurgie ou Renault ; dans le même temps l’État injecte, entre 1981 et 1984, 42 milliards de francs dans les groupes publics, qui deviendront ainsi à nouveau compétitifs et profitables en 1985, alors qu’ils cumulaient plus de 9 milliards de francs de pertes au moment de leur nationalisation en 1981 !

Ce sont ces entreprises renflouées par les gouvernements Mauroy et Fabius au prix de restrictions budgétaires dans les services publics, qui seront vendues en 1986 par le gouvernement Chirac à des actionnaires privés, à des prix largement sous-estimés. Les nationalisations-recapitalisations de la gauche rendirent ainsi possibles et appétissantes... les privatisations de la droite. D’autant plus que c’est la gauche elle-même qui a, sous l’égide des ministres des finances socialistes Delors et Bérégovoy, libéralisé le fonctionnement des marchés financiers français, pour les aligner sur les réformes de Reagan et Thatcher !

Derrière l’apparente opposition de deux politiques, nationalisations ou privatisations, il y a donc un enchaînement de réformes sur le long terme... vers la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui. C’est ainsi que par une ironie mordante dont l’Histoire a le secret, des problèmes auxquels la bourgeoisie française était confrontée à la fin des années 1970 ont été surtout résolus par des coalitions électorales issues de la gauche. Elles ont modernisé l’appareil productif, donné une place plus importante aux marchés financiers et même favorisé un nouveau climat idéologique. Ainsi le commissaire au Plan du gouvernement Fabius a pu dire en 1988, que « les gouvernements socialistes ont contribué à la diffusion des idées libérales avec plus de succès et de pérennité que n’ont pu le faire les économistes libéraux ». C’est vrai que, quand la gauche fait une politique de droite, celle-ci apparaît plus facilement comme la seule possible.

Les atouts particuliers de la gauche

Pour réussir ce tournant, la gauche avait justement ses outils propres ! Et ses talents ! Dont celui de Mitterrand qui, en neutralisant le PCF, a refait du PS, déjà déconsidéré une première fois par les votes de nombreux députés socialistes des pleins pouvoirs à Vichy, marginalisé une seconde fois suite à sa collaboration aux guerres coloniales et son aplatissement devant De Gaulle, le courant de gauche à nouveau hégémonique électoralement. Et le PCF s’étant ligoté lui-même et attaché au char du PS dans une position inférieure, Mitterrand a pu se servir de l’influence encore grande de ce parti et disposer d’un milieu politique et syndical organisé dans les entreprises pour toutes les manœuvres contre la classe ouvrière.

Car, si Mitterrand a pu si vite et si ouvertement trahir toutes ses promesses de « changer la vie » sans que ce premier septennat connaisse de réactions d’envergure, c’est que la gauche a pu user et abuser de ses relais syndicaux tout en les cajolant un peu : ainsi, elle a freiné, limité, cassé parfois les grèves, tout en poussant aux négociations et à la participation et fournissant des avantages aux appareils, en termes de représentation ou de financements, pour s’assurer sinon leur docilité, tout au moins leur obéissance aux moments clés. Bien sûr, une démoralisation s’en est suivie, et une perte de confiance dans ces organisations syndicales qui ont vu nombre de travailleurs les quitter, alors même que l’augmentation massive du chômage a énormément pesé sur le rapport de force des salariés face au patronat. Ce n’est pas le moindre des effets pervers de la gestion de la société capitaliste par la gauche.

Du moins, tant que les travailleurs continuent de placer encore un peu de leur confiance en elle, au lieu d’avoir confiance en leurs propres forces !

Tristan KATZ

Mots-clés Parti socialiste , Politique
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