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Maroc : une industrie du textile criminelle qui profite aux leaders mondiaux de l’habillement

lundi 15 mars 2021

Le 8 février dernier, 28 ouvriers, dont une majorité de femmes, sont morts noyés, pris au piège dans un atelier textile installé illégalement dans le sous-sol d’une maison à Tanger. Situé en zone inondable et manquant de toutes sortes d’équipements de sécurité ou d’issues de secours, il n’a fallu que quelques secondes pour que les travailleurs soient pris au piège des pluies diluviennes qui ont causé des inondations dans cette ville du nord du Maroc. Face à l’émoi qu’a suscité cette tragédie, les autorités et le gouvernement ont fustigé l’existence de cet « atelier clandestin », remettant entièrement la faute sur le patron. Une hypocrisie d’autant plus abjecte lorsque l’on sait que ces petits exploitants ne pourraient pas opérer sans la bénédiction des autorités locales corrompues. D’ailleurs, les rassemblements en hommage aux victimes n’ont pas été autorisés.

Ce n’est pas la première fois que la construction en terrain inondable, la vétusté de beaucoup d’habitations et le manque d’entretien des infrastructures causent des drames. Selon un rapport publié par l’Institut royal des études stratégiques en 2016, les inondations occupent la première place des causes de décès liées au climat. En janvier dernier, de fortes pluies ont entraîné la mort de quatre personnes et blessé plusieurs autres suite à l’effondrement de maisons délabrées à Casablanca. En janvier 2019, la crue d’un fleuve a emporté 24 passagers d’un bus du côté d’Errachidia et la montée des eaux a fait sept morts dans un stade de football à Tizert.

À la responsabilité des autorités locales s’ajoute celle du patronat marocain du textile et de ses clients étrangers. Car, derrière les larmes de crocodile, la complicité de ces entreprises est totale. Elles bénéficient de l’exploitation sauvage de millions d’ouvrières et ouvriers de par le monde, qui cause d’innombrables accidents industriels souvent mortels, comme l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh en 2013, causant la mort de 1 138 ouvriers et ouvrières du textile.

Le secteur informel, pilier de l’industrie textile

Selon une étude du syndicat patronal CGEM parue en 2018, le secteur informel représente entre 20 et 30 % du PIB du royaume, et un dixième de ce volume est généré par le secteur du textile. Ainsi, 54 % de la production textile au Maroc relèvent du secteur informel, avec des centaines d’ateliers de confection – baptisés hofra, ou « trou » – installés dans les caves d’immeubles ou de maisons, larges de quelques dizaines de mètres carrés, sans fenêtres ni issues de secours. S’y entassent des dizaines d’ouvrières du textile, souvent enfermées à clé, dans des conditions de travail très dures et pour un salaire de misère (de 180 à 230 euros par mois pour 45 heures par semaine, soit moins que le minimum légal en vigueur et sans aucune couverture sociale). Car même quand ces unités industrielles sont immatriculées au registre du commerce, comme c’est le cas de A&M Textiles où s’est déroulée la tragédie, l’écrasante majorité travaillait au noir.

Le Maroc souhaite devenir un hub pour l’industrie d’exportation vers l’Europe, que sépare 14 km de mer seulement. Le roi Mohamed VI et les gouvernements successifs ouvrent des zones franches pour accueillir les entreprises étrangères en leur déroulant toutes sortes de tapis rouges : construction d’un port en eau profonde (pour l’exportation des voitures de PSA à Kénitra par exemple), exonérations d’impôts, cession de terrains et, bien sûr, main d’œuvre corvéable à merci. La soixantaine d’accords de libre-échange avec les États-Unis et les pays européens servent ce même but.

À cet égard, le secteur textile est d’une importance primordiale car il le premier secteur industriel et manufacturier au Maroc, représente 25 % des exportations nationales et rassemble près d’un quart des emplois industriels. Le nord du Maroc est l’un des épicentres de l’industrie d’exportation et a pour vocation de constituer la base arrière industrielle de l’Europe, notamment en matière de textile. Les quatre zones industrielles d’Al Majd, Gzenaya, Tanger Free Zone et Mghougha s’étendent sur des centaines d’hectares et rassemblent près de 400 unités de production. L’entreprise espagnole Inditex, n°1 mondial du textile-habillement et, entre autres, maison mère de Zara, est le principal client des deux tiers de ces entreprises marocaines. Ce chiffre est amené à augmenter avec la volonté du géant espagnol de relocaliser une partie de sa production asiatique « à proximité », au Maroc et en Espagne notamment, pour raccourcir ses circuits logistiques.

Mais malgré cette position géographique idéale, les industriels marocains ont besoin d’assurer leur compétitivité au niveau des prix et de la main d’œuvre. D’un côté, le patronat du textile marocain arbore toutes sortes de certifications écoresponsables et éthiques qui permettent aux donneurs de commandes européens de se laver les mains de l’exploitation de la main d’œuvre et de l’environnement dont ils sont souvent accusés. De l’autre, le recours massif à des sous-traitants du secteur informel n’est qu’un secret de polichinelle. Ce n’est que de cette façon que les patrons marocains peuvent assurer leur compétitivité et répondre aux pressions tarifaires de leurs clients étrangers. Ainsi, selon la confédération marocaine des TPE-PME, il est estimé que chaque usine dispose d’un réseau de trois ou quatre ateliers, clandestins ou pas, dans lesquelles les conditions de travail sont désastreuses. Ces ateliers sont montés parfois par d’anciens employés, auxquels les fournisseurs de machines octroient des crédits et qui soudoient les autorités locales pour pouvoir agir en toute impunité.

Plus généralement, cette nouvelle tragédie met une nouvelle fois en lumière l’ampleur insoupçonnée – et souvent volontairement cachée – des accidents du travail. Ils seraient de l’ordre de 10 400 par an, et la part des décès liés au travail est d’environ 2 000 par an selon le Bureau international du travail, soit l’un des chiffres les plus élevés en Afrique du nord.

En avril 2008, l’incendie d’une usine de production de matelas (Rosamor Ameublement) avait fait 55 victimes, brûlées vives ou asphyxiés. L’indignation avait conduit le régime à procéder à des réformes de façade : la promulgation de quelques lois relatives aux conditions de travail et la ratification des accords en la matière de l’Organisation internationale du travail ; des engagements qui restent à ce jour encre sur papier. Quant à la création de l’Institut national des conditions de vie au travail, c’est une coquille vide après 10 ans d’existence. D’un autre côté, sur les lieux de travail, le droit syndical – quand il existe effectivement – est souvent entravé et les syndicalistes parfois licenciés pour des motifs fallacieux par les patrons, dans le but de dissuader les travailleurs de s’organiser.

Mais cela n’a pas empêché les ouvrières du textile de donner de la voix pour défendre leurs droits et protester contre des conditions de travail indignes à plusieurs reprises par le passé. L’un des épisodes des plus remarquables est la lutte de plusieurs mois des ouvrières des usines de textile Bogart et Icomail à Casablanca en 2010, après le licenciement de centaines d’entre elles. C’est uniquement par la riposte collective que l’on peut espérer voir la situation changer.

Myriam Rana

À voir :


Made in Morocco, Hecho en Marruecos, etc.

De nombreuses entreprises européennes de l’habillement font produire au Maroc. Le groupe espagnol Inditex, connu par sa marque Zara, et ses 200 usines dans le pays, est de loin en première position. On trouve aussi des marques françaises, telles que Décathlon, Petit Bateau, La Redoute, Monoprix, etc.

Mots-clés Maroc , Monde
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