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Contre les licenciements et les suppressions d’emplois : les travailleurs « condamnés à se coordonner » !

lundi 1er mars 2021

Les suppressions de postes, licenciements et fermetures de sites se multiplient depuis le début de la pandémie. Les chiffres indiquent qu’en 2020 plus de 360 000 emplois salariés ont été déjà été détruits, rien que dans le privé. Des centaines de milliers d’autres sont menacés, y compris dans le public. Pour les PSE (que les patrons n’utilisent qu’en dernier recours, quand ils n’ont pas réussi à débaucher à coups de départs prétendus volontaires), le ministère du Travail en a compté 844 visant 95 000 emplois rien qu’entre mars 2020 et fin janvier 2021. Ce chiffre augmente de semaine en semaine, celui de fin janvier est le pire du côté des PSE (plus de 9 000 emplois menacés).

Après le succès de la manifestation du 23 janvier à l’appel des TUI

C’est dans ce contexte que la manifestation pour l’interdiction des licenciements et des suppressions d’emplois, à l’appel des travailleurs de TUI le 23 janvier à Paris, a réuni plus de 2 000 personnes. Un réel succès dans une ambiance générale plutôt atone sur les licenciements, obtenu à la force du poignet. Cette initiative est venue de syndicats de base.

Lancé par la CGT de TUI, plus d’une trentaine de syndicats (CGT, Sud, FO…) de différentes entreprises menacées avaient signé l’appel à manifester et y ont répondu par des délégations de toutes tailles : les salariés de TUI, ceux de Total Grandpuits alors en grève, de General Electric Villeurbanne, de Sanofi à Vitry, de SKF Avallon dans l’Yonne, de Geodis à Gennevilliers, de Cargill dans le Nord, de Renault Lardy ou Guyancourt, de MBF Aluminium dans le Jura, de Monoprix, d’EDF, de Fedex, d’Airbus, des salariés de Seris/Securitas de Roissy, ou encore des salariés de la société de jeu vidéo Blizzard à Versailles (producteur notamment du célèbre World of Warcraft), des salariés de la Poste, de PSA, de la SNCF et bien d’autres… Un cortège de Gilets jaunes était venu soutenir les ouvriers en lutte.

Tous les salariés menacés présents à la manifestation pouvaient se retrouver sur un point : contre les licenciements, les suppressions de postes et fermetures de sites, il n’est plus question de rester seuls, entreprise par entreprise ou site par site. Comme le dit un syndicaliste CGT de TUI « Nous sommes condamnés à nous coordonner ! ».

Depuis des semaines, les discussions ont été nombreuses, comme les contacts pris entre les salariés des différentes entreprises. Chacun cherchant dans sa région et au-delà des soutiens chez les autres pour les prochaines échéances qui menacent : dépôt de PSE, annonces des postes supprimés, pour la grève déjà entamée ou programmée… Tous décidés à rendre les soutiens apportés. Les ouvriers en grève de Total Grandpuits étaient le 4 février au siège de Sanofi pour soutenir des salariés venus de toute la France, le 9 c’étaient ceux de Sanofi qui sont venus les épauler devant le siège de Total à la Défense. Le 19 février, les salariés de TUI se sont retrouvés à l’hôtel Campanile de Levallois avec les salariés de HPE en lutte contre la sous-traitance et les suppressions de postes. Le 11 mars, les salariés en lutte de Sanofi des différents sites menacés monteront à Paris-Bercy, il s’agira peut-être pour bien d’autres de les y retrouver.

Et les dates ne manquent pas : les TUI appellent à soutien le 2 mars à Cergy, ceux de Monoprix le 9 avril, autant d’occasions qui pourraient devenir celles de tous. C’est ce qui a été discuté ce 21 février lors de l’assemblée générale de « L’appel TUI du 23 janvier ». Un syndicaliste CGT qui s’y connectait pour la première fois constatait : « Si on est tous là aujourd’hui c’est que les centrales ne font pas le boulot. »

Puisque les directions syndicales refusent de coordonner, il faudra bien le faire sans elles !

En effet, les directions syndicales n’ont pas voulu être solidaires de la démarche du 23 janvier, l’opposant purement et simplement à la manifestation interprofessionnelle du 4 février, alors que la première était pourtant la meilleure manière de préparer la seconde. Pour beaucoup, c’est donc aux salariés eux-mêmes de se coordonner et de se regrouper malgré les confédérations syndicales qui prêchent le « chacun chez soi, chacun pour soi ». Une stratégie qui a amené à bien des défaites face aux licenciements, sans parler des sacrifices que les syndicats eux-mêmes ont demandé d’accepter ces dernières années, soi-disant « pour sauver l’emploi ». Mais pour bien des salariés il n’est pas question de « négocier » les licenciements « boîte par boîte » ou « site par site », il s’agit de lutter.

Du mot d’ordre pour « l’interdiction des licenciements »… aux moyens de l’imposer

Certes, si certains sites sont en grève ou l’ont été (parfois pendant plus d’un mois, comme celui de Total Grandpuits) ou que d’autres cherchent à la rendre possible (comme à Sanofi, parfois pendant deux heures, parfois pendant des journées entières), pour l’écrasante majorité, la grève n’est pas encore à l’ordre du jour. Beaucoup d’équipes tentent de convaincre leurs collègues que, par la mobilisation, on peut faire reculer patrons et gouvernement. Mais dans la lutte contre les licenciements, ça ne peut pas être la grève ou rien, et la lutte commence parfois bien avant que la grève devienne crédible. Et quand la grève s’arrête, comme à Total Grandpuits, les ouvriers n’arrêtent pas de lutter pour autant !

De même, les revendications ne sont pas les mêmes quand on pense pouvoir faire reculer son employeur et quand on en doute. Mais à cette échelle, pour le moment locale, les différentes revendications ne s’opposent pas les unes aux autres. Quelle que soit la revendication que les travailleurs pensent pouvoir imposer : de l’interdiction des licenciements aux indemnités les plus avantageuses possibles pour les salariés (et donc plus coûteuses pour les patrons), il ne s’agit surtout pas d’opposer une revendication à une autre, car, sur le fond, toutes combattent à leur manière les licenciements. Et si c’est bien à les interdire que toutes visent, encore faut-il avoir le rapport de force national pour l’imposer.

Un seul mot d’ordre : sortir de l’isolement, se coordonner avec d’autres !

Le problème est donc de sortir de l’isolement, et du même coup de faire évoluer le rapport de force en faveur des travailleurs.

Cette première manifestation à l’appel des TUI, relayée par d’autres en pleine crise sanitaire, a de fait placé un jalon vers un « tous ensemble ». Un jalon modeste, mais si le grand mérite des travailleurs de TUI ou de Total Grandpuits n’est pas encore d’avoir réussi, il est bel et bien de le tenter. Pour le moment, bien des salariés ne croient pas dans leurs propres forces. Mais tout changerait si ceux des entreprises menacées prenaient sur eux d’en appeler aux autres. Ce que le patronat redoute, c’est l’explosion de colère qui regrouperait les travailleurs menacés, voire qui entraînerait ceux des autres secteurs, à commencer par ceux dans les régions où la fermeture d’une grande entreprise menace des milliers d’emplois chez les sous-traitants. Ce qu’ils redoutent, nous devons donc le rechercher.

Aujourd’hui, la série de suppressions d’emplois annoncée est la poursuite d’une offensive générale pour restructurer des secteurs entiers (dans l’automobile par exemple), précariser la main-d’œuvre, baisser le coût du travail, en utilisant le chômage pour faire pression sur les salaires, en surchargeant de travail une partie des travailleurs pendant que l’autre est au chômage. Cette semaine, à Renault Douai et à Peugeot Poissy, des débrayages ont eu lieu, bloquant la production, contre les suppressions de postes et la surcharge qu’ils induisent.

Une loi qui interdirait les licenciements ne pourra être le résultat que de la force des travailleurs

Et cette offensive patronale ne peut être menée qu’avec une aide active de l’État. Ce n’est pas une loi pour interdire les licenciements ou contrôler les aides publiques qui changera cette situation : quand bien même, le temps que ce soit un jour voté, tous les salariés auront déjà été licenciés. Car la loi officialise des situations de fait et l’encadre. Mais elle vise surtout à canaliser l’action des salariés et de leurs syndicats, et à protéger les employeurs contre des recours juridiques. Si l’interdiction des licenciements devait prendre la forme d’une loi, celle-ci serait imposée par la lutte. C’est maintenant que les licenciements se font : l’urgence, c’est la mobilisation des salariés et l’extension des grèves…

Loin d’en rester à la défense entreprise par entreprise ou à la recherche de solutions locales, toutes d’ailleurs plus ou moins illusoires, au nom du « savoir faire » ou de l’appel à l’État (qui affiche son intention d’ouvrir grand la porte aux licenciements faciles), c’est à l’ensemble des travailleurs que ceux qui se retrouvent directement acculés à la lutte pour leur emploi peuvent s’adresser. Car leur détermination pourrait donner confiance à d’autres pour qu’un nouveau coup de colère fasse peur au patronat et au gouvernement et les fasse reculer.

21 février 2021, Léo Baserli

Mots-clés Licenciements , Politique