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Le choix du trotskisme

mardi 9 juillet 2002

Dans une brochure écrite juste avant la rédaction du Manifeste communiste, Engels donnait du communisme une définition pour le moins lapidaire : « Le communisme est l’enseignement des conditions de la libération du prolétariat » (Principes du communisme. 1847).

Pour Marx, Engels, Lénine ou Trotski, le communisme était en effet ni une utopie ni un dogme, pas davantage la description d’une société idéale sortie de l’imagination de quelques penseurs ou un ensemble de recettes toutes prêtes applicables à n’importe quelle situation. Le communisme (comme le marxisme) est d’abord une méthode visant à comprendre et intervenir dans la lutte de classe, pour en finir avec l’exploitation et permettre au prolétariat (à tous ceux qui sont condamnés à vendre leur force de travail) de partir à la conquête du pouvoir, condition essentielle de son émancipation sociale.

Les leçons de la révolution d’octobre

Si les possibilités révolutionnaires peuvent paraître incertaines pour nous aujourd’hui, c’était également le cas à l’époque des bolcheviks !

Ils prétendaient construire un parti révolutionnaire capable de résister à la répression tsariste ? Ils voulaient miser sur la classe ouvrière - oh combien minoritaire !- pour diriger une révolution socialiste dans un pays aussi arriéré que l’était la Russie ? Il fallait quand même une bonne dose d’inconscience semble-t-il, ou au contraire un solide fil à plomb -le marxisme- pour analyser les grandes tendances du capitalisme à l’échelle mondiale, et démonter l’entrelacs des contradictions qui minaient la société russe il y a un siècle, dans laquelle se côtoyaient boyards du Moyen-Age et usines parmi les plus modernes du monde ! Il fallait aussi cette audace révolutionnaire qui pousse parfois à saisir les opportunités par un cheveu, mais qui n’a rien d’artificielle lorsqu’elle exprime ce qu’il y a de plus profond dans la société, cette révolte longtemps contenue parmi les exploités, cette énergie, et aussi cette capacité d’initiative et de création sans laquelle il n’y a tout simplement pas de révolution possible.

Trotski appartenait à une génération qui avait manifestement confiance dans les capacités révolutionnaires du prolétariat, et qui savait en même temps qu’il y avait tout à faire simplement pour imaginer les possibilités d’une révolution socialiste en Russie. Combien de débats contradictoires et de trajectoires diverses se sont ainsi entrecroisés : Plekhanov -le « pape » du marxisme en Russie- a fini par renoncer à la révolution tandis que Trotski -qui avait souvent polémiqué contre les bolcheviks- a fini par les rejoindre.

Jusqu’à la fin de sa vie, il ne se définira jamais plus autrement que comme un « bolchevik ». Le bolchevisme étant devenu, sous son impulsion notamment, un phénomène non plus spécifiquement russe (ou lié aux conditions particulières de la Russie), mais un phénomène mondial avec la création de l’Internationale communiste en 1919. Ses leçons lui semblaient toujours d’actualité : la nécessité de construire un parti de combat capable de s’adapter et de résister aux évolutions extrêmement rapides de la situation ; la volonté de mener en toute circonstance une politique indépendante pour la classe ouvrière ; la prise du pouvoir par la classe ouvrière elle-même au travers des soviets tout en assumant une guerre civile impitoyable ; enfin et surtout l’internationalisme, le choix d’une politique qui subordonne tous les efforts d’un Etat ouvrier à la nécessité de vaincre la bourgeoisie au niveau mondial.

Quand il était minuit dans le siècle

Quelques années après 1917, il y avait pourtant bien des raisons de renoncer à la révolution et à la classe ouvrière !

En luttant contre le stalinisme, cette dégénérescence monstrueuse de la révolution, le combat de Léon Trotski a été d’affirmer que ces perspectives n’avaient rien perdu de leur validité. Ce fut à la fois un combat théorique et politique.

Son analyse de l’URSS s’avère aujourd’hui encore et même surtout aujourd’hui la plus cohérente et la plus conséquente : la confiscation du pouvoir n’est pas le produit d’une déviation morale (celle d’un homme ou d’un parti), c’est un phénomène social (la bureaucratie), le produit d’un rapport de force entre les classes dans des conditions historiques bien particulières et la conséquence dramatique - mais qui était évitable - de l’isolement de la révolution russe.

Le combat de Trotski ne fut pas celui d’un seul homme, mais celui de milliers de militants communistes qui combattirent le stalinisme au nom du communisme, et qui y laissèrent leur peau, en URSS et en-dehors de l’URSS. Exclu du parti en 1927 après des années d’opposition, puis banni d’URSS en 1929, Trotski était convaincu que l’avenir de la révolution en Russie comme ailleurs dépendait plus que jamais du rapport de force à l’échelle mondiale entre la classe ouvrière et la bourgeoisie.

Ce fut d’abord un combat pour redresser l’Internationale communiste et tenter d’éviter une série de défaites (1923 en Allemagne, 1926 en Angleterre, 1927 en Chine…). Ce fut ensuite (après la victoire de Hitler en 1933) un combat pour la création d’un nouveau parti mondial de la révolution : la IVe Internationale.

« Ce que je fais maintenant est dans le plein sens du mot « irremplaçable ». Il n’y a pas dans cette affirmation la moindre vanité (…) Munir d’une méthode révolutionnaire la nouvelle génération, par-dessus la tête des chefs de la IIe et de la IIIe Internationale, c’est une tâche qui n’a pas, hormis moi, d’homme capable de la remplir » (Léon Trotsky. Journal d’exil. 25 mars 1935). La bureaucratie soviétique menait désormais une politique ouvertement réactionnaire, n’hésitant plus – comme en Espagne en 1936 – à programmer consciemment la défaite de la révolution prolétarienne, tandis que la marche à la guerre impérialiste devenait inéluctable après la victoire du nazisme. Le contexte des années 1930 était alors celui d’une série de défaites sans précédent pour la classe ouvrière, et la destruction de toute une génération de militants révolutionnaires. Le 21 août 1940, Trotsky mourait assassiné par un agent du GPU (la police politique de Staline).

Le choix du trotskisme

Pendant longtemps, la continuation des idées marxistes et révolutionnaires est donc restée tributaire de la survie de petits groupes confrontés à la répression de la bourgeoisie, aux calomnies et aux agressions des staliniens. Mais notre attachement au trotskisme n’a évidemment rien de sentimental.

Comme à d’autres moments – davantage peut-être – le choix de la classe ouvrière et du communisme n’a rien d’évident aujourd’hui. Le capitalisme – en particulier dans les pays impérialistes – a connu incontestablement depuis 50 ans une longue période, finalement assez inédite, de stabilité, avec bien sûr des crises, des guerres, la décolonisation, etc, mais sans que le système soit vraiment menacé dans ses fondements mêmes. Il est vrai que le stalinisme a eu une responsabilité considérable durant cette période, surtout au moment le plus décisif c’est à dire au lendemain de la deuxième guerre mondiale.

Mais le bilan du siècle ne se réduit pas non plus à ce constat, ni à celui de la faillite de la révolution russe : ce sont aussi les gâchis monstrueux engendrés par la survie du système capitaliste qui dépense également une énergie considérable – et ce seul indice n’est pas le moins significatif – pour écraser ou dévoyer les révoltes qu’il provoque, comme pour faire accepter tant bien que mal « l’ordre des choses ». Ce sont les impasses dans lesquelles nous ont mené toutes les voies soi-disant plus raisonnables pour améliorer, réformer, réguler le système capitaliste, ces lendemains meilleurs que promettaient les nationalistes (dits « progressistes ») après les indépendances coloniales, ou cette amélioration graduelle du sort de la classe ouvrière que défend le mouvement ouvrier réformiste, bien mal en point à l’heure du chômage de masse et du démantèlement des statut et autres protections sociales.

Le bilan, ce sont surtout les occasions ratées, bien plus nombreuses qu’on l’imagine souvent, de l’Iran à la Pologne, du Portugal à l’Afrique du Sud, en Amérique comme en Asie, où l’absence d’un parti révolutionnaire a été un atout maître de la bourgeoisie pour préserver ses positions.

Le choix d’une identité (ou son abandon) est un choix politique. Le nôtre est toujours de construire des partis qui, par leur programme, leur mode de fonctionnement comme par la formation de leurs militants, se révèlent aussi capables d’affronter des crises révolutionnaires qui n’ont pas forcément perdu de leur actualité, même si au cours de la période la plus récente cela ne s’est pas produit dans un pays impérialiste comme le nôtre. C’est avant tout ce choix qui détermine notre attachement au trotskisme.

Raoul GLABER

Mots-clés Extrême gauche , Politique , Trotskisme