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De l’opposition à la guerre au sursaut révolutionnaire : les origines du Parti communiste en France

mardi 19 janvier 2021

Si le congrès de Tours marque un début, celui du Parti communiste, il est aussi l’aboutissement d’un combat non seulement des révolutionnaires russes pour gagner à la révolution et l’internationalisme les centaines de milliers de militants socialistes qui regardaient vers eux, mais aussi, en France, pour les militants qui étaient, contre la trahison des directions, restés fidèles à l’internationalisme et aux idées révolutionnaires pendant la guerre.

Dès 1914, un fossé est creusé entre ces militants et la direction socialiste, qui choisit l’Union sacrée avec la bourgeoisie nationale. Mais la construction d’un nouveau parti révolutionnaire n’est pas chose aisée dans cette Europe à feu et à sang, où les internationalistes apparaissent peu nombreux et éparpillés. Faut-il planter un drapeau et tenir bon avec ses idées, ou tenter de reconquérir les anciens appareils de l’intérieur ? Finalement, c’est un peu les deux que feront les révolutionnaires français, se regroupant au sein du Comité pour la reprise des relations internationale (CRRI), qui, avec la révolution russe et son appel à la fondation d’une nouvelle internationale, deviendra le Comité de la IIIe Internationale (C3I), se donnant pour tâche de reconquérir la majorité de la SFIO, dont la base grossit, portée par la vague révolutionnaire et dont le regard est tourné vers la Russie révolutionnaire.

Car c’est bien sur cette dernière que peuvent s’appuyer les révolutionnaires français. Le mouvement socialiste européen, qui était à l’époque le fleuron du mouvement ouvrier mondial, a failli à l’arrivée de la guerre… sauf dans ce pays arriéré qu’était la Russie. Arriéré, mais avec un prolétariat concentré d’où est partie l’explosion révolutionnaire, malgré une dictature rigoureuse. Pour les bolcheviks, il ne pouvait pas s’agir d’une révolution isolée. Il fallait donc redonner une direction révolutionnaire à ces millions de prolétaires qui regardaient vers eux. Les bolcheviks s’appuient pour cela sur les forces existantes, non seulement dans le Parti socialiste, qui reprend des couleurs à la faveur des grèves, mais aussi sur les syndicalistes révolutionnaires de la CGT, qui observent avec un nouveau regard ces communistes russes, bien différents des socialistes français embourbés dans le jeu parlementaire.

Le congrès de Tours n’est pas seulement la revanche contre la majorité de guerre, de plus en plus marginalisée dans le Parti socialiste (SFIO), il marque une nouvelle délimitation politique : celle du communisme. L’heure n’est plus à imaginer un socialisme lointain. Il est à l’action révolutionnaire, à la préparation résolue des masses à la dictature du prolétariat. C’est donc aussi des hésitants et semi-réformistes (révolutionnaires en parole, réformistes en pratique) que le Parti communiste se sépare à Tours, sous l’impulsion des bolcheviks. Une rupture qui reste cependant imparfaite, comme le montrera la suite.

La reprise des liens internationaux

L’entrée en guerre marque la faillite d’une social-démocratie de plus en plus intégrée aux institutions démocratiques bourgeoises. Le 4 août 1914, quatre jours après l’assassinat de Jaurès, qui apparaissait comme le dirigeant le plus résolu contre la guerre impérialiste, les députés socialistes votent les crédits de guerre et s’engouffrent dans l’Union sacrée. Trois d’entre eux participeront au gouvernement de guerre. Dans toute l’Europe, sauf en Russie et en Serbie, la social-démocratie sombre dans le patriotisme. Pourtant, deux ans plus tôt, l’Internationale ouvrière (IIe Internationale) appelait encore à « opposer à l’impérialisme capitaliste la force de la solidarité internationale du prolétariat ». La CGT ne résiste pas mieux.

La Une de La Guerre Sociale, journal « antimilitariste »… qui appelle à la guerre en août 1914. Le journal sera rebaptisé La Victoire en 1916.

Pour les militants qui n’ont pas renoncé à l’internationalisme, c’est la sidération : ceux qui tiennent bon semblent si peu nombreux. La première tâche est de les regrouper, malgré la guerre et la censure. Les animateurs de la revue syndicaliste La vie ouvrière [1], autour de Monatte, diffusent clandestinement des tracts et brochures contre la guerre, utilisant leur réseau d’abonnés. L’espoir renaît quand, en décembre 1914, le député socialiste allemand Karl Liebknecht rompt la discipline de parti et vote contre les crédits de guerre : l’opposition à la guerre s’affirme au grand jour pour la première fois. En mars 1915, la Conférence internationale des femmes socialistes, à l’initiative de Clara Zetkin, lance à son tour un appel contre la guerre [2]. En septembre, sous l’impulsion du Parti socialiste italien, une conférence socialiste internationale pour la paix se tient à Zimmerwald, en Suisse. L’initiative reste modeste, avec 38 délégués, mais l’écho est important. Une seconde conférence se réunira en avril 1916, à Kienthal, avec 45 délégués.

Monatte en 1915

En France, Zimmerwald offre un second souffle aux militants révolutionnaires, qui font le tour des réunions de la SFIO pour rassembler les militants opposés à la guerre derrière ce nouveau drapeau. Ils fondent le Comité pour la reprise des relations internationales (CRRI), qui rassemble des syndicalistes révolutionnaires, des socialistes et des anarchistes pour la paix immédiate et la défense de l’internationalisme prolétarien [3].

Deux pacifismes

L’appel à une paix sans annexion ni indemnités fait l’unanimité des zimmerwaldiens. Mais les bolcheviks se démarquent déjà. Pour Lénine et quelques autres délégués, il faut d’ores et déjà planter le drapeau d’une nouvelle internationale, celle de la révolution prolétarienne, et rompre avec la IIe Internationale qui a failli. Surtout, ils regrettent le silence du manifeste de Zimmerwald sur les moyens pour parvenir à la paix. Pour les bolcheviks, il faut transformer la guerre impérialiste entre les peuples en une guerre civile des classes opprimées contre leurs oppresseurs.

Cet appel révolutionnaire vise notamment à se démarquer du courant pacifiste qui émerge au printemps 1915 autour du Parti social-démocrate indépendant d’Allemagne (USPD) et de Longuet en France. Ces derniers espèrent en une paix négociée entre bourgeoisies, faisant fi du caractère impérialiste de la guerre. Longuet est pour la paix et contre la participation gouvernementale, mais pas pour la défaite et continue donc à voter les crédits de guerre [4]. Un tel courant opportuniste n’apparaît pas comme une direction résolue à mobiliser le prolétariat contre la guerre, encore moins vers la révolution.

Pourtant, le courant longuettiste grossit rapidement dans la SFIO. Ses dirigeants sont mieux implantés que le CRRI (dont beaucoup ne sont pas à la SFIO) et disposent de plus de moyens [5]. En décembre 1916, il représente déjà le tiers des membres, ce qui traduit une lassitude grandissante de la guerre.

Le redémarrage de la lutte des classes

Après 1916, zimmerwaldiens et longuettistes deviennent un pôle d’attraction pour les opposants à la guerre de plus en plus nombreux, notamment parmi les jeunes politisés dans les tranchées. Les effectifs de la SFIO cessent alors de s’effondrer sous les coups des trahisons de plus en plus prononcées de la majorité de guerre.

Les « midinettes » parisiennes en grève, en mai 1917, devant la bourse du travail.

La reprise des grèves, dans une classe ouvrière industrielle qui s’est développée avec la guerre, participe au regain militant. Celles-ci éclatent en décembre 1916 et au printemps 1917 dans l’habillement, l’armement ou le bâtiment. Les femmes sont en première ligne. L’effort de guerre ne suffit plus à faire accepter la surexploitation, alors que la bourgeoisie accumule d’énormes bénéfices. Si les griefs sont principalement économiques (salaires, temps de travail), les revendications politiques s’y invitent. Dans les tranchées, 1917 est aussi l’année des révoltes, qui se multiplient après une série d’offensives particulièrement meurtrières.

Après la guerre, l’essor révolutionnaire

En mars 1917, la révolution russe fait naître un nouvel espoir. Les informations sont tronquées par la censure et biaisées par la propagande bourgeoisie, mais les ouvriers entendent parler de comités d’ouvriers et de soldats. La paix signée en mars 1918 soulève un vent de sympathie pour les bolcheviks. La situation s’accélère avec la révolution allemande, en novembre 1918, qui met fin à la guerre. En France, la paix libère les revendications ouvrières et les grèves se multiplient début 1919. Les adhérents affluent en masse à la CGT et à la SFIO.

La situation est alors mûre pour la construction de la nouvelle internationale, qui devient d’autant plus nécessaire. Pour les bolcheviks, c’est d’abord un pari. Lors de son premier congrès, en mars 1919, il n’y a encore dans la plupart des pays que des tendances et des petits groupes communistes. Mais ils misent sur la dynamique de la révolution, avec raison : un an plus tard, le deuxième congrès a une portée mondiale, réunissant des partis et organisations significatifs.

Le CRRI adhère immédiatement à l’IC, devenant le Comité de la IIIe Internationale (C3I), mais le Parti communiste reste à construire, ce qui va se faire en lien direct avec l’internationale. Cependant, bien que l’IC appelle à se séparer rapidement des réformistes, le C3I repousse la scission, convaincu qu’il peut gagner la SFIO de l’intérieur. Il peut en effet s’appuyer sur la radicalisation des masses qui pousse le parti toujours plus à gauche. Dès octobre 1918, les pacifistes sont devenus majoritaires, avec le soutien des zimmerwaldiens. Le longuettiste Frossard devient secrétaire général et Cachin, tardivement gagné au pacifisme, prend la direction de L’Humanité. La campagne du C3I pour l’adhésion à l’IC emporte un soutien croissant, tant la haine de la guerre et la popularité de la révolution russe sont grandes. Au congrès de Strasbourg, en février 1920, un pas est franchi : le congrès décide à 92 % de quitter la IIe Internationale.

À l’entrée de la salle du congrès de Tours

Le congrès de Tours

Quand arrive le congrès de Tours, tout le monde sait que l’adhésion à l’IC va l’emporter et que la droite scissionnera. La question est de savoir où se fera la démarcation. Certains longuettistes annoncent qu’ils partiront avec la droite. D’autres choisissent la IIIe Internationale, parfois par opportunisme, comme Cachin et Frossard, qui voient de quel côté porte le courant. Longuet est le seul dont l’adhésion est encore incertaine, il se prononce pour une adhésion avec réserves, espérant toujours reconstruire le socialisme sur les bases d’avant-guerre, si ce n’est à partir de la IIe Internationale moribonde, du moins dans un « nouvel édifice, plus vaste et mieux aéré », qui regrouperait tout le monde [6].

Le problème est de rallier un maximum de militants, tout en parvenant à la clarification politique nécessaire. Dans le monde entier, la popularité de l’Internationale communiste attire des groupes dont la direction n’a pas rompu avec l’idéologie de la IIe Internationale, mais qui cherchent à s’appuyer sur l’IC pour préserver leur base qui se radicalise, tout en espérant garder leur autonomie. Pour s’en prémunir, l’IC adopte 21 conditions d’admission, obligeant les dirigeants à s’engager devant leur base sur la mise en œuvre des nouvelles méthodes communistes. Il s’agit notamment de rompre définitivement avec les réformistes (Longuet étant cité explicitement parmi les indésirables), de mener une propagande et une agitation communistes sans se limiter à la légalité bourgeoise, y compris dans l’armée et les syndicats, ou encore d’adopter une ligne clairement anticolonialiste.

Cachin et Frossard cherchent néanmoins à garder la porte ouverte pour Longuet. La motion d’adhésion du congrès de Tours, rédigée par Loriot et Souvarine [7], au nom du C3I, est d’ailleurs un compromis avec eux, aménageant ou atténuant les 21 conditions. Mais l’attitude hésitante de Longuet pousse les bolcheviks à fermer définitivement la porte. Lors du congrès, la révolutionnaire allemande Clara Zetkin, invitée surprise arrivée clandestinement à Tours, appelle à une adhésion franche et nette, c’est-à-dire rompant avec la droite et le centre. Un télégramme de Zinoviev, président de l’IC, appuie dans le même sens, acceptant les « réformistes qui se soumettront maintenant aux décisions de l’Internationale communiste et renonceront à leur opportunisme d’autrefois », comme Cachin et Frossard, mais qualifiant Longuet d’« agent déterminé de l’influence bourgeoise sur le prolétariat ». Ce dernier ne peut désormais que partir.

L’adhésion à l’IC est votée par plus des deux tiers des délégués. La droite quitte le congrès, les longuettistes se réunissent à part. La scission est consommée, et le Parti socialiste devient section française de l’Internationale communiste (SFIC).

Maurice Spirz


[1Celle-ci cesse de paraître pour ne pas se soumettre à la censure.

[2Extrait : « Où sont vos maris, vos fils ? Pourquoi doivent-ils s’entretuer et détruire avec eux tout ce qu’ils ont créé ? Qui bénéficie de ce cauchemar de sang ? Tout juste une poignée de profiteurs de guerre. Puisque les hommes ne peuvent plus parler, c’est à vous de le faire. Travailleuses de tous les pays en guerre, unissez-vous ! »

[3La méfiance entre ces courants ne disparaît cependant pas entièrement. Les anarchistes délaissent rapidement le CRRI au profit d’un comité de défense syndicaliste (CDS), opposition interne dans la CGT.

[4À la différence d’ailleurs de l’USPD, dont les députés s’abstiennent à partir de mars 1915 (sauf les deux députés spartakistes qui votent contre), ce qui provoque leur exclusion du SPD.

[5Comme les zimmerwaldiens, ils subissent la double censure du gouvernement et du parti, qui leur ferme les colonnes de L’Humanité. Cependant, ils parviennent à maintenir un hebdomadaire, Le Populaire, tandis que le CRRI voit toutes ses tentatives de presse légale rapidement interdites.

[6Juste avant le congrès de Tours, il participe avec l’USPD et la gauche autrichienne à une conférence en vue de reconstruire une Internationale regroupant les partis de la IIIe Internationale et ceux de la IIe les moins compromis. Tentative connue sous le nom d’Internationale II ½.

[7Motion écrite depuis la prison de la Santé, où Loriot et Souvarine sont détenus pour « complot », avec d’autres dirigeants ouvriers. Ils seront acquittés après y avoir passé près d’un an.

Mots-clés Histoire , PCF , Politique
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