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Les Trente Glorieuses

L’exploitation va bon train

lundi 7 décembre 2020

Après les ravages de la Seconde Guerre mondiale, c’est le temps de la reconstruction. La sécurité sociale et les retraites sont autant de concessions destinées à éviter une vague révolutionnaire comme après la Première Guerre mondiale. Mais le début de ce qui sera appelé plus tard les « Trente Glorieuses » ne ressemble en rien à des « jours heureux ». La production peine à repartir, les outils de production sont obsolètes, le coût de la vie est élevé, le rationnement alimentaire se prolonge, les logements manquent et sont insalubres : en fait, les conditions de vie restent désastreuses.

Main dans la main avec le patronat, le Parti communiste et ses « camarades ministres » appellent les travailleurs à se « retrousser les manches ». En février 1946, la loi sur les 40 heures est rétablie, mais le gouvernement facilite le recours aux heures supplémentaires. La durée effective du travail s’élève en moyenne à 45 heures hebdomadaires. Ce n’est pas mieux côté salaires : entre 1945 et 1948, les salaires nominaux triplent… mais l’inflation est telle que le pouvoir d’achat est en fait réduit d’un tiers. En 1947, une grève pour les salaires éclate chez Renault, impulsée par un jeune ouvrier trotskiste, Pierre Bois. D’autres suivent, nombreuses, jusqu’au milieu des années 1950.

Au sortir de la guerre, l’économie capitaliste est donc incapable de sortir du gouffre. Ce n’est qu’après la mise en place d’un encadrement étatique de la production, avec la planification, les nationalisations et les milliards du plan Marshall, que la production finit par repartir.

La grande époque des accords d’entreprise

L’année 1955 marque un tournant. Avec une grande grève d’abord, celle des métallurgistes de Nantes et Saint-Nazaire, partie des chantiers navals et qui embrase la région. De janvier à août, les ouvriers multiplient les débrayages, protestant contre les salaires insuffisants qui obligent à accepter les heures supplémentaires. La semaine de travail dépasse toujours 45 heures, sur six jours, et se prolonge souvent le dimanche matin. À plusieurs reprises, les grévistes s’affrontent aux CRS (un ouvrier est tué d’une balle dans la gorge). Au bout de sept mois de lutte déterminée, ils obtiennent des hausses de salaire importantes et cinq jours fériés chômés.

Craignant la contagion, le patron de la régie Renault, Pierre Dreyfus, qui prétend faire de l’entreprise nationalisée une vitrine du « modèle social français », mais ambitionne surtout d’en faire une entreprise concurrentielle à l’échelle internationale, négocie un accord d’entreprise avec l’ensemble des syndicats, à l’exception de la CGT. Il s’agit du premier accord d’entreprise majeur de l’après-guerre. Celui-ci contient quelques miettes lâchées aux ouvriers, parmi lesquelles… une troisième semaine de congés payés. En échange, les syndicats signataires s’engagent à ne plus appeler à la grève « avant d’avoir épuisé les possibilités conventionnelles, réglementaires ou légales de solution ». L’objectif est d’acheter la paix sociale en poussant les syndicats sur la voie de la collaboration de classe et en lâchant un peu de lest avant que les travailleurs ne construisent eux-mêmes un rapport de force par la grève. Dans un premier temps, la CGT Renault s’y oppose et impulse quelques débrayages. Mais le secrétaire confédéral, Benoît Frachon, vient s’adresser en personne aux syndiqués, soulignant les « avancées ». Il s’agirait de ne pas rester sur la touche. La CGT Renault retourne sa veste et signe.

À la suite de Renault, les accords d’entreprise se multiplient : dans la métallurgie, la banque, les mines, le textile, etc. La troisième semaine de congés payés se répand avec ces accords. Lorsque les socialistes reviennent au pouvoir en 1956, ils n’ont plus qu’à la généraliser à tous les salariés par la loi. La quatrième semaine suivra ensuite la même voie.

De 1955 à 1975, plein emploi… et heures supplémentaires

La période qui suit, de 1955 à 1975, est celle du plein emploi. La croissance économique est rapide, l’appareil productif tourne à plein et la main-d’œuvre vient à manquer. Pour y remédier et limiter la pression sur les salaires, le gouvernement fait venir des travailleurs immigrés d’Italie, d’Espagne, du Portugal, de Pologne ou encore du Maghreb, qui s’entassent dans des bidonvilles.

Le plein emploi est plutôt favorable aux travailleurs. Il suffit souvent de changer d’entreprise pour obtenir une meilleure rémunération, voire une meilleure qualification. De ce fait, les grèves sont peu nombreuses jusqu’en 1968. Seuls quelques secteurs dont les emplois commencent à être menacés au début des années 1960 connaissent des mouvements significatifs, le plus marquant étant la grève des mineurs de 1963 contre la fermeture des mines de charbon concurrencées par le pétrole.

À la fin des années 1950, c’est l’avènement de la société dite « de consommation », qui est en réalité une société… de production. C’est l’ère des grandes usines, avec le travail à la chaîne et les débuts de l’automation. Il faut produire toujours plus, mais on promet le bonheur dans les foyers par l’acquisition des produits dernier cri. Le confort de la vie moderne s’achète le plus souvent à crédit et il faut ensuite courir derrière les heures supplémentaires pour les rembourser.

Durant ces deux décennies, les salaires et la consommation progressent, les foyers s’équipent en automobiles et appareils ménagers, les logements s’améliorent doucement avec la construction des grands ensembles. Le capitalisme semble pouvoir enrichir tout le monde, capitalistes et travailleurs, grâce aux gains de productivité : un bref intermède qui permet aujourd’hui à la « gauche » de mythifier lesdites « Trente Glorieuses ». En réalité, l’amélioration rapide des conditions matérielles repose sur l’exploitation de la classe ouvrière, soumise aux « cadences infernales », qui seront dénoncées lors de la grève de mai-juin 1968. En 1975, la moitié des salariés travaille encore bien au-delà des 40 heures hebdomadaires, et un tiers 45 heures ou plus.

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