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Défendre les libertés « démocratiques », mais quelles libertés dans la société bourgeoise ?

mercredi 2 décembre 2020

Après avoir vu les récentes évolutions du « maintien de l’ordre » et quelques exemples de son application aux jeunes qui contestent l’ordre établi, on va parler de ces « libertés démocratiques » que la démocratie bourgeoise affirme garantir aux citoyens. La société capitaliste, c’est, de façon générale, la dictature de la bourgeoisie sur le monde du travail et sur l’ensemble des peuples de la planète. Mais cette dictature est plus ou moins violente selon les périodes, les pays et, disons, les besoins de la classe dominante, les craintes qu’elle a des contestations sociales.

On pourrait dire qu’il y a une continuité entre la démocratie bourgeoise « aseptisée » des pays riches et la dictature violente dans de nombreux pays pauvres (où la bourgeoisie n’a pas autant de miettes à distribuer aux classes populaires et règne par la force plus que par le consentement). D’autant qu’on sait bien que ce sont souvent les gouvernements « démocratiques » des pays riches qui entretiennent les dictatures des pays pauvres, comme la France socialiste de Hollande ou celle macroniste d’aujourd’hui sévissent dans l’Afrique francophone.

Mais ce n’est pas pour autant que, lorsqu’on voit se restreindre les libertés dans nos pays plus « confortables », car les riches s’y sentent moins directement menacés que là où ils ne sont qu’une infime minorité au milieu de la misère, on va se dire que « de toute façon c’est le capitalisme » ou qu’« il y a pire ailleurs ». On sait que de ces tours de vis, ce sont les classes populaires qui feront les frais. Et que le « tournant » policier actuel de Darmanin sous Macron, après celui de Valls sous Hollande (pour ne pas remonter plus loin) est étroitement lié aux sacrifices que la bourgeoisie française s’apprête à nous imposer et à sa crainte des colères qu’elles ne manqueront pas de susciter.

Ces nouvelles atteintes aux libertés, ce durcissement du régime, on les combat. Et on ne le fait pas simplement au nom d’une démocratie de façade (où les riches ont tous les droits, à commencer par celui de mettre au chômage) ou de ce qu’ils appellent un « état de droit » dont ils changent le « droit » à leur guise. On le fait au nom du droit des travailleurs, de tous les opprimés à se défendre, à contester la société, ses lois et ses injustices.

Alors quid de ces « droits démocratiques » du point de vue des travailleurs ? Entre autres de ces « droits de l’homme » ?

Il n’y a qu’à voir les envolées lyriques des diverses Constitutions qui affirment le droit au travail, au logement, le droit d’asile et autres « droits de l’homme » : l’État bourgeois les proclame comme des principes intangibles mais les bafoue en permanence… Un constitutionnel « Droit au travail », dans un pays où Renault, Bridgestone, Carrefour et bien d’autres s’apprêtent à ajouter des chômeurs par milliers aux près de six millions de chômeurs actuels ? Un prétendu « pays des libertés » qui ferme sa porte aux nouveaux migrants et harcèle ceux qui y travaillent tous les jours ? Quel droit au logement quand plus de 250 000 personnes sont sans-abri ?

Et quelle liberté de la presse quand celle-ci appartient au grand patronat, comme la chaîne Cnews, financée et contrôlée par Bolloré, vingtième fortune française, ou Le Figaro, possession de l’avionneur Dassault ? Un pays où la liberté d’expression est proportionnelle, non pas à ce qu’on a d’intéressant à dire, mais à la taille du patrimoine…

Célèbre déclaration de 1789, mais ni liberté, ni égalité ni fraternité dans notre société

Le droit de grève avait été interdit par la Première République, celle-là même de Robespierre. Il n’a été arraché qu’en 1864 après de longues années de luttes, et les syndicats n’ont été autorisés qu’en 1884. Quant au droit pour les travailleurs d’avoir leur propre parti, il n’allait pas de soi ! Et pour tout dire, ces partis, après avoir été pourchassés par la répression, ont au fil des décennies été digérés par la bourgeoisie, à coups d’illusions électorales, de subventions, ou de postes de ministres. Au point qu’il nous faut aujourd’hui en reconstruire un.

Les capitalistes raisonnent et agissent en tant que classe (dirigeante) et utilisent leur police pour terroriser les opprimés, faire des exemples. Comment comprendre autrement le déchaînement de violence contre les insurgés de la Commune de Paris en 1871, les 30 000 morts de la Semaine sanglante ?

Il en fut de même dans les colonies : répression des révoltes aux Antilles par les armées de la révolution française elle-même ; rétablissement de l’esclavage en 1802 par Napoléon. De la guerre du Rif au Maroc dans les années 1920 à la guerre d’Algérie de 1954 à 1962, en passant par les massacres de Sétif en 1945 ou le bombardement du port vietnamien d’Haïphong en 1946, par un gouvernement qui se disait celui de la Libération. L’emploi de l’armée et de techniques spéciales de répression ont d’ailleurs fait des colonies des sortes de « laboratoires » du maintien de l’ordre pour la métropole. De nombreux policiers français et leurs officiers se sont formés en Algérie, où ils ont appris le métier… et par la même occasion le racisme. Notons néanmoins que la répression, aussi sanglante soit-elle, ne fut pas capable de rivaliser avec la détermination des peuples qui luttaient pour leur émancipation.

Des droits toujours arrachés de haute lutte

En réalité, les droits, ou le droit, sont toujours liés à un rapport de force. Bien souvent, la loi ne fait qu’entériner un état de fait. Comme c’est le cas d’ailleurs du code du travail qui reconnait quelques droits acquis par les travailleurs, mais qui les limite aussi, et que la bourgeoisie reprend parfois en « refondant le code du travail » comme elle dit, quand elle s’en sent la force.

L’article 24 de la LSG ne fait pas exception ! En effet, les flics n’ont pas attendu Darmanin et sa loi pour taper sur les journalistes et les manifestants qui osaient filmer leurs exactions. Depuis des années, la police fait la chasse aux images… en toute illégalité ! Comme l’ont bien dit des journalistes cette semaine, la police applique déjà la loi sur la sécurité globale ! Face à cela, inutile de se réfugier derrière un mythique état de droit… Non seulement l’attitude des flics mais aussi le droit et l’attitude des juges censés l’appliquer dépendent de la pression qu’on leur oppose.

Un rapide historique n’est pas inutile…

… Ne serait-ce que pour ne pas en rester au point de vue des « démocrates » qui ne parlent à propos de la loi actuelle que d’une dérive de l’état de droit et revendiquent une bonne police réformée et contrôlée par une IGPN qui ferait vraiment son travail… Mélenchon est de ceux-là. Alors pourtant que la répression est ancrée dans l’ADN du capitalisme et du passé colonialiste français. La dénoncer et la combattre va plus loin que rêver d’une police républicaine, d’une justice « équitable » dans une société qui ne l’est pas.

Depuis les débuts du mouvement ouvrier au xixe siècle jusqu’aux années 1970, la répression policière des mouvements sociaux a toujours été brutale. Le 1er mai 1891, à Fourmies, dans le Nord, lors d’une manifestation pour la journée de huit heures, l’armée faisait 10 morts et 35 blessés.

À l’été 1908, Clemenceau, ministre de l’Intérieur qui se faisait appeler « premier flic de France », s’illustra par la répression brutale de mouvements sociaux, dont une grève à Villeneuve-Saint-Georges : 4 morts, 69 blessés, 30 dirigeants syndicaux arrêtés.

À l’automne 1948, face à la grande grève des mineurs (340 000 grévistes) le ministre de l’Intérieur socialiste, Jules Moch, envoyait les CRS et l’armée (30 000 soldats), avec autorisation de tirer à balles réelles. En deux mois de grève, six ouvriers ont été tués, et des milliers de mineurs licenciés ou poursuivis en justice.

On pourrait continuer le tableau avec les morts à Flins et aux usines Peugeot de Sochaux en juin 1968. Ou avec les violences policières contre les sidérurgistes de Longwy en révolte contre leur licenciement en 1979.

Certes la répression du mouvement ouvrier, ici, n’a aucune commune mesure avec celle que connaissent les grévistes d’Afrique du Sud, encore aujourd’hui, trente ans pourtant après la fin de l’apartheid. Lorsqu’en août 2012, à Marikana, la compagnie minière britannique, Lonmin, demanda à la police d’intervenir pour briser la grève, celle-ci ouvrit le feu, tuant trente-quatre grévistes.

Aujourd’hui en France, la répression policière n’en est pas là, bien sûr ! Mais le patronat cherche aussi à faire des exemples, y compris en dehors des mouvements sociaux. Et la répression patronale ou judiciaire s’est accrue ces derniers temps. On parle de répression syndicale, mais en fait, sur les lieux de travail, elle ne vise pas les « syndicats » en tant que tels. Si bien des patrons détestent tout ce qui ressemble à un délégué du personnel, ce n’est pas tant l’existence du syndicat qui les dérange, mais le fait que des travailleurs militent et s’organisent pour résister à leur loi. Chez PSA par exemple, la répression qui touchait les militants de la CGT n’avait pas pour seul but de mettre des militants à l’écart, mais d’envoyer un message à tous les travailleurs : voilà ce qu’il en coûte de résister.

Entreprises, zones de non-droit !

Car n’oublions pas non plus que les libertés, dans la démocratie bourgeoise, s’arrêtent toujours à la porte des entreprises. Seule prime sur toutes les autres la liberté d’exploiter les travailleurs ! Au point de transformer les lieux de travail en zone de non-droit pour les exploités. Dans les entreprises, c’est la direction qui impose sa loi. On l’a vu récemment avec les affaires de fichage de salariés, par exemple à la SNCF, mais aussi chez Vinci ou chez Leroy Merlin. Dans toutes les situations, les patrons s’exonèrent largement des (faibles) contraintes du code du travail ou du droit, et s’autorisent tout ce qu’ils estiment nécessaires pour que l’exploitation capitaliste soit optimale. Dans notre société, la répression fait partie de la lutte de classe, celle des exploiteurs contre les exploités d’aujourd’hui, et ceux de demain, ces jeunes dont nous avons parlé tout à l’heure. Face à cette répression, c’est nous organiser qui nous rendra forts…

Comme le disait Blanqui aux révoltés de 1848 : « Qui a du fer a du pain ! ». Aujourd’hui on n’en est pas encore là, mais on garde en tête le conseil !

Hugo Weil

Mots-clés Politique
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