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Livre

Une farouche liberté, de Gisèle Halimi et Annick Cojean

mardi 24 novembre 2020

Une farouche liberté, de Gisèle Halimi et Annick Cojean éd. Grasset, 2020, 148 p., 14,90 euros


Alors que l’on célèbre ce 25 novembre La Journée internationale contre la violence faite aux femmes, c’est l’occasion d’évoquer l’une d’entre elles, qui consacra plus de 70 ans de sa vie à leur défense. Il s’agit de Gisèle Halimi, qui nous a quittés le 28 juillet dernier à l’âge de 93 ans. Un mois après sa disparition paraissait son dernier livre, fruit d’entretiens avec la journaliste du Monde, Annick Cojean.

Gisèle Halimi était née à La Goulette, en Tunisie. D’origine modeste, elle était issue d’une famille juive, très attachée aux traditions, notamment à celles qui faisaient de la femme un être inférieur à l’homme. Sa naissance fut donc très mal vécue par son père, qui aurait préféré un garçon, et qui la cacha donc à ses amis pendant trois semaines. Pour lui, elle était née « du mauvais côté ».

Vers l’âge de sept-huit ans, elle entame une grève de la faim pour refuser de servir de boniche à ses deux frères. Le scandale familial et les réactions très vives de ses parents ne parviendront pas à la faire fléchir. Finalement, ces derniers finiront par céder. À seize ans, elle devra aussi se battre pour refuser un mariage arrangé avec un homme de près de vingt ans son aîné.

Excellente élève au lycée et à la faculté, elle s’oriente vers des études de droit, car elle est convaincue qu’être avocate est le moyen le plus sûr de mener le combat qui se confondra avec sa vie : la défense des femmes contre les discriminations, les violences, le viol et pour l’égalité homme-femme sur les plans personnel, professionnel et politique.

En défense des combattants nord-africains

Dans un premier temps le destin semble l’orienter différemment. D’abord, dans son propre pays, la Tunisie, elle devient, en 1953, l’avocate de militants nationalistes tunisiens accusés d’avoir tué des gendarmes français venus réprimer une manifestation en faveur de l’indépendance. Trois ans plus tard on la retrouve sur les bancs de la défense des combattants du FLN algérien qui luttent les armes à la main pour réclamer de la France l’indépendance de leur pays. Pendant cette période, elle va acquérir une sorte de célébrité en défendant en 1960 une jeune algérienne de 21 ans, Djamila Boupacha, arrêtée, torturée et violée par les paras de Massu. Elle utilise le tribunal comme une tribune et, hors de cette enceinte, se lance dans une grande campagne médiatique pour dénoncer la guerre d’Algérie. Ce qui lui vaudra notamment d’être brièvement emprisonnée par l’armée à Alger, puis d’être condamnée à mort par l’OAS. Entre 1956 et 1962, année qui marque la fin du conflit, elle ne cessera de faire la navette entre Alger et Paris.

Droit à l’avortement et lutte contre le viol

Quelques années plus tard, en avril 1971, elle est une des signataires du Manifeste des 343, des femmes qui, dans l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur, avouent qu’elles ont transgressé la loi en se faisant avorter. Elles demandent le droit à l’IVG pour toutes et l’abrogation de la loi anti-avortement de 1920. Gisèle Halimi recevra alors un blâme du bâtonnier de l’Ordre des avocats pour avoir ouvertement bafoué la loi en soutenant une pratique illégale.

L’année suivante, à Bobigny, elle défend une jeune fille de seize ans, Marie-Claire, qui s’est fait avorter après avoir été violée. Détail sordide : c’est son propre violeur qui l’a dénoncée à la police. Là encore, elle mobilise l’opinion en faveur de la jeune fille (qui sera acquittée) puis de sa mère accusée, elle, de l’avoir aidée à avorter. Elle reçoit de nouveau un rappel à l’ordre du bâtonnier pour s’être proclamée « avocate » et non « avocat ».

Autre procès célèbre, en 1978 à Aix-en-Provence, celui dit « du viol ». Trois hommes sont accusés d’avoir violé pendant des heures, quatre ans auparavant, deux jeunes touristes belges qui faisaient du camping. Malgré toutes les manœuvres d’une juge d’instruction qu’elle qualifie de « monstrueuse », le machisme d’un tribunal dont le président fera expulser tous les témoins (dont Arlette Laguiller) venus prendre la défense des deux femmes, et les insultes, voire les coups, dont elle et ses collaboratrices sont l’objet, elle fera lourdement condamner les violeurs. Cette fois, elle organisera de véritables conférences de presse sur les marches du Palais de Justice avec toutes les personnalités auxquelles le président refusait la parole dans la salle d’audience.

Grâce à tous ces combats, menés notamment par l’association qu’elle a créée, Choisir la cause des femmes, d’autres organisations féministes et une prise de conscience de l’opinion publique, elle parviendra à obtenir l’abrogation de la loi de 1920, la légalisation de l’avortement, puis plus tard sa gratuité en le faisant rembourser par la Sécurité sociale. De même la loi sur le viol sera modifiée. Le viol deviendra un crime et non plus un simple délit et les victimes seront enfin entendues et prises en considération, au lieu d’être considérées trop souvent comme en partie responsables de ce qui leur arrivait.

Révolution sociétale ou révolution sociale ?

Pendant toute sa vie, Gisèle Halimi fut une féministe combative, prête à utiliser la loi (voire si nécessaire à la contourner) pour faire aboutir sa cause. À la fin du livre, lorsqu’Annick Cojean lui pose la question « Qu’attendez-vous d’elles [des femmes] aujourd’hui ? », elle répond :

« J’attends qu’elles fassent la révolution. Je n’arrive pas à comprendre, en fait, qu’elle n’ait pas déjà eu lieu. Des colères se sont exprimées, des révoltes ont éclaté, çà et là, suivies d’avancées pour les droits des femmes. Mais nous sommes si loin du compte. Il nous faut une révolution des mœurs, des esprits, des mentalités. Un changement radical dans les rapports humains, fondés depuis des millénaires sur le patriarcat : domination des hommes, soumission des femmes. Car ce système n’est plus acceptable. »

La révolution dont elle parle est donc essentiellement sociétale. Comme elle le dit très bien elle-même c’est celle « des mœurs, des esprits, des mentalités », pas celle des rapports de production, des rapports d’exploitation que perpétue le capitalisme.

Or, l’une ne va pas sans l’autre. Mettre fin définitivement à l’oppression des femmes nécessite la disparition du capitalisme (sous sa forme « pure » dans les pays occidentaux ou celles mâtinées de féodalisme, d’étatisme ou de despotisme oriental que l’on trouve un peu partout à travers le monde), même s’il n’est pas question d’attendre que cela arrive pour prendre une part active aux combats des femmes.

Mais franchir le pas de la révolution sociétale à la révolution sociale, Gisèle Halimi ne l’a jamais fait. Son engagement dans le monde politique traditionnel fut d’ailleurs des plus conformistes. Proche de François Mitterrand (dont elle se méfiait surtout du machisme), elle a été élue députée de l’Isère, apparentée socialiste, lors des élections législatives de 1981, un mandat qu’elle occupera jusqu’en 1984 (sans avoir jamais voulu adhérer au Parti socialiste), avant d’être nommée à l’Unesco, puis de prendre place dans la délégation française de l’ONU.

Cet engagement correspondait d’ailleurs assez bien au milieu qui avait fini par devenir le sien : celui des intellectuels de gauche sur lesquels elle avait pu compter tant pendant la guerre d’Algérie que dans ses combats féministes. Mais ce milieu était surtout proche de la gauche réformiste du PS ou du PCF. On retrouve d’ailleurs dans son livre nombre de ces intellectuels (philosophes, poètes, peintres, auteurs, comédiens, etc.) qui, à un titre ou un autre, ont compté dans la vie politique de la seconde partie du xxe siècle. Citons pêle-mêle, Jean-Paul Sartre (dont son second mari, Claude Faux, fut un temps le secrétaire) et Simone de Beauvoir, Louis Aragon et Elsa Triolet, Françoise Sagan, Jean Lurçat, Delphine Seyrig, Marguerite Duras, Christiane Rochefort, Françoise Mallet-Joris, Guy Bedos, Catherine Deneuve, Ariane Mouchkine… Et son engagement auprès d’associations comme Choisir la cause des femmes ou Attac était, en fait, largement en résonance avec ce milieu.

Ce qui ne l’empêcha jamais, parfois au péril de sa vie, d’aller au bout de ses engagements avec courage et ténacité. Et celle qui, à la fin de son livre, affirme, en parodiant Simone de Beauvoir, « On ne nait pas féministe, on le devient » fut une femme généreuse et audacieuse, une combattante qui a marqué son époque.

Jean Liévin

Mots-clés Culture , Droits des femmes , Livre
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