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Clinique du Parc à Nantes

« On a inversé le rapport de forces, ils ont intérêt à dialoguer maintenant »

mardi 27 octobre 2020

Les grévistes de la clinique psychiatrique du Parc, à Nantes, mobilisés depuis le 16 juin, date nationale pour le secteur de la santé, exigeaient des augmentations de salaires. Face au silence et au mépris de la direction du groupe Ramsay – grand groupe incluant plus de 120 cliniques – et après six journées de grève, une trentaine de salariéEs ont débuté une grève reconductible le 17 septembre avec l’appui de patientEs. Elle a duré 35 jours. Ils et elles ont arraché une augmentation de 60 euros pour tout le personnel, soignant ou non, et acquièrent surtout la détermination pour se battre lors de toutes les prochaines occasions. Nous avons interviewé deux des grévistes, Camille et Khadija, infirmières fières de leur mobilisation, pour revenir sur le déroulement de la mobilisation.

Revenons sur le déroulement de cette grève : comment s’est-elle lancée et dans quel contexte ?

Camille et Khadija : Les 16 et 30 juin, c’était les mardis de la colère, on a suivi la grève nationale, c’était le moment de nous faire entendre. On a connu de petits mouvements à la clinique avant mais ça tenait jamais, ça ne concernait que des individus isolés. Et là, il faut dire qu’on en avait vraiment bavé pendant le confinement à la clinique, c’était épuisant. Au début on travaillait sans masque puis, quinze jours après, un masque par jour, puis la semaine suivante, deux masques par jour. Sans surblouse ! Alors dans ces conditions, avec la peur de travailler et un groupe à 3 milliards de chiffres d’affaires qui se foutait de nous, c’était pas possible de rester les bras croisés. Quand on a vu le mouvement national, on en a parlé entre nous, on s’est dit que c’était maintenant, que c’est pas parce qu’on était en psy que c’était pas difficile à vivre. Avec tous les protocoles Covid, tu multiplies les tâches, tu t’épuises. C’est de là qu’est née cette cohésion entre nous. Et après dans le cortège, on s’est retrouvé ensemble et on était super déterminé ! On se disait à quel point on était mal payés et avec des conditions de travail vraiment horribles.

Quelles étaient les revendications ?

K : Les premiers jours ils ne nous ont même pas demandé pourquoi on faisait grève, on a officialisé les revendications auprès de la direction à partir de juillet : 500 euros bruts, une prime de rentrée, une d’assiduité, inclure le temps d’habillage et de déshabillage, parce que la convention n’est même pas appliquée sur notre établissement. Puis on demandait le remplacement des collègues en arrêt maladie. Jusqu’à présent, ça arrangeait bien la direction quand l’un d’entre nous se mettait en arrêt, l’autre faisait juste deux fois plus de boulot et l’arrêt était payé par la Sécu. Puis revalorisation du dimanche : aujourd’hui, la prime n’est qu’à 38 euros nets alors qu’en EPHAD le dimanche, elle est à 70. Donc on a demandé la même chose.

Entre juin et la grève reconductible de septembre, vous regardiez du côté des mobilisations des hôpitaux ?

K : Ah ben oui ! C’est aussi pour ça qu’on a fait grève, on voulait être sûrs de l’avoir le Ségur. Chaque structure a dû négocier pour le toucher. On vient d’apprendre qu’on touchera 160 euros d’augmentation de salaire, en sachant que dans le public c’est 183 euros. Mais nous on a aussi obtenu par la grève les 60 euros donc ça fait quand même une augmentation significative.

C : En fait on était très très en colère : après six journées de grève, toujours aucune considération. En voyant cette date nationale Gilets jaunes du 19 septembre qui suit la date du jeudi 17, on se dit qu’il faut maintenant y aller à fond, prendre la direction à l’improviste et continuer chaque jour.

Comment en venez-vous à vous mettre en grève reconductible, avec des patients qui ont besoin de soins ?

K : Ben justement, la direction arrivait à garder la clinique ouverte malgré toutes nos journées de grève en nous réquisitionnant. On ne savait pas que c’était illégal, qu’ils n’avaient pas le droit de faire ça dans le privé. Il nous a fallu une semaine de grève illimitée et de rencontres avec des syndiqués pour l’apprendre. Et en 48h, après qu’on a refusé leur énième réquisition, la clinique était fermée.

C : Maintenant on sait que si on refait grève, on sera blindé. On sait comment faire et surtout ce qu’ils peuvent pas faire ! Maintenant ils peuvent vite se retrouver en très mauvaise posture : si on fait grève demain, la clinique ferme demain. C’est pour ça qu’on répète que ce n’est que le début. On a inversé le rapport de forces, ils ont intérêt à dialoguer maintenant. Si on fait grève, ils sont très mal.

Et comment vous êtes-vous organisés pour mettre en place cette reconductible ?

C : On organisait des mini-AG dehors où on votait à main levée qui faisait grève le lendemain. C’était un peu folklo. On était 35 grévistes, dont 27 à 30 chaque jour à plein temps. Et puis il y avait tellement de travailleurs en arrêt maladie, la clinique était paralysée. Chaque jour on prolongeait d’un jour avec l’idée que fermer une semaine, ça aurait forcément de l’effet... Et ça n’a pas loupé : au bout d’une semaine, la direction a enclenché les négociations auxquelles nos élues d’AG ont réussi à s’infiltrer. Ils nous ont proposé 40 euros bruts, ils se foutaient de nous ! Ou bien une plus grosse augmentation de salaire mais pas pour tous. On a refusé et on leur a dit : maintenant, c’est 100 euros nets pour tous, sinon on continue. Donc on a tenu et ils ont dû fermer.

Concrètement comment faire autant de bruit sur Nantes les jours de grève ?

C : On n’arrêtait pas ! On faisait passer une cagnotte dans les marchés pour récupérer des sous, on a fait des photos allongées par terre pour médiatiser. On est allé à l’ARS, on a sollicité l’inspection du travail, envoyé des mails aux élus, on a interpellé Johanna Rolland [maire de Nantes]. On a aussi rencontré des syndicalistes CGT et trouvé notamment une infirmière qui avait fait 30 jours de grève consécutifs à la clinique Océane au Havre, à partir du 16 juin. C’est aussi là qu’on a rencontré un ambulancier d’une clinique Ramsay à Marseille, qui nous a dit qu’il allait faire grève avec une équipe. Ça a permis de discuter puis surtout, c’est là qu’on a récolté des dons, près de 1000 euros en une journée ! C’est fou le soutien qu’on a pu recevoir de partout.

Et alors comment s’est terminée cette grève finalement ?

K : Après plus d’un mois de grève, la direction a engagé une médiation pour négocier les salaires. On a élu deux grévistes, dont Camille, pour négocier à Paris, accompagnés par une déléguée du personnel CGT.

C : Jusqu’au dernier moment à Paris, ils ne voulaient rien lâcher sur les salaires, estimaient que c’était impossible ! C’est juste avant de partir, une demi-heure avant notre train, que soudain, ils nous ont proposé 60 euros nets d’augmentation pour tous. C’était clair que c’était en deçà de ce qu’on demandait mais en même temps, juste obtenir quelque chose de grands groupes, c’est déjà une victoire. C’est la première fois que le groupe lâche une vraie augmentation de salaires, et non pas les primes ou tickets restos habituels.

Comment ont réagi les grévistes face à cette proposition ?

C : Mitigés, c’était une victoire en demi-teinte. Au départ, on voulait 500 euros d’augmentations de salaires, puis 100, puis finalement on obtient 60, donc pas grand-chose... On n’a pas explosé de joie, c’est sûr. Mais avec le recul, on sait que c’est pas fini, qu’il faudra continuer, qu’un collectif est né et qu’on a quand même fait reculer la direction pour la première fois. Maintenant on va aller arracher quelque chose à chaque occasion, on est bien plus armés pour se battre ! Et puis clairement, on était trop fatigués, ça devenait trop dur. Entre la fatigue et le coût financier, pas sûr qu’on aurait été très nombreux à poursuivre. Et puis, on avait vraiment tous besoin de retrouver nos patients, on est passionné et on s’inquiétait aussi de l’absence de soins pour certains pendant un mois.

K : Après ça s’est tellement bien terminé, c’était inespéré ! Fallait voir cette manif des hôpitaux jeudi 15 [octobre], qui vient jusqu’à la clinique exprimer leur soutien, c’était énorme ! Ça concluait la période aussi : on a eu tellement de soutiens tout du long, dans les cagnottes de grève, dans la rue... Tout le monde nous a vu comme des acharnés, on a été hyper soutenus.

Et comptez-vous revenir lors des prochaines mobilisations ?

K : Ah ben on sera solidaires c’est sûr, on sera gréviste le 5 novembre ! On fera en sorte d’être un maximum, quitte à tourner entre nous pour participer à toutes les dates. Il y aura toujours au moins un petit peloton mobilisé, on verra mais on fera un truc !


(Interview à paraître dans l’Anticapitaliste n°541)

Photo : Manifestation du 16 juin à Nantes. Vu sur le FB NPA l’Étincelle Nantes.

Mots-clés Entreprises , Santé
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