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Biélorussie : les masses ébranlent la dictature

jeudi 1er octobre 2020

Depuis plus d’un mois, dans les rues et les usines de la plupart des villes du pays, par centaines de milliers, des Biélorusses s’opposent au dictateur Loukachenko malgré une répression très brutale dès les premières manifestations. Pour le septième dimanche consécutif, le 20 septembre, une multitude compacte a investi les rues et les places. Le 23 septembre, des milliers de manifestants protestaient contre Loukachenko, prêtant serment, quasiment en cachette, et la répression semble avoir encore franchi un cran.

N’acceptant pas le maintien du régime, les foules sont restées à l’initiative depuis le mois de juillet, et à Minsk les cortèges menacent avec persévérance la résidence de l’autocrate. Tous azimuts et suffisamment réfléchie pour cibler des figures de comités de grève ou de l’opposition libérale, la répression à laquelle le pouvoir russe promet assistance a rendu la situation mouvante sur les lieux de travail, sans mettre fin à la partie dans l’ensemble de la société biélorusse.

Le bas et le haut

Tout est parti d’un résultat truqué. Plutôt d’une campagne électorale que Loukachenko, au pouvoir depuis plus de 25 ans, pensait gagnée d’avance grâce à sa prétendue popularité et surtout à son système répressif brutal. Or, depuis 15 ans, les contestations n’ont pas manqué : 2006, 2010 ou 2017, et le 9 août 2020 l’autocrate a de toute évidence perdu les élections. Svetlana Tsikhanovskaïa, seule candidate d’opposition tolérée, a, dans ses meetings comme dans les urnes, largement aggloméré les colères accumulées. Les politiques anti-ouvrières de ces dernières années et la dégradation de la situation économique n’ont pas contribué à la popularité d’un régime encore discrédité par sa gestion du coronavirus. Sur le fond, l’opposition partage avec Loukachenko, comme avec l’essentiel des grandes puissances qui louchent sur la Biélorussie, un programme visant à « stimuler la concurrence » [1], à transformer les rêves de développement en cauchemars d’inégalités.

Particulièrement via Telegram, des échanges se sont multipliés et de là sont parties les protestations à l’annonce des résultats électoraux. Après plusieurs semaines, elles semblent dépasser l’opposition « officielle » et constituée dont les figures ont été emprisonnées et/ou sont parties à l’étranger [2]. Difficile de penser qu’en s’affichant à Varsovie, aux côtés du Premier ministre polonais ultra-conservateur, pour ne pas dire d’extrême droite, Morawiecki, Tsikhanovskaïa n’ait pas voulu afficher une certaine image de l’opposition à Loukachenko, lui-même en visite chez Poutine quelques jours plus tard. Depuis que le régime est sérieusement secoué, Poutine a mis de côté ses divergences avec Loukachenko en promettant son appui policier et militaire. L’escalade de la répression soutenue par le pouvoir russe, déjà très importante, semble l’option choisie par le pouvoir. Elle peut aussi se retourner contre Poutine et Loukachenko. Pour la manifestation du 27 septembre, des voix venues de figures de quartiers ou de comités de grève, que la bestialité du pouvoir n’a pas réussi à faire taire, appellent à marcher en direction de l’ambassade russe et à l’organisation de manifestations en Russie même [3].

Une soif de démocratie à laquelle les masses populaires peuvent donner chair

Des ouvriers en grève, à Minsk et en province, aux musiciens du philharmonique, la contestation rassemble de multiples segments de la société. Depuis un mois, elle touche même de nouveaux secteurs, comme le monde étudiant s’organisant dans les universités et à partir d’elles. Un motif commun : « Je ne veux pas que “maintenant” dure éternellement [4]. » Comme dans d’autres pays ayant connu des explosions politiques ces dernières années, les revendications démocratiques et l’espoir d’une amélioration économique et sociale se cristallisent pour le moment dans le rejet d’un dictateur honni, et dans des figures politiques qui apparaissent comme courageuses mais bien peu loquaces – et pour cause ! – sur leur programme pour les classes populaires. Reste la mobilisation qui les talonne comme elle talonne Loukachenko. Quelles formes d’organisation existent derrière ces immenses et croissantes manifestations du dimanche ? Des réseaux sociaux tout particulièrement – la presse étant bâillonnée, voire persécutée – témoignent de manifestations de femmes tous les samedis malgré la répression, de rassemblements et initiatives d’étudiantes et étudiants, de grèves et actions sur les lieux de travail. Quelques articles percent également dans la grande presse et ils semblent indiquer des formes d’organisation importantes notamment dans les quartiers [5]. De toute évidence et sans ignorer ses spécificités, le mouvement en cours se rattache aux soulèvements populaires qui ont marqué l’actualité sur tous les continents ces dernières années.

Les grèves ouvrières ont été décisives dès la mi-août. Mis à part le secteur (privé) des hautes technologies, toutes les plus grandes entreprises du pays ont été touchées. Si 90 % des salariés de Biélorussie sont sous la menace de licenciements express, cela ne les a pas empêchés de surgir avec leurs revendications politiques [6]. Les grèves semblent aujourd’hui moins massives, ramenées à des mouvements minoritaires et autres formes de mutineries sur les lieux de travail qui iraient en déclinant. Mais cette intervention ouvrière spontanée contre la répression et le régime s’est accompagnée de formes d’organisation, assemblées, comités de grève à l’appel de syndicats indépendants, autant que les rares sources nous permettent d’en juger [7]. Les entretiens qui suivent visent à aider à la compréhension de leur forme et objectifs. Cette action politique ouvrière marque fortement ce mouvement et pourrait lui tracer d’autres perspectives que celles d’une opposition bourgeoise très nationale, pour ne pas dire nationaliste.

23 septembre 2020, Chris Miclos


[2Parmi le « conseil de coordination » de sept membres réunis autour Tsikhanovskaïa et des deux autres femmes « leaders » de la campagne électorale, il ne reste plus aujourd’hui dans le pays que Svetlana Alexeïevitch, prix Nobel 2015 et elle-même menacée.

Mots-clés Biélorussie , Monde
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